Ce qui se passe dans le nord de la Syrie, et plus particulièrement dans la région d’Alep, depuis la reddition des groupes terroristes retranchés à Daraya, échappe aux esprits superficiels des prétendus opposants révolutionnaires syriens qui pleurent à tour de rôle devant les écrans des canaux satellitaires saoudiens, et d’ailleurs, sur la défaite de leurs milices, car une entente a bien eu lieu entre les grands.
Pour Nasser Kandil [1], cette entente se résume à dire que les Saoudiens auront à payer la facture des guerres dans la région et que la Turquie sauve sa peau aux dépens des Kurdes « autonomistes » du nord de la Syrie, lesquels ont bénéficié du soutien de la Russie, de la Syrie et de l’Iran, jusqu’à ce que leurs chefs remettent leur sort entre les mains des États-Unis qui les ont trahis en les vendant aux Turcs, après avoir eux-mêmes trahi leur patrie syrienne.
En effet, le tri entre les groupes armés terroristes et les groupes armés prétendument « modérés », exigé par les Russes et jugé insurmontable par les États-Unis qui continuent à traîner les pieds, serait en cours :
- ceux inféodés à l’Arabie saoudite rassemblés à Idleb,
- ceux inféodés à la Turquie destinés à combattre Daech contre un siège réservé à la table des prochaines négociations à Genève.
C’est donc le projet saoudien qui est tombé à Daraya, car le Rif de Damas dont elle constituait le nerf de la guerre, avec Douma comme arrière cour, étaient les seules zones où l’influence saoudienne échappait aux baïonnettes des janissaires turcs. Autrement dit, une chance a été donnée aux Turcs de se débarrasser de leur cauchemar kurde dans le nord de la Syrie, contre quoi ils ont livré le scalp des Saoudiens.
Lesquels Saoudiens subissent une lourde défaite au Yémen où il ne leur reste plus qu’un seul choix alors qu’ils ont épuisé tous leurs alliés des pays du Golfe jusqu’au Soudan : leur retrait unilatéral, sous n’importe quel prétexte, contre un accord tacite stipulant l’arrêt de la progression des unités de l’armée yéménite et des comités populaires à l’intérieur de leur frontière et dans les villes des régions historiquement yéménites de Najran, Jizan et Asir.
Et maintenant que les rôles des uns des autres sont plus ou moins clairement définis, l’offensive globale contre le terrorisme sur les fronts syrien et yéménite ne devrait pas tarder ; les USA et la Turquie ayant fini par comprendre que rejoindre le camp des vainqueurs est possible, moyennant deux conditions :
- cesser de rêver à la dislocation de l’État syrien, à la défaite de son Armée et au renversement de son Président ;
- prendre part à la victoire contre les ennemis de l’État syrien même si ces ennemis sont leurs amis, ce qui est le cas des Turcs avec l’Arabie saoudite, le Front al-Nosra et Ahrar al-Cham, et le cas des USA avec l’Arabie saoudite et les milices kurdes ou islamistes qu’ils ont entraînées et armées pour leur propre intérêt.
En d’autres termes, l’alliance syro-russo-iranienne a triomphé, mais laisse à la Turquie et aux États-Unis une chance de triompher à leur tour. Reste à savoir, si les dirigeants Kurdes profiteront de la fenêtre des réconciliations, grande ouverte, par les autorités syriennes pour se repositionner correctement avant qu’ils ne payent une trop lourde addition.
Or, pour l’ensemble des observateurs régionaux qui comptent, le problème des USA, est d’arriver à obtenir un cessez-le-feu entre leurs deux alliés qui n’ont apparemment pas l’intention de se consacrer au combat contre Daech : les Kurdes syriens « autonomistes », dont le seul objectif est de contrôler une bande géographique allant de Qamichli à Efrin, la preuve en est qu’ils ont renoncé à le combattre à Raqqa et se sont dirigés vers Manbej dont la population est dans sa grande majorité arabe ; les Turcs, dont le seul objectif est de les en empêcher.
Certains observateurs pensent que le combat turco-kurde en terre syrienne continuera tant que les deux parties ne se seront pas épuisées mutuellement et que ce ne serait pas pour déplaire à leurs alliés et à leurs ennemis à la fois.
