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Le plan Draghi veut l’Eurexit

Il annonce des révolutions, mais au-delà du néolibéralisme, il ne promet rien d'autre que la fuite en avant vers un conflit - peut-être nucléaire - qui ressemble plus à une crise de Cuba permanente qu'à la guerre froide.

Il est surprenant, dans le rapport de Mario Draghi sur l’avenir compétitif de l’UE, de constater la coexistence de certaines idées correctes sur le déclin européen et l’absence de profondeur historique.

Il n’y a pas d’autre moyen d’expliquer l’adhésion aveugle à un présent qui est appelé à changer, pour le meilleur ou pour le pire, mais qui, pour l’instant, est ce qu’il est : la course vertigineuse vers un éventuel conflit nucléaire qui n’a rien à voir avec la guerre froide et ressemble plutôt à une crise prolongée et mortelle de Cuba.

Il n’y a pas d’autre moyen d’expliquer l’adhésion aveugle à un présent qui est appelé à changer, pour le meilleur ou pour le pire, mais qui, pour l’instant, est ce qu’il est : la course vertigineuse vers un éventuel conflit nucléaire qui n’a rien à voir avec la guerre froide et ressemble plutôt à une crise prolongée et mortelle de Cuba.

Sans parler de l’effondrement climatique, qui n’est plus une menace mais une réalité, irrémédiable si les principaux pollueurs (États-Unis, Chine, Russie) continuent à se faire la guerre. L’écrasante majorité des citoyens rejette ce présent, avec des pics en Italie, en Bulgarie et en Grèce.

Le rapport prétend voir loin, il annonce même une révolution. Le mot révolution est aujourd’hui monnaie courante quand il s’agit du contraire. Il a été utilisé par le président Macron qui, lors de son premier mandat, n’a pas eu honte de promettre un "nouveau monde" (également rejeté par les citoyens).

Pas de vision à long terme cependant : le Plan reproduit le scénario conflictuel actuel, pour Draghi il s’agit juste d’en prendre acte et de le gérer. S’il espère une Europe puissance militaire qui se passe des béquilles américaines, c’est pour perpétuer des guerres qui sanctionnent l’hégémonie mondiale déjà ébranlée de l’Occident collectif.

Dans le nouveau monde, l’Union aura un visage différent de celui de ses débuts : la paix reste "l’objectif premier", mais à condition que la croissance de la productivité ait pour horizon l’économie de guerre financée par l’UE. L’augmentation drastique des dépenses de défense est au cœur du rapport Draghi, et nous nous y attardons.

L’Europe est invitée à la subventionner avec l’endettement commun (euro-obligations) déjà fructueusement négocié à la Covid par le gouvernement Conte avec d’autres États du sud de l’Europe. Mais l’Allemagne et les pays nordiques n’ont pas l’intention de répéter l’aventure.

Mais l’Allemagne et les pays nordiques n’ont pas l’intention de répéter l’aventure.

Mario Draghi écrit que "dans un monde où la géopolitique était stable, nous n’avions aucune raison de nous inquiéter d’une dépendance croissante à l’égard de pays dont nous pensions qu’ils resteraient nos amis (...) L’hégémonie américaine a permis à l’UE de séparer largement la politique économique des questions de sécurité et d’utiliser les "dividendes de la paix" provenant de la réduction des dépenses de défense pour soutenir ses propres objectifs nationaux". Toutefois, l’environnement géopolitique est en train de changer en raison de l’agression arbitraire de la Russie contre l’Ukraine, de la détérioration des relations entre les États-Unis et la Chine, et de l’instabilité croissante en Afrique, source de nombreuses matières premières essentielles".

Il est donc urgent de procéder à un réarmement militaire de l’Union pour faire face aux États-Unis et à la Chine, qui sera régi par des organes de l’UE (Commission, Service européen pour l’action extérieure, Agence européenne de défense, nouvelle "Autorité de l’industrie de la défense"). Ces institutions non élues se verront confier la "politique économique extérieure" et la tâche de "maintenir notre liberté" (sic).

C’est là que le sens historique et la clairvoyance échouent. L’Europe est en déclin démographique, note le rapport, et nous devons donc "augmenter la productivité".

L’Europe est en déclin démographique, note le rapport, et nous devons donc "augmenter la productivité".

Mieux intégrer les immigrés n’est pas une option.

La guerre mondiale est le destin commun, auquel nous nous adaptons en construisant un rempart européen à côté du rempart américain. L’effritement de plus en plus flagrant de la superpuissance américaine est nié, tout comme par Kamala Harris : "L’Amérique possède la force de frappe la plus puissante et la plus meurtrière au monde", répète-t-elle sinistrement depuis des semaines.

