Le Ministère des Affaires Etrangères Allemand a accueilli avec satisfaction le geste tactique d’apaisement fait par le Président Poutine mercredi 7 mai. Le ministre social-démocrate Frank-Walter Steinmeier, a applaudi le « ton constructif » et en a souligné l’importance en « un moment décisif où il existe encore des possibilités d’éviter diplomatiquement une nouvelle escalade de violence et de perdre le contrôle sur la situation dans l’est de l’Ukraine ». Au Ministère toutefois on émettait des doutes quand à savoir si à moyen terme on parviendrait à résoudre les deux inconnues de l’Ukraine : stabiliser son économie et maintenir son intégrité territoriale.
Ce mercredi 7 mai, Poutine a demandé trois choses : « l’arrêt de toutes les opérations militaires et punitives au sud-est de l’Ukraine », « la mise en liberté de tous les prisonniers politiques », et que « s’initie un dialogue direct entre les autorités de Kiev et les représentants de sud-est ». Comme signe d’apaisement, Poutine proposa que les rebelles renoncent au référendum prévu pour le dimanche suivant et il ajouta que, bien que les élections voulues par Kiev le 25 mai « ne résoudront rien »si les droits de toute la population ne sont pas garantis « elles constituent un pas dans la bonne direction ».
La réponse d’Angela Merkel fut plus dure que celle de son ministre des affaires étrangères. Elle a déclaré que Poutine « contribue peu à l’apaisement effectif de cette dangereuse situation » et que son geste « ne donne pas un signe net sur la direction » que va prendre le Gouvernement Russe à partir de maintenant.
Bien que la OSCE et la Chancelière Angela Merkel, (qui parle timidement d’organiser une « table ronde »), souscrivent à l’appel à un dialogue direct, Kiev rejette cette proposition ainsi que toutes suggestions de cessez-le feu : « l’opération antiterroriste continuera indépendamment de la décision de tel ou tel groupe terroriste de la région de Donetsk », dit le secrétaire du conseil de Sécurité Nationale d’Ukraine, Andri Parubi, que Moscou accuse d’être un homme des Etats-Unis, et responsable de l’obscur massacre de citoyens et de policiers par des francs-tireurs le 20 février dernier à Kiev. Washington qui a des « dizaines » d’agents de la CIA et du FBI à Kiev, aidant à la déroute de la rébellion qui a éclaté dans l’est de l’Ukraine, appuie, évidemment ce qui sous d’autres latitudes (Lybie, Syrie) aurait été condamné comme l’ « emploi de l’armée contre sa propre population », et aurait été utilisé comme prétexte pour une « intervention humanitaire ».
Tout au long de l’hiver passé, l’emploi, non pas de l’armée mais de la police anti-émeute pour réprimer la protestation de Maidan à Kiev, a mérité tous types de condamnations et de solidarités de la part des gouvernements euro-atlantiques. Une fois que le changement de régime ait été acté sans passer par des élections, le ton a changé. Un épouvantable massacre a eu lieu à Odessa où, par hasard, toutes les victimes étaient des opposants au Gouvernement atlantiste de Kiev, de sorte que cet évènement qui aurait été considéré comme un crime dans un autre contexte, fut condamné à petite voix. L’utilisation de l’armée et blindés contre les rebelles est « une réponse raisonnable, proportionnée et, franchement, c’est ce que ferait n’importe lequel de nos pays face à une telle menace » a estimé Samantha Power, l’ambassadrice d’Obama à l’ONU.
Le sens du geste d’apaisement de Poutine est de pousser l’Allemagne à se démarquer de Washington. L’objectif des Etats-Unis dans le conflit actuel est que la Russie envahisse militairement l’Ukraine orientale. La logique de ce but est claire.
Même dans les régions du sud est les plus critiques au gouvernement de Kiev, et les plus belligérantes, ni la partition de l’Ukraine, ni l’annexion de certaines régions à la Russie, comme ce fut le cas de la Crimée, n’ont aujourd’hui un soutien majoritaire. Une intervention militaire Russe dans le sud est de l’Ukraine que ce soit pour empêcher le massacre de la population locale ou dans un but d’annexion, donnerait lieu à des réponses armées antirusses très opposées à celles que l’on observe aujourd’hui. Le Kremlin le sait et n’a aucune intention de se créer un Afghanistan chez lui. En même temps, la situation est très volatile et on ne peut pas exclure qu’à moyen ou long terme, l’action qui est rejetée aujourd’hui ne soit profondément désirée demain par la population. C’est pour cela que l’on pense à Moscou, que la Russie doit être préparée à toute éventualité.
Une implication militaire russe en Ukraine du sud- est apporterait sans aucun doute de la cohésion à l’Otan, mais le scénario chaotique qui se dessine à Washington n’intéresse pas l’Allemagne. C’est pour cela que Berlin est dans la ligne de mire de la diplomatie du Kremlin.