Justement, aujourd’hui 31 août, le ministre turc des Affaires européennes, Omer Celik, a refusé avec indignation l’annonce d’une trêve avec les milices kurdes, faite la veille et présentée comme « non officielle » par Washington :
« Nous n’acceptons sous aucune circonstance…un compromis ou un cessez-le-feu entre la Turquie et les éléments kurdes… la République turque est un État souverain et légitime qui ne peut être mis sur un pied d’égalité avec une organisation terroriste » [2].
C’est le cas de dire que la roue tourne et que les oreilles bourdonnent en entendant un représentant de la Turquie d’Erdogan parler du droit souverain d’un pays de se défendre contre des terroristes sévissant depuis plus de cinq ans sur son propre territoire et non chez le voisin.
Un refus prédit et expliqué hier par le Général Élias Farhat sur Al-Mayadeen [3], rappel des faits, carte à l’appui :
Jarablus était occupée par les forces de Daech lorsque l’opération « Bouclier de l’Euphrate » à été lancée à l’aube du 24 août par les Forces armées turques à partir de Karkamiche [4]. Le retrait de Daech vers Al-Bab était organisé et il semble qu’il y ait eu coordination avec les Renseignements turcs, notamment parce que tout s’est déroulé sans combat, alors que Daech nous a habitués à sa folie meurtrière. Tous les médias régionaux en ont été témoins.
Par conséquent, aujourd’hui Al-Bab est le plus grand fief de Daech au nord-est d’Alep ; Manbej et certains villages au nord du fleuve Sajour -lequel prend sa source en Turquie dans la région de Gaziantap et se jette dans l’Euphrate en Syrie à moins de 20 Kms de Manbej- étant toujours aux mains des Kurdes. Autrement dit, à l’ouest de l’Euphrate, ligne rouge inlassablement dessinée par la Turquie et à propos de laquelle Joe Biden, vice-président des USA, en visite à Ankara la semaine dernière, avait clairement dit que les forces kurdes devaient retraverser l’Euphrate vers l’est, faute de quoi elles perdraient le soutien des États-Unis. C’es donc une situation qui risque d’obliger les forces turques à entrer dans Manbej et ces villages à l’Ouest de L’Euphrate, [dont les populations ont été suffisamment maltraités par les Kurdes, soit dit en passant], ce qui signifie qu’elles s’aventureront dangereusement vers le sud sans savoir d’où viendront les coups.
Il est hautement improbable que les Kurdes se retirent vers l’est de l’Euphrate. Tout ce qui s’est passé est « un changement de nom » [Encore un !] Là où se trouvaient les FDS [Forces Démocratiques Syriennes] et les YPG [Unités de protection du peuple], on parle désormais de « Conseils militaires » : le Conseil militaire de Manbej, le Conseil militaire de Jarablus, etc.
Ceux qui racontent, comme dans le New York Times, que le Pentagone soutient les FDS tandis que la CIA soutient l’ASL, se font des illusions. La décision de l’Administration américaine est « une » et il n’est pas impossible qu’elle consiste à éreinter les deux camps, lesquels se sont télescopés avant l’heure, sa priorité du moment étant la compétition apparente dans la lutte contre Daech, lequel est tranquille à Al-Bab et avance dans les villages voisins. D’où un vrai problème, car il n’est pas question que l’Armée syrienne et les Russes volent la victoire sur Daech aux USA, rappelez-vous leur dépit manifeste lors de la libération de Palmyre.
Si cette trêve entre les « Conseils militaires » des Kurdes et, finalement, la prétendue Armée Syrienne Libre [ASL] était confirmée, ce serait une défaite cinglante pour la Turquie qui aurait été obligée d’accepter que les Kurdes contrôlent le nord de la Syrie, le long de sa frontière. C’est pourquoi, je n’y crois pas, conclut le Général Farhat.
Ici, nous rappelons que la prétendue ASL qui a remplacé Daech à Jarablus, sous la bannière turque et sans combat, regroupe un minimum de trois factions terroristes : Faylak al-Rahman, Liwa’ al-sultan Mourad, Liwa’ Nour el-dine al-zenki ; trois factions acquises à Erdogan et bras armés des Frères Musulmans. Les joyeux drilles de la dernière faction citée s’étant filmés, hilares, en égorgeant l’enfant palestinien de douze ans, Abdallah Issa, à Alep, en compagnie du fameux photographe qui nous a ensuite gratifié de la photo de l’enfant Oumran ensanglanté et poussiéreux ; les propagandistes de l’AFP ayant sans doute jugé que l’effet pleureur anti-syrien de la photo de l’enfant Aylan s’était estompé [5].
