Vers la gratuité de la restauration sociale
Le droit à l’alimentation est reconnu internationalement. Né officiellement, en 1996, lors du sommet mondial sur l’alimentation réuni à Rome (Italie), il se trouvait déjà dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, dans des textes spécifiques dont la Convention internationale sur les droits des enfants et dans des textes régionaux (Europe) ou nationaux. Les débats, accompagnant ces déclarations, ne laissent aucun doute : le droit à l’alimentation n’est pas celui à une ration minimale de calories, de protéines et autres nutriments. Ce n’est pas davantage le droit à être nourri mais à se nourrir, c’est-à-dire à disposer d’une alimentation suffisante et de qualité choisie en fonction de ses valeurs culturelles et de son patrimoine naturel. Le droit à l’alimentation ne relève pas plus que les autres droits (à l’eau, aux transports, au logement, etc.) d’une vision misérabiliste.
L’échec tragique du système marchand
Ce droit essentiel à l’alimentation est pourtant violé chaque jour. La faim progresse de nouveau, en 2017, dans le monde, après une longue période de recul. La FAO estime que le nombre de personnes sous-alimentées est passé de 777 millions en 2015 à 815 millions en 2016 et s’approche des 900 millions soit une personne sur huit ou neuf. Dans les pays du Sud, un enfant sur six souffre d’insuffisance pondérale et un sur quatre connaît un retard de croissance. La malnutrition s’avère responsable de la mort de 3,1 millions d’enfants de moins de cinq ans chaque année soit la moitié (45 %) des décès. Jean Ziegler (ancien porte-parole de la FAO) rappelle que cette tragédie ne s’explique nullement par une insuffisance structurelle mais uniquement par les choix politiques effectués et le poids des marchés et des fonds d’investissement qui spéculent sur les denrées. Lors d’une récente émission, nous avons pu confronter nos points de vue avec Josef Zisyadis (vice-Président de Slow food en Suisse, directeur de la semaine du goût) et François Pythoud, ambassadeur de la Suisse auprès de la FAO, nous étions d’accord pour dire que ce drame ne se réglera pas sans changement de politiques agricoles . Il existe des ennemis du droit à l’alimentation qui ont le visage des spéculateurs agroalimentaires et des voleurs de terre. Le droit à l’alimentation passe nécessairement par la reconnaissance de la souveraineté alimentaire donc par des choix de société. Nous savons assez bien ce qu’il faudrait faire pour être capable de nourrir demain dix milliards d’humains, grâce à l’agroécologie, à l’agriculture biologique, à la permaculture, mais nous n’y parvenons pas, car nous avons choisi d’être, dans ce domaine, des unijambistes... Nous croyons pouvoir tenir sur la seule jambe des politiques agricoles mais nous oublions l’autre jambe, celle des politiques alimentaires. Le passage à la gratuité de la restauration scolaire, puis sociale, est le plus court chemin pour renouer avec ces politiques alimentaires et réussir la nécessaire transition écologique. J’ai, dans ce domaine, une seule certitude, nous gagnerons si la table de demain est meilleure que celle d’aujourd’hui, que si elle est en mesure de combler toutes les dimensions de nos êtres, biologique, sociale, écologique, onirique.
Le droit à la cantine pour tous !
La reconnaissance du droit à la cantine pour tous est la première étape pour avancer vers la gratuité de la restauration scolaire. Adopté, une première fois par l’Assemblée Nationale, en 2015, ce principe a été rejeté par la majorité de droite du Sénat, sous prétexte que ce nouveau droit serait « inutile, inopportun et inopérant ». La proposition fut réintroduite, sous forme d’un amendement, dans la loi sur l’égalité et la citoyenneté, malgré l’opposition toujours têtue de la droite. Ce droit, devenu effectif en janvier 2018, connaît, encore, beaucoup trop de restrictions pour nous satisfaire. Cette règle ne s’applique, en effet, que si le service de la cantine existe et si le nombre de places s’avère suffisant, sinon le maire pourra toujours instaurer un système de priorité d’accès pour certains enfants ! L’honneur républicain semble sauf, puisque la mesure d’exclusion est désormais fondée sur une nécessité d’intérêt général, mais des enfants resteront toujours à la porte des cantines scolaires. Il faut donc aller plus loin en instaurant l’obligation des cantines dans les communes et celle d’accueillir tous les enfants qui le souhaitent. Imaginerait-on de refuser de scolariser un enfant, sous prétexte qu’une école n’existerait pas ou qu’elle manquerait de bancs ? La restauration scolaire est non seulement un droit biologique mais culturel, parce qu’elle contribue au développement de la culture alimentaire et donc de la capacité de jugement des enfants, elle est inséparable des autres domaines de la culture, comme le français et les mathématiques et relève de la même mission d’éducation. Ce rappel est d’autant plus nécessaire que des villes d’extrême-droite, de droite et parfois de gauche excluent toujours les enfants de chômeurs et suppriment la gratuité pour ceux qui en bénéficient.
