Le peuple turc n’a pas eu droit à une « conférence des amis de la Turquie ». Il ne fait pas partie de la liste affective des préposés à la représentation de la « communauté internationale ». Aux premiers jours de son soulèvement, il a eu droit à ce que le grand Frère au pouvoir soit rappelé à l’ordre, sans plus. Et le processus continue sans que rien dans les médias ne fasse référence à la « révolution » ou à ce qui lui ressemble chez les Arabes et assimilés, chez les Africains et tutti quanti. Les Turcs se débrouilleront seuls et c’est tant mieux, pourrions-nous dire. Il n’y aura ni CNT ni quelque de chose de similaire qui les représentera légitimement.
Nous le savons, puisqu’il y a eu en Allemagne un candidat au poste qui a vite fait de disparaître des écrans et des pages de journaux. Même s’il avait appelé les puissances « démocratiques » à intervenir. Le bonhomme a dû être interloqué de ne pas voir les choses se mettre en place comme en Syrie. Et il ne faut pas lui en vouloir d’avoir tenté sa chance. La chose étant devenue une tradition, quand les peuples sont interdits de manifester. Il suffit pour le vérifier de consulter l’historique récent de l’attitude des Etats-Unis et de leurs satellites européens. Alors, il devient difficile de savoir où ça va aller, les données n’étant plus les mêmes, pour les « analystes » convaincus de l’intervention étrangère qui se trouve dans le cas de figure où la contestation s’exprime directement sans passer par les circuits consacrés depuis le « Printemps arabe ». Ce qui laisse deviner une inquiétude mêlée d’un attentisme fébrile sur le sort des Frères turcs et sur leur rôle dans l’agenda concocté pour la Région méditerranéenne et le Moyen-Orient. Surtout que les syndicats de travailleurs se sont mis de la partie et que la société turque a une épaisseur historique suffisante pour résister aux manipulations. Surtout encore que la chute des Frères turcs détruirait tout l’échafaudage construit autour d’eux, autour de cet « Islam modéré » si actif un peu partout en soutien à l’Alliance atlantique.
Le discrédit de l’AKP détruirait du même coup le label BCBG de tous les Frères périphériques. Déjà que les Frères égyptiens, la matrice du tout, n’en peuvent plus d’affronter une fronde qui ne démord pas de les déboulonner du pouvoir qu’ils occupent, contre laquelle ils n’ont pas hésité à convoquer les méthodes sanglantes de Hosni Moubarak. Des Frères égyptiens qui vont très loin dans l’allégeance au projet atlantiste, en rompant les relations diplomatiques avec le gouvernement syrien.
En Turquie se joue donc tout l’avenir de la stratégie étatsunienne. Mais jusqu’où la répression peut-elle aller si les manifestations populaires ne devaient pas s’essouffler et prendre de l’ampleur ? Tout autorise à penser qu’Erdogan se sent soutenu dans sa ligne dure à considérer sa façon de plastronner et de ne rien céder aux revendications. Dans l’optique d’une radicalisation de la crise, il sera possible d’observer un scénario inversé. Où des « amis de la Turquie » pourraient se constituer en défense des Frères.
Ahmed Halfaoui