RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
10 

Pourquoi Washington prend-il le risque d’une guerre avec la Russie ? (The Nation)

Poignée de mains entre le Secrétaire d’Etat John Kerry et le ministre des affaires étrangères ukrainien, Pavlo Klimkin, au Département d’Etat US, le 29 juillet 2014 (AP Photo/Cliff Owen).

Le siège du Donbass par Kiev soutenu par l'administration Obama est en train de se transformer en une dangereuse crise.

Comme The Nation n’a cessé de le répéter l’impensable pourrait se produire très vite en Ukraine : pas seulement la guerre froide dont on parle mais une vraie guerre entre l’OTAN, sous commandement étasunien, et la Russie. L’épicentre en serait le territoire d’Ukraine de l’Est qui porte le nom de Donbass, une grande région industrielle fortement peuplée d’Ukrainiens russophones et étroitement liée à son voisin géant par des dizaines d’années de relations économiques, politiques et culturelles.

Le crash de l’avion de ligne malaisien MH17, abattu le 17 juillet aurait dû conduire le gouvernement de Kiev soutenu par les Etats-Unis à déclarer une trêve durable et à cesser ses attaques aériennes et terrestres contre les villes voisines par respect pour les 298 victimes, pour permettre aux enquêteurs internationaux d’accéder au site et pour entamer des pourparlers de paix. Au lieu de cela, Kiev, avec le soutien de Washington, a immédiatement intensifié ses attaques sur les endroits résidentiels, pour soi-disant les "libérer" des "terroristes" pro-russes, comme il appelle les résistants d’Ukraine de l’Est, tuant encore davantage d’innocents. En réponse, il semble que Moscou se prépare à envoyer des armes lourdes aux forces d’"auto-défense" du Donbass.

Or, selon un article du New York Times du 27 juillet, la Maison Blanche pourrait donner à Kiev des renseignements lui permettant de repérer et détruire ce matériel russe avec le risque de provoquer, comme le Times le laisse aussi entendre, "une escalade avec la Russie". Pour justifier cette escalade, l’administration Obama prétend, sans la moindre preuve, que la Russie se livre déjà à "des tirs d’artillerie sur l’Ukraine depuis son territoire." Ce qui est sûr et qu’on omet de nous dire c’est que l’Ukraine a bombardé à plusieurs reprises le territoire de la Russie, tuant même une personne le 13 juillet.

En fait, depuis des mois, Kiev est l’homme de paille militaire de Washington contre les Russes et leurs "compatriotes" de l’Est de l’Ukraine. Depuis le début de la crise politique, le secrétaire d’Etat, John Kerry, le directeur de la CIA John Brennan et le Vice Président Joseph Biden (deux fois) se sont rendus à Kiev avec, dans leur sillage, des "officiels étasuniens haut gradés de la Défense", du matériel militaire et des aides financières. De plus un officiel de haut rang du Département de la Défense étasunienne a informé un comité du Sénat que des "conseillers" du Département étaient désormais "intégrés*" au ministère de la Défense ukrainienne.

Il est clair que Kiev ne peut pas mener cette guerre contre ses propres citoyens — selon un porte-parole de l’ONU près de 5 000 civils ont été tués ou blessés, ce qui pourrait constituer des crimes de guerre — sans l’aide économique, politique et militaire de l’administration Obama. En plus d’avoir provoqué la fuite de centaines de milliers de réfugiés, l’Ukraine est en faillite, ses infrastructures industrielles sont endommagées et sa situation politique est très confuse, le gouvernement employant des milices ultranationalistes et enrôlant des conscrits jusqu’à 60 ans d’âge.

Tout ceci se déroule sur fond de déclarations mensongères de Washington amplifiées par les médias dominants selon lesquelles la crise ukrainienne est le résultat de l’"agression" du président russe, Vladimir Poutine. En réalité, pour l’essentiel, il n’a fait que réagir :

En novembre 2013, l’Union Européenne avec le soutien de la Maison Blanche a provoqué la crise en rejetant l’offre de Poutine d’un accord financier UE-Moscou-USA et en obligeant inutilement le président ukrainien Viktor Ianoukovytch à choisir entre un "partenariat" avec l’Europe ou avec la Russie. La proposition était assortie de rudes exigences financières ainsi que d’obligations "militaires et sécuritaires". Sans surprise, Ianoukovytch a opté pour la proposition financière beaucoup plus favorable de Poutine. Imposer un tel choix au président d’un pays déjà profondément divisé était une provocation inutile.

Dès février, les manifestations contre la décision de Ianoukovytch ont pris une tournure si violente que les ministres des affaires étrangères européens ont négocié un accord de compromis tacitement soutenu par Poutine. Ianoukovytch devait former un gouvernement de coalition ; les milices de Kiev devaient déposer les armes ; l’élection présidentielle devait être avancée à décembre ; et l’Europe, Washington et Moscou devaient coopérer pour sauver l’Ukraine de la faillite. L’accord fut rejeté par des émeutes ultranationalistes dans les heures qui suivirent. La Maison Blanche a rapidement apporté son aval au coup d’état.

S’il y avait à Washington de vrais professionnels du "renseignement", il leur aurait été facile de prévoir la réaction de Poutine. Des décennies d’expansion de l’OTAN en direction des frontières russes et une tentative avortée des Etats-Unis en 2008 "d’accélérer l’intégration" de l’Ukraine à l’OTAN n’ont laissé aucun doute à ce dernier que le nouveau gouvernement de Kiev adossé aux Etats-Unis avait l’intention de se saisir de toute l’Ukraine, y compris la province de Crimée, historiquement russe, où se trouve sa plus importante base navale. En mars, Poutine a annexé la crimée.

De manière tout aussi prévisible, la réaction du Kremlin à l’évolution de la situation à Kiev a donné un coup de fouet à la rébellion qui avait suivi le coup d’état de février, au sud et à l’est de l’Ukraine. En l’espace de quelques semaines, l’Ukraine était déchirée par une guerre civile qui menaçait de devenir mondiale.

Depuis avril, Poutine et son ministre des affaires étrangères, Sergei Lavrov, n’ont cessé de réclamer un cessez-le-feu et des négociations entre Kiev et les rebelles. Kiev, soutenu par l’administration Obama, a refusé de mettre en place un cessez-le-feu assez long pour permettre aux négociations d’aboutir et a, au contraire, intensifié sa guerre contre ses concitoyens qualifiés de "terroristes." La Maison Blanche selon l’article du Times songe à une nouvelle escalade qui aura sans doute des conséquences plus graves.

Ceci aussi les "renseignements" devraient le savoir si tant est qu’on tienne encore compte d’eux à Washington : pour des raisons historiques, intérieures et géopolitiques, ni Poutine ni aucun autre leader russe ne laissera jamais le Donbass à