Le service communal de la cantine dépend du maire, mais, selon le Défenseur des droits, il ne dispose pas du pouvoir souverain d’appréciation quant à la possibilité d’y accepter/refuser des enfants . Toute distinction opérée entre des personnes placées dans une situation comparable sur la base d’un critère prohibé (origine, situation de famille, état de santé, handicap, religion) constitue un délit, au regard des articles L 225.1 et 2 du Code pénal, et, le maire fautif est passible de cinq ans de prison et de 75000 euros d’amende, mais uniquement s’il ne met pas en place des mesures appropriées (achat de mobiliers différents, autre organisation du service, etc.), avant de prendre sa décision de rejet fondée sur une insuffisante capacité, sur l’absence d’AVS pour aider les enfants handicapés, sur l’incapacité de certains enfants à gérer seuls leur alimentation, etc. Les restaurants scolaires n’ont nullement l’obligation de fournir des repas adaptés à des conceptions religieuses ou philosophiques.
La gratuité contre l’indignité
Le droit à la cantine gratuite pour tous s’inscrit à contre courant de la scandaleuse pratique du lunch shaming (littéralement « déjeuner dégradant ») qui se développe, depuis les Etats-Unis, et qui consiste à stigmatiser ceux dont les parents ne peuvent pas payer (dès deux repas non réglés). Cette mesure s’applique des écoles primaires aux lycées et peut viser, en même temps, plusieurs dizaines de jeunes. Ces enfants, installés à part, ont l’obligation de nettoyer les tables, de passer le balai, ils doivent porter un bracelet spécial pour que le personnel puisse les identifier immédiatement, ils peuvent même avoir le poignet tamponné avec la mention « J’ai besoin d’argent pour déjeuner », ils reçoivent un repas froid vendu au même prix (un sandwich au fromage) tandis que leur repas chaud est jeté ! Des employés de cantines ont été contraints de démissionner, dans plusieurs districts, parce qu’ils refusaient d’appliquer ces directives. Des aides sociales existent certes, mais elles s’avèrent totalement insuffisantes et inopérantes. 75 % des districts nord-américains ont ainsi des dettes alimentaires non payés et qui ne le seront jamais ! Le Nouveau-Mexique est le premier Etat à interdire le lunch shaming, grâce au vote de la loi « contre la faim des élèves » (interdiction des corvées et de tamponner le bras). Mick Mulvaney, directeur du Bureau de la gestion et du budget de Donald Trump, a réagi en déclarant que les étudiants à faibles revenus, bénéficiant de repas gratuits, « ne font pas forcément mieux à l’école que ceux qui ont faim ». Pour lui, les programmes des repas gratuits « ne sont pas des dépenses éducatives valables » et doivent être rejetés.
Ces pratiques de lunch shaming se répandent dans le monde, notamment en Europe et la France n’y échappe pas totalement. Que penser, par exemple, des écrans numériques situés à l’entrée des cantines qui affichent le nom de famille des mauvais payeurs ? Que penser des menus spéciaux composés exclusivement de raviolis ? Que dire des radiations d’enfants pour impayés, du refus de les laisser pénétrer dans les cantines, du fait de les faire raccompagner par la force publique ou de les placer en garde dans un commissariat ?
Comment financer la gratuité des cantines ?