L’Europe unie a été conçue au plus fort de la Seconde Guerre mondiale et visait à intégrer l’Allemagne, principale responsable de "l’agression arbitraire". Il était dans l’intérêt de la paix européenne de l’intégrer, tout comme il serait dans l’intérêt de l’Europe aujourd’hui de construire avec la Russie eurasiatique l’architecture de sécurité commune proposée par Gorbatchev dans les années 1990, lorsque Moscou espérait encore empêcher l’élargissement de l’OTAN aux portes de la Russie, grâce à des promesses occidentales qui n’ont malheureusement été que verbales. L’éternelle crise de Cuba efface le souvenir des tournants de détente de Kennedy aux États-Unis et de Willy Brandt en Europe.

On se croirait dans le film " Un jour sans fin ".

L’idéologie de Draghi présente des similitudes frappantes - pas seulement linguistiques - avec l’expérience du Brexit. L’objectif est la déréglementation néolibérale, bien qu’accompagnée d’une critique du modèle social américain et des erreurs "commises pendant la phase d’hypermondialisation", lorsque "l’insensibilité aux conséquences sociales" des plans d’austérité a prévalu en Europe (la coresponsabilité de Draghi n’est pas mentionnée).

C’est une sorte d’Eurexit qui se profile à l’horizon : l’Union européenne en tant que projet de paix continental s’éteint, les liens avec son hinterland eurasien disparaissent, et l’Allemagne en tant que pays clé est paralysée après la démolition violente des deux pipelines North Stream, voulue par les présidents Trump et Biden. C’est la vérité que Draghi ne voit pas, même si l’ancien Premier ministre Boris Johnson l’a explicité le 12 avril : "Si l’Ukraine tombe, ce sera une catastrophe pour l’Occident, ce sera la fin de son hégémonie". Ou bien Draghi le voit-il et approuve-t-il Johnson ?

L’économie de guerre prônée par le rapport ouvre grand la porte aux lobbies militaires et défie les contraintes réglementaires imposées tant par l’UE que par la Banque européenne d’investissement (BEI) qui, statutairement, ne finance pas les armes et les munitions. Tout cela n’a aucun rapport avec la réalité : la Russie est une immense nation en crise démographique, qui peut défendre ses zones frontalières mais ne peut pas nous menacer et ne le fera pas.

L’ancien président de la BCE insiste à plusieurs reprises sur les règlements (les fameux lacets et ficelles dénoncés en 1973 par le gouverneur de la Banque d’Italie Guido Carli, dépoussiérés ensuite par Berlusconi) qui empêchent les industries européennes, principalement militaires, de coopérer et de se développer. C’est la bataille identique des partisans du Brexit contre la paperasserie, la bureaucratie étouffante des règles européennes, en particulier dans les domaines social et militaire.

Le rapport n’explique pas quelles sont les règles qui ralentissent la dérégulation européenne. Outre celles de la Banque d’investissement, il convient de mentionner l’article 41.2 du traité de l’UE qui, en matière de politique étrangère et de sécurité, stipule : "Les dépenses opérationnelles [...] sont à la charge du budget de l’Union, à l’exception des dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense et sauf si le Conseil, statuant à l’unanimité, en décide autrement".

Outre celles de la Banque d’investissement, il convient de mentionner l’article 41.2 du traité de l’UE qui, en matière de politique étrangère et de sécurité, stipule : "Les dépenses opérationnelles [...] sont à la charge du budget de l’Union, à l’exception des dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense et sauf si le Conseil, statuant à l’unanimité, en décide autrement".

Mais il n’y a pas que Draghi qui s’étonne, ainsi que ceux qui l’incitent comme Ursula von der Leyen.

Les réactions italiennes sont particulièrement surprenantes. Landini, de la CGIL (le plus grand syndicat italien de gauche), énumère les points positifs du rapport, à l’exception de celui, central, sur l’économie de guerre.

Dans une dépêche, on apprend que le plan Draghi dépeint "ce qu’il y a de majestueux en Europe".

Majestueux : il n’y a pas d’adjectif plus pénible quand on pense aux dizaines de milliers de morts – en Ukraine, à Gaza, en Cisjordanie - qui auraient pu être évités.

Il fatto quotidiano 14 Septembre 2024

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Barbara Spinelli a été chroniqueuse pour La Repubblica. Experte en politique internationale, elle a été élue en 2014 au Parlement européen, candidate avec la liste L’Altra Europa con Tsipras. Elle est vice-présidente de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, membre de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, membre de la délégation à la commission parlementaire de coopération UE-Russie, de la délégation pour les relations avec Israël et de la délégation à l’Assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée. Elle est la fille d’Altiero Spinelli, cité comme père fondateur de l’Union européenne pour son influence sur l’intégration européenne d’après-guerre, comme l’un de ceux qui ont écrit le Manifeste de Ventotene.

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