La Russie est un client important de l’exportation allemande. Le gaz Russe résout non seulement 30 % de la demande de gaz de l’Allemagne, mais est aussi une clef pour la réalisation de la principale stratégie de reconversion nationale dans la crise actuelle, l’ « Energiewende », dont l’objectif phare est de réduire drastiquement l’utilisation du charbon et d’en finir avec le nucléaire. Le leadership politique de l’Allemagne en Europe, dont le moteur est l’économie, colle mal avec les aventures des sanctions qui animent les Etats-Unis et ses coryphées polonais.
La précaire croissance allemande marche sur des œufs. La prévision pour le première trimestre de 2014 est une croissance de 0,6 %, et entre 1,7 % et 1,9% pour l’année entière. En Mars, les exportations allemandes ont chuté de 1,8 % par rapport au mois précédent. Si l’on ajoute à cela le refroidissement chinois, le chaos en Ukraine et une nouvelle guerre froide avec la Russie non seulement annuleraient ces pronostics mais condamneraient probablement l’Allemagne à la récession.
Moscou comprend bien la situation et influe sur elle avec l’espoir que ce serait l’occasion de mettre fin à vingt ans d’abus et d’expansionnisme politico-militaire atlantiste au prix de ses intérêts (1).
« Obama est prêt à déclarer la guerre à la Russie sinon jusqu’au dernier soldat du Bundeswehr (l’armée allemande), au moins jusqu’au dernier entrepreneur allemand » dit Sergei Kuznetsov, un ancien diplomate russe à Kiev, dans un article publié le jeudi 8 Mai dans le journal russe Rossia v globalnoi Politike. Une pression sans précédent sur l’Union Européenne est en cours pour « casser l’Allemagne et détruire les relations économiques entre l’Europe et la Russie », dit Kuznetsov. Il faut voir si la soumission aux intérêts des Etat- Unis se maintient ou si l’on opte pour une coopération mutuellement avantageuse sur le continent et dans tout les cas, « en tant que locomotive politique et économique de l’Europe, l’Allemagne a en cela, la principale responsabilité », conclut-il. Passé par le filtre de vingt ans de déception, ce point de vue exprime encore un certain souhait du Kremlin de réaliser un « modus vivendi » raisonnable avec l’Europe, chose en laquelle beaucoup à Moscou ne croient pas.
L’Allemagne est divisée à ce carrefour. Le secteur politique le plus dur et belliqueux, depuis les Verts jusqu’à la CDU, avec un grand appui de la presse, penche en faveur de la politique des sanctions et de l’escalade de la « fermeté » suggérée par Washington et Varsovie. Mais le syndicat du patronat et l’industrie, ainsi que les secteurs héritiers du dialogue de la Ostpolitik des années 70 se demandent, « pourquoi l’Europe ne sort- elle pas de l’ombre des Etats- Unis et ne développe t-elle pas un accord de principes avec la Russie » comme l’a dit le député Hermann Winkler, qui parle plus d’économie que de stratégie politique : « nous avons 6200 entreprises allemandes en Russie qui ont investi 20 000 millions, environ 30 000 emplois dépendent du commerce russe », rappelle-t-il.
Face à ces positions, l’ambassadeur Wolfgang Ischinger, président de la Conférence de la Sécurité de Munich qui exprime les intérêts atlantistes et industriels, constate que « l’édifice de la sécurité européenne » s’est fissuré en Ukraine et qu’il faut « initier une nouvelle discussion sur l’architecture de la sécurité » dans le cadre de la OSCE. Cette organisation est la seule ayant un cadre vraiment continental. C’est l’OSCE qui, à la Conférence de Paris en novembre 1990, finalisa le pacte de la fin de la guerre froide, violé par Euroatlantide, et que Moscou revendique sans résultat depuis lors. Ischinger dit que « d’ici deux à trois ans » il faut préparer le terrain pour une nouvelle entente stratégique entre Moscou, l’Europe et les Etats-Unis.
L’Allemagne, manifestement dépassée par la crise de l’Europe oscille maintenant entre les priorités de son économie et les différentes options stratégiques agressives basées sur l’inertie de la guerre froide, la servilité face à Washington et la russophobie.
Il suffirait de garantir la neutralité et le non-alignement militaire de l’Ukraine pour en finir avec cette crise provoquée par l’Empire du Chaos. Si cela était garanti internationalement, le dialogue interne en Ukraine serait facilité aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays ; tout le contraire de ce qui se passe maintenant. C’est la « Finlandisation » dont parlent aussi bien des ex-agents de la « communauté de l’intelligence » que de gens comme Henry Kissinger aux Etats-Unis, et divers observateurs qualifiés (ayant en général peu accès aux médias) en Europe. Un leader européen avec capacité et vision pourrait mettre en œuvre une solution de ce genre. C’est évidemment trop pour Merkel, Hollande et compagnie.
Rafael Poch
Traduit de l’espagnol par Irisinda