La gratuité des cantines engendre, bien sûr, un coût supplémentaire. Ce coût, comme celui du bio-local, constitue un réel choix de société. Combien sommes-nous prêts à investir pour la santé des enfants, pour l’éveil sensoriel, pour l’éducation au goût ? Sans compter que même les citoyens qui n’ont pas d’enfants en seraient bénéficiaires, car une bonne alimentation garantit beaucoup moins de dépenses de santé, prises en charge par la sécurité sociale, et certifie de réussir au mieux la nécessaire transition écologique. Les sources de financement sont, par ailleurs, diverses et suffisantes. Des villes ont choisi de financer elles-mêmes la gratuité, d’autant plus que les expériences prouvent que les montants ne sont pas aussi élevés, en raison, notamment, des économies réalisées par la suppression des frais administratifs de facturation et de contrôle. Le principal problème reste que la gratuité est victime de son succès et que les communes doivent faire face à un afflux d’enfants, donc à un besoin d’investissements complémentaires et d’embauche... Cet argument est, cependant, assez spécieux car il revient à dire que la gratuité ne devrait pas être appliquée sous peine de faire de la cantine un service public auquel chacun souhaiterait accéder, alors que la facturation servirait à en limiter fortement l’accès.... Il serait beaucoup plus judicieux d’en faire assurer le financement par l’Etat, puisque l’alimentation fait partie de l’éducation, au même titre que l’éducation physique et sportive, que l’expression artistique... Je propose donc de mobiliser trois taxes : une sur les produits gras et sucrés (dont on parle depuis longtemps mais dont le rendement serait assez vite faible, à croire l’exemple danois, puisqu’elle a transformé, en moins de deux ans, les comportements alimentaires), une sur les publicités concernant les produits trop caloriques, l’utilisation d’une partie de la Taxe intérieure sur les produits énergétiques (TIPE qui a remplacé la TIPP) dont le produit s’approche des 25 milliards. Comme il s’agit officiellement d’une écotaxe permettant d’internaliser les coûts environnements, il serait logique de la mettre au service de la transition écologique, et donc de la restauration scolaire, au besoin en revoyant certaines exonérations, comme celles concernant l’aviation, ou certains régimes trop favorables comme ceux du transport routier ou de l’agriculture.
La gratuité une réponse à la malnutrition
La gratuité de la restauration scolaire répond à la crise alimentaire qui touche une fraction importante des résidants français. On estime cette population critique entre 3,7 et 7,1 millions de personnes. La malnutrition progresse en raison de l’augmentation des prix qui a surtout concerné les marques les moins chères donc celles correspondant aux dépenses alimentaires des plus pauvres. Se nourrir est la préoccupation principale des personnes en difficulté. L’Institut de veille sanitaire a réalisé une étude sur 1000 personnes ayant recours aux colis alimentaires : 10 % sont dans un état proche du scorbut, 25 % sont victimes d’hypertension, 20 % des femmes sont anémiées, 56 % des personnes sont en surpoids ou obèses, etc. Je précise que les consommateurs de malbouffe sont loin d’être idiots : si l’objectif est de lutter contre la sensation de faim, un euro de légumes et de fruits frais apporte 76 calories en moyenne, alors qu’un euro de chips, de barres chocolatées apporte 400 calories. Les plus pauvres effectuent donc le « bon » choix (le plus rentable sous le rapport coût-calories) en se nourrissant mal.
Les familles en situation de précarité disposent de 2,6 euros par personne et par jour pour se nourrir alors que le seuil est de 3,5 euros pour couvrir les apports conseillés et échapper aux carences. Les étudiants en situation de précarité comptent largement au nombre des victimes de la malbouffe. Un étudiant sur cinq ne mange rarement ou jamais de viande, un sur deux du poisson. Les étudiants sont globalement en perte d’équilibre alimentaire, avec des carences en légumes et laitages, 20 % d’entre eux ne prennent que deux repas sur jour, 46 % sautent un repas par semaine, un sur dix saute un repas tous les 15 jours. Cette malnutrition concerne aussi les tout petits : l’association SOS biberons témoigne que les familles passent trop rapidement au lait de vache, alors qu’on conseille d’arrêter le lait enrichi en fer à partir d’un an seulement, d’où des problèmes d’anémie, d’eczéma, d’allergies alimentaires, etc. (que payera la sécurité sociale).
