Jeudi 13 juin 2002, Tamuz 3, 5762
La véritable portée de la politique d’encerclement pratiquée par Israël et l’institutionnalisation du système de permis pour les voyages à travers la Cisjordanie sont au mieux en contradiction directe avec l’intérêt que l’on y témoigne en Israël .
La politique d’encerclement est perçue comme un moyen légitime d’empêcher les attaques contre des Israéliens à l’intérieur du territoire d’Israël et sur les soldats et les colons dans la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Depuis septem`re 2000, l’encerclement de toutes les villes et villages palestiniens a été renforcé alors que dans le même temps, la motivation des jeunes Palestiniens pour se tuer en commettant des attaques suicides contre des Israéliens s’est accrue. Les Palestiniens l’interprétent comme une réaction à l’étouffement très concret que génère le siège, aussi bien que comme une métaphore de leur absence totale d’espoir de mener une vie libre. Du côté israélien, la majorité est convaincue qu’il n’y a aucun rapport entre les deux et que même sans les sièges, le nombre d’attaques augmenterait énormément.
Aussi, il ne sert à rien de rappeler aux israéliens ce qu’il y a d’immoral à enfermer efficacement 3 millions de personnes dans des enclaves et à les coincer entre les fils de fer barbelé et d’effrayants barrages de l’armée. Ce que les Palestiniens perçoivent comme des punitions collectives impitoyables, les Israéliens le perçoivent comme un mal nécessaire qui peut certes « gêner » des innocents, mais permet de limiter le recours aux armes.
Pour les même raisons, les explications données par le coordonnateur de l’activité du gouvernement dans les territoires concernant le système de permis de passage dans la Cisjordanie, censé soulager la situation des Palestiniens, leurs semblent logiques. Et l’armée d’Israël a tout fait ces dernières semaines pour permettre au coordonnateur du gouvernement de clarifier sa position. La fermeture de plus en plus hermétique de chaque ville et village est ainsi de plus en plus violente. Et quand les gens sont envoyés aux bureaux de l’administration municipale pour quémander l’autorisation de faire les choses les plus basiques de la vie quotidienne - travailler, aller à l’école, chez le médecin, des amis, la famille - cela apparaît presque humain en comparaison.
Néanmoins, voici un scénario élaboré en tirant les conséquences de la politique d’encerclement. La plupart des personnes ont cru que le système des permis de passage serait "une mesure provisoire." Mais maintenant qu’il couvre chaque mouvement palestinien à l’intérieur des territoires, il n’est plus possible de le distinguer de l’existence des colonies. Les sièges internes sont censés assurer leur sécurité et celle des soldats qui protègent les colonies. Bien loin des illusions de ceux qui soutiennent la paix, Israël ne considère pas les colonies comme "provisoires" ou comme "une carte à jouer." Les statistiques concernant leur croissance durant la "décennie de paix" de Madrid et d’Oslo en témoignent.
les institutions bureaucratiques ont tendance à se perpétuer et à perpétuer leurs méthodes. L’armée d’Israël et l’administration civile feront tout qu’elles peuvent dans les années à venir pour convaincre quiconque en aura besoin qu’il n’est toujours pas temps de renoncer au système des permis de passage, ce qui signifie la surveillance maximale de tous les mouvements palestiniens. Cette perspective influencera les négociations politiques dans les années à venir.
De même que le permis de passage entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie est devenu une exception permanente, les permis de voyage pour les déplacements à l’intérieur de la Cisjordanie deviendront permanent. Les gens attendront des jours et des semaines la permission d’aller d’une ville à la suivante et cette autorisation ne sera pas accordée- que ce soit par manque d’employés, ou à cause des efforts engagés pour les recruter comme informateurs. Toute activité commerciale et industrielle nécessitera les bonnes grâces d’un fonctionnaire israélien qui appliquera son interprétation personnelle des règles mises en place par le Shin Beth et l’armée et ces règles changeront quotidiennement.
la Banque mondiale a averti que les sièges et les fermetures sont en contradiction totales avec les logiques de développement du secteur privé. Il faudra seulement quelques mois pour que la division de la Cisjordanie en enclaves séparées réduise la plus grande partie de la population palestinienne à l’état d’assistés. Le système d’enseignement supérieur s’effondrera complétement - étant entendu que les autorités sécuritaires en Israël ont toujours considéré les étudiants comme une population dangereuse à qui l’on ne doit pas permettre de voyager. Il sera impossible de sauver les industries à cause du besoin de financement dans d’autres villes, des frais commerciaux (le système de maraîchage dos-à -dos, qui exige des transferts multiples de marchandises d’un camion à l’autre aux faubourgs de chaque ville, interdisant leur transport direct de ville en ville), la difficulté de trouver du travail et le manque de terres (la plupart des terres se trouvent hors des secteurs sous siège).
les sièges causent déjà des problème sanitaires sévères ainsi que des problèmes de santé. Il y aura des signes de sous-alimentation, il sera difficile de déplacer des déchets dans des secteurs à l’extérieur des frontières du siège et les réserves d’eau sont à cours, en particulier dans ces villages qui dépendent de la livraison régulière de conteneurs d’eau. Tout ceci en plus des retards de médicaments et de vaccination des enfants en bas âge. Avec la croissance des problèmes de chômage, de tels problèmes et beaucoup d’autres ne feront qu’empirer.
L’emprisonnement à long terme dans les enclaves paralyse les sens, le désir et la capacité d’amorcer des actions, bloquant la créativité individuelle et collective. Mais il pousse vraisemblablement les jeunes gens les plus désespérés à rêver de leur propre réaction destructrice face à la politique israélienne, peu importe la difficulté de l’accomplir.
Ceci n’est qu’un scénario imaginaire à l’adresse de ceux qui ne sont pas prêts à regarder ce qui arrive à un kilomètre de leurs maisons ainsi qu’à ceux qui ne sont prêts à penser "à la sécurité" qu’en des termes qui n’ont rien à voir avec le long terme.
Ce texte est une traduction d’un article de Amira Haas paru dans sa version originale sur Haaretz