Avoir la mémoire courte peut être un atout en politique
Il y a cinq ans à cette même époque, le petit cercle d’initiés de l’UE célébraient Tzipi Livni comme un modèle de modération, alors qu’elle prenait la charge d’améliorer les relations entre Israël et l’UE. L’histoire d’amour fut mise en sourdine lorsque Livni marqua la fin de son passage à la tête du ministère des affaires étrangères par une offensive brutale de 3 semaines contre Gaza.
La souffrance humaine causée par ce crime monstrueux sembla avoir bien moins contrarié les diplomates européens que le fait de ne pas avoir été informé des plans guerriers de Livni. Ce fut un « coup dur », me dit l’un des premiers responsables de Bruxelles.
Il ne fallut pas longtemps à Livni pour être pardonnée d’avoir créé cette surprise. Cette semaine, elle est parvenue à un accord avec Catherine Ashton, la responsable européenne de la politique étrangère, afin de mettre fin à une querelle qui fait désordre à propos des directives visant à empêcher les entreprises et institutions présentes dans les colonies israéliennes des territoires occupés en Cisjordanie, de recevoir des subventions européennes.
Les « susceptibilités » de l’apartheid
Une déclaration conjointe annonce que l’accord respecte à la fois les « exigences financières » européennes et les « sensibilités politiques » d’Israël. Les informations précises sur la façon dont les directives sont mises en place ne faisaient pas partie des déclarations mais il semble qu’une formule bureaucratique permettrait aux entreprises de continuer à tirer des bénéfices de l’occupation (comme le font la plupart des compagnies israéliennes) tout en continuant à profiter des subventions européennes.
J’ai eu un haut le cœur la semaine dernière, et des nausées après avoir lu cette déclaration.
Si la communauté européenne (le précurseur de l’UE) avait promis de respecter les “sensibilités politiques” de l’Afrique du Sud alors qu’elle était sous le joug des Blancs, il est certain que l’UE aurait été stigmatisée par tous les progressistes à travers le monde. Pourquoi Israël devrait-il avoir un traitement à part ?
Il faut reconnaitre que charger Livni de régler l’affaire des « directives » fut une astucieuse initiative du gouvernement de Benjamin Netanyahu. Elle a bien plus d’affinités avec les élites de l’UE qu’Avigdor Lieberman, qui a récemment retrouvé son poste de ministre des affaires étrangères.
Du sang sur leurs mains
Il n’y pas de différence entre Livni et Lieberman. Les deux ont les mains tachées de sang. Ils ont tous les deux autorisé des opérations militaires contre Gaza au cours desquelles les principales victimes étaient des civils innocents. Tous les deux représentent l’état d’apartheid.
Livni ne s’est jamais repentie d’avoir, selon ses propres termes, encouragé les militaires israéliens à « se déchainer » en bombardant Gaza en décembre 2008 et janvier 2009. Tant qu’elle n’aura pas fait part de sincères remords, voire, tant qu’elle n’aura pas été punie de ses crimes de guerre, il n’y aura aucune raison de lui pardonner quoi que ce soit.
L’implication de Livni dans le traitement du différend à propos des directives est surprenante (résoudre des discussions diplomatiques de cette nature n’est habituellement pas le travail d’un ministre de la justice).
Des conseils aux colons
Depuis que les directives ont été divulguées à la presse israélienne cet été, les représentants européens n’ont eu de cesse de vouloir en diminuer l’impact.
L’ambassade européenne à Tel Aviv a rapidement publié des conseils sur son site web, expliquant que les recommandations pouvaient être contournées. Un conseil utile est que les banques israéliennes actives en Cisjordanie occupée continuent de demander des prêts à l’UE, sous réserve que les bénéficiaires finaux des aides se trouvent en Israël.
Les questions en jeux sont ici, bien sûr, plus importantes qu’un simple conflit bilatéral.
Le mois prochain, les premiers ministres et présidents des 28 états de l’UE se rassembleront à Bruxelles pour le sommet consacré à la consolidation de l’industrie des armements.
Il est très probable que le communiqué qui sera publié à la suite de cette conférence ne mentionnera pas Israël explicitement. Mais, ceux qui ont suivi de près le débat de la « défense » européenne, comme j’ai eu le malheur de le faire, savent que les constructeurs d’armes européens sont encouragés à entretenir des liens avec leur contrepartie israélienne.
Un défi
Ce n’est pas un hasard si François Hollande, le président français, était accompagné par les représentants de Thales, un producteur d’armes, ou si Antonio Tajani, le responsable des entreprises européennes, est arrivé avec des hommes d’affaires de son homologue italien de la Finmeccanica, lorsque ces deux individus se sont récemment rendus en Israël.
L’accord entre Ashton et Livni ouvre la porte aux fabricants d’armes israéliens pour recevoir des subventions dans le cadre d’Horizon 2020, un nouveau programme de recherche scientifique européen. Allouer une plus grande part du budget scientifique de l’UE à l’armement sera certainement l’un des sujets de discussions au sommet de décembre.
Bien que découragé à l’annonce de la dernière capitulation européenne face à Israël, je ne suis cependant pas totalement écœuré. La décision des diplomates de l’UE de rédiger ces directives est une petite victoire pour ces militants du mouvement de solidarité avec la Palestine qui ont dénoncé la manière dont l’argent des contribuables est reversé à Ahava, une entreprise qui produit des cosmétiques dans une colonie israélienne.
Ces directives n’auraient jamais été rédigées si l’UE n’avait pas été intimidée et gênée par ses propres pratiques. Les défis auxquels nous devons maintenant faire face sont de continuer à attirer l’attention sur les liens entre l’UE et Israël et d’exiger une réelle action contre l’état d’apartheid.
David Cronin, le 27 novembre 2013.
David Cronin est le correspondant de l’agence de presse Inter Press Service.
Né à Dublin en 1971, il a écrit pour diverses publications irlandaises avant de commencer à travailler à Bruxelles en 1995. Son dernier livre, " Corporate Europe : How Big Business Sets Policies on Food, Climate and War " est publié en août chez Pluto Press .