L’aide alimentaire s’avère moins que jamais à la hauteur des enjeux. Les quatre millions de bénéficiaires se recrutent dans un public toujours plus diversifié, salariés à faibles revenus, chômeurs, retraités, migrants en difficulté, jeunes en rupture familiale, personnes en souffrance psychique, etc. Cette aide est assurée, en partie, par des institutions officielles comme feu le Programme Européen d’aide aux plus démunis (PEAD) qui a disparu, en 2014, faute d’excédents agricoles, pour laisser la place à un Fonds européen d’aide aux plus démunis, dont le budget est en net recul. J’ai toujours trouvé choquant que l’aide dépendait des excédents, c’est-à-dire du choix d’un modèle productiviste gaspilleur et nuisible ! Un Plan national d’aide alimentaire (PNAA) a été conçu pour pallier aux besoins non couverts par le programme européen, via quatre structures : la Fédération nationale des banques alimentaires, le Secours populaire français, les Restos du cœur et la Croix Rouge française. Un nouveau Programme de développement de l’aide alimentaire a été mis en place pour faire face à l’augmentation du coût d’achats des denrées et à la baisse des dons lors des collectes. Le Programme alimentation et insertion (PAI), créé avec le soutien des industriels, entend apprendre aux personnes en précarité alimentaire à mieux manger en dépensant également moins. Ces organismes ont publié un Guide des bonnes pratiques de l’aide alimentaire, un Calendrier des recettes (simples et économes), et, le Vitapoche, aliment enrichi pour les SDF (conçu en collaboration entre l’INRA et l’INSERM) et très critiqué par les associations spécialisées.
Les acteurs (Banques alimentaires, Restos du cœur, Secours populaire français, Secours catholique, Incroyables comestibles, etc.) constatent le manque crucial de moyens financiers alors que le nombre de bénéficiaires à aider augmente continuellement. Les Restos du cœur ont distribué plus de 75 millions de repas en 2016. Tous déplorent des approvisionnements insuffisants et de mauvaise qualité pour les produits frais (légumes et fruits), la viande et le poisson.
La restauration sociale, une chance pour la France
La grande chance de la France reste l’importance de la restauration sociale, soit plus d’un repas hors foyer sur deux. Les cantines scolaires en représentent 41 %, les cantines d’entreprise 15 %, la restauration collective dans le domaine sanitaire et social 40 %, etc. 19 % des salariés mangent au moins une fois par semaine dans les cantines, 6 % une fois, 7 % deux à trois fois et 6 % de quatre à cinq fois. 63 % des enfants du primaire et de maternelle et 69 % des collégiens et lycéens mangent au moins une fois par semaine à la cantine et 50 % des premiers et 64 % des seconds au moins trois fois. Ces repas, composés de davantage de plats, sont beaucoup mieux équilibrés et (ce qui ne gâche rien) pris en commun. Selon le CREDOC, la restauration scolaire garantit un bien meilleur équilibre nutritionnel, 56 % d’entre eux comportent au moins six composants contre 26 % pour les repas à domicile et ils sont davantage conformes aux recommandations (légumes, poisson, viande, pain).
Je soutiens qu’avec un minimum de volonté politique, on pourrait faire des cantines un levier pour réussir la transition écologique ! La restauration sociale, au lieu d’être regardée comme une charge et un sous-produit, doit devenir le fleuron de notre alimentation ! Je rêve, certes, pour demain, de la gratuité de toute la restauration sociale mais commençons par organiser celle des cantines scolaires.
Vive la cantoche gratuite !
Les cantines scolaires ont, d’abord, été le fait, au 19e siècle, de particuliers ou d’associations qui souhaitaient assurer un repas suffisant et chaud par jour scolaire aux enfants d’indigents. Cette image a longtemps collé à la restauration scolaire et l’a desservie. Il faut attendre 1936 et le Front populaire pour que le Secrétaire d’Etat à l’Education nationale établisse l’obligation de construire un réfectoire dans toute nouvelle école. L’Etat prenant en charge environ la moitié des dépenses de construction via des subventions. La cantine n’est cependant obligatoire que dans les collèges et lycées. Plus de 20000 cantines communales couvrent 80 % des écoles. Plus de six millions de jeunes s’y restaurent régulièrement, soit la moitié des élèves des écoles primaires et les deux tiers des collégiens et lycéens, ce qui représente deux fois plus qu’en 1970. 400 millions de repas sont servis, chaque année, dans les écoles primaires, pour un coût moyen de 7 euros, facturé aux parents entre 2,5 et 3 euros, et, 600 millions de repas sont assurés dans les collèges et lycées pour un coût de 9 euros, facturé de 3,5 à 4 euros. 80 % des repas sont préparés en cuisine centrale et 20 % seulement sur place. L’effort des communes atteint 1,5 milliard d’euros, celui des départements et régions 3,5 milliards. La fréquentation des cantines augmente avec le niveau social et culturel des parents. Les CCAS prennent souvent en charge le coût de la restauration pour les familles ayant un faible quotient familial (au sens de la CAF).
Les rares expériences françaises
Je milite, depuis des années, pour le retour en régie municipale de la restauration scolaire et j’avoue qu’obtenir que la cuisine soit faite sur place avec des produits bio-locaux et servie à table, apparaît, déjà, comme une prouesse, malgré le succès des multiples réalisations. Les expériences de gratuité se comptent sur les doigts d’une seule main et ont été faites par des maires UDF/Modem, qu’il s’agisse de Noisy-le-sec, de Drancy ou du Bourget, puis supprimées par la gauche. Le député-maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde avait même déposé une proposition de loi pour instaurer la gratuité des cantines pendant toute la durée de la scolarité obligatoire. Cette suggestion avait provoqué une levée de boucliers parmi les maires de France. Jean Pellissard (Président de l’AMF) avait parlé d’une mesure déresponsabilisante, Philippe Laurent (Président de la Commission des finances de l’AMF) soutenait que « la gratuité des services publics n’a jamais été une solution. Ce qui est gratuit n’est pas respecté ». L’ANDEV, réseau des directeurs de l’éducation des villes de France, s’était élevée contre la gratuité car en développant la fréquentation, elle risquerait d’augmenter les cas de refus d’accès en privilégiant les parents qui travaillent et non pas les plus modestes.
Le succès des expériences étrangères
Il faut croire que la France bénéficie d’un climat néfaste à la gratuité de la restauration scolaire, car ce qui est réputé ne pas être possible fonctionne, par exemple, dans le Nord de l’Europe, comme en Suède, où la totalité des enfants d’âge scolaire mangent gratuitement à la cantine durant les neuf années d’enseignement obligatoire (7 à 16 ans). Il faut croire aussi que nos élus sont plus maladroits ou timorés que ceux d’autres nations, y compris de pays (très) pauvres, puisque l’Unicef préconise la gratuité des cantines scolaires comme instrument essentiel de la scolarisation des jeunes enfants. Ainsi au Kenya, 1,3 million d’enfants ont regagné les bancs de l’école lorsqu’un repas leur a été offert à midi.
Transformer les cantines !
Je précise qu’il ne s’agit pas de rendre gratuite la restauration industrielle mais d’utiliser le passage à la gratuité pour aller vers une alimentation faite sur place, servie à table, relocalisée, resaisonnalisée, moins gourmande en eau, moins carnée, assurant la biodiversité et permettant aux enfants de redécouvrir ce que manger veut dire, qu’une alimentation ne doit pas être seulement bonne à manger mais bonne à penser, que les notions de partage et de plaisir sont tout aussi importantes que l’équilibre nutritionnel du repas...