Une résurrection de l’ASL d’ailleurs confirmée, il y a trois jours, par le porte-parole de la Présidence turque, Ibrahim Kalin, dans le quotidien turc Sabah, où il invite l’Administration américaine à réviser sa politique à l’égard du PYD et à cesser d’entretenir le mythe des YPG comme seules forces capables de frapper Daech en Syrie, puisque, comme prouvé à Jarablous, l’ASL, moyennant un peu de soutien est parfaitement capable de le combattre et de purifier les régions infestées tout en combattant les Forces du régime syrien [6].
Par conséquent, entendre des officiels turcs déclarer par tous les canaux possibles et imaginables que l’objectif politique de l’opération « Bouclier de l’Euphrate » est de garantir l’intégrité territoriale de la Syrie, ou que la Syrie jouerait le jeu d’Erdogan, quand certains ne vont pas jusqu’à parler d’alliance et de troc de ceci contre cela, alors que le gouvernement syrien ne s’est prononcé que pour condamner une agression caractérisée sur la Syrie, c’est vite aller en besogne et méconnaître l’intelligence des dirigeants de l’État syrien et de ses alliés, qui ne se laissent pas piéger aussi stupidement et ne mènent pas leur guerre par procuration, en exploitant le rêve des uns et le terrorisme des autres.
D’autant plus que l’intégrité territoriale de la Syrie ne consiste pas à ce qu’Erdogan, « le pilleur d’Alep », plante le drapeau de la Turquie et des Frères Musulmans en terre syrienne pour compenser l’échec de son plan fondé sur leur installation au pouvoir sur tout un arc géographique allant de l’Afrique du Nord à la Syrie.
Et, comme l’écrivait le Général Amine Hoteit, ce 29 août dans le quotidien Al-Thawra [7], la Turquie peut toujours continuer à justifier son agression en prétendant vouloir protéger sa sécurité nationale menacée par le projet d’un Kurdistan de l’Ouest. Mais qui lui a dit que ce projet était réalisable ou justifiable et que la Syrie, qui a fait échouer les quatre plans successifs de ses alliés américano-sionistes ces dernières cinq années, le permettra ? Ne serait-il pas tombé dans le piège des États-Unis qui ont joué la carte kurde pour le mettre au pas ?
Autant de questions, autant de supputations. Ce qui est certain pour les Syriens patriotes, y compris les Kurdes -à propos desquels nous mettons au défi les médias étrangers de nous signaler une seule déclaration officielle et même une émission de la Télévision nationale qui en parlent autrement qu’en termes de « nos frères kurdes »- il n’y a pas de Kurdistan syrien. Il y a des Kurdes syriens ou des Syriens kurdes, peu importe. Des Syriens ont trahi, certains sont kurdes, d’autres ne le sont pas. Nous y reviendrons…
Pour le moment, nous conclurons cette revue de presse par ces paroles du secrétaire de l’Assemblée nationale syrienne, M. Khaled Abboud [8] que nous venons d’entendre et qui tombent fort à propos :
« Cela fait cinq ans et demi que nous sommes confrontés à tous les déchets de ce monde, des déchets qualifiés de révolutionnaires par tous les agresseurs de notre patrie syrienne. Une agression dans laquelle les Turcs se sont enfoncés jusqu’aux oreilles. Et voilà que certaines personnes de leur élite s’adressent à nous en tentant de désinfecter leurs comportements et les propos qu’ils ont tenus. La scène est pourtant claire et nous devons la fixer pour l’Histoire si nous voulons que l’on comprenne ce qui se passe. Erdogan est actuellement confronté à quelques milices des membres kurdes de notre famille syrienne, recrutés, formés et soutenus par ses alliés. Ce sont les alliés d’Erdogan qui les ont entraînés dans l’agression de la patrie syrienne et de la dislocation de la Syrie. Mais, Erdogan utilise qui ? La prétendue ASL ! Face à qui ? Face à nos frères kurdes ! Ne l’oublions pas ».
Par Mouna Alno-Nakhal
31/08/2016