J’insiste sur la réintroduction de la lenteur nécessaire à la qualité du repas. Les études prouvent que le temps du repas s’abaisse à 16 minutes, lorsque qu’il est servi sous forme de self-service, alors que la circulaire du 25 juin 2001 recommande au moins 30 minutes. L’alimentation lente (slow food) constitue une alternative à la néfaste-food. Changer de politique alimentaire revient aussi à prendre au sérieux nos grands discours sur l’hygiène notamment des mains : 10 % des établissements n’ont pas de point d’eau à proximité de la cantine, on compte en moyenne un robinet pour cent-cinquante élèves, un établissement sur dix seulement propose du savon sous forme solide et un sur cinq une serviette pour s’essuyer. 20 % n’ont ni savon ni serviette mais on impose aux cantines la méthode du Système d’analyse des risques et de maîtrise des points critiques (Hazard Analysis Critical Control Point), mise au point en 1959 par le laboratoire dépendant de la NASA, avec le concours de la firme Pillsbury, pour les pemiers voyages spatiaux ! Cette méthode a été adoptée par une Directive européenne.
La gratuité ne devrait-elle pas être l’occasion de repenser la réglementation, afin de ne plus confondre l’hygiène et hygiénisme, car en choisissant de travailler avec des produits bio-locaux, cuisinés sur place, les besoins en matière de sécurité ne sont plus les mêmes que dans le cadre d’usine-cuisine industrielle ?
L’exemple de Mouans-Sartoux
Mouans-Sartoux est une ville située dans les Alpes-Maritimes. J’avais eu l’occasion de croiser son Maire André Aschieri lors du premier Forum international de la gratuité co-organisé en 2009. Cette ville est intéressante car elle prouve qu’il est possible d’agir. La restauration scolaire est 100 % bio depuis 2012 et cela fonctionne grâce à la révision du Cahier des charges de son marché public en introduisant des normes environnementales, en allotissant le marché et en réduisant le critère prix à 30 % de la note finale, grâce aussi à une régie municipale de production agricole unique en France. La ville a procédé par pallier : le bœuf bio en 1999 (contexte de la vache folle), puis le pain et la farine, les pommes, les salades, les laitages, les pommes de terre, les carottes, les pâtes, les céréales, les compotes, avec, en même temps, l’abandon des emballages à la portion, la chasse systématique au gaspillage, par des actions éducatives et en pesant, à la fin de chaque service, les déchets alimentaires. Cette chasse au gaspillage était nécessaire car il atteignait 40 kg par repas, d’où, une refonte totale des pratiques, des actions de formation des personnels, un engagement constant de l’encadrement pour favoriser la sensibilisation des enfants, le passage à une cuisine à la demande pour réajuster les quantités préparées et les quantités consommées, en proposant le choix entre une petite ou une grande ration en accord avec l’enfant, etc. La ville a obtenu ainsi une réduction de 75 % des quantités jetées et donc du coût-matière, alors que la cantine est passée à 100 % de bio. Comme quoi le bio ne coûte pas forcément plus cher contrairement aux rumeurs. En 2008, la ville décide de franchir une nouvelle étape, en n’utilisant plus seulement du bio (pouvant venir de l’autre bout du monde) mais du bio-local, ce que les bonnes âmes disent impossible. Sauf, bien sûr, si la collectivité choisit de s’en donner les moyens, en mobilisant des terrains municipaux pour produire des légumes bio locaux, en plantant des arbres fruitiers sur la commune dans le cadre de la réserve foncière, en acquérant, par voie de préemption, un ancien domaine agricole composé d’un terrain de quatre hectares, afin de fournir les trois cantines de la ville avec du bio local, couvrant ainsi 100 % des besoins pour les 1100 repas quotidiens. La ville a acheté un domaine un million d’euro en 2010 et a procédé à l’embauche d’une agricultrice pour cultiver deux des quatre hectares. Des choix techniques ont été faits pour adapter la récolte aux besoins des cantines et éviter le surplus en période de vacances scolaires. Avec des tunnels pour des récoltes précoces et tardives de légumes. Le coût du repas est passé de 1,9 euros en 2009 à 1,8 en 2011. Les surplus de production sont donnés à l’épicerie sociale gérée en régie, laquelle revend à hauteur de 10 à 20 % du coût du commerce...
La gratuité de la restauration scolaire, financée par l’Etat, doit être au cœur des prochaines élections municipales car elle a une vocation sociale, écologique, diététique, éducative, socialisante, politique.
Pour aller plus loin : Paul Ariès, Gratuité vs capitalisme (Larousse) et Une histoire politique de l’alimentation (Max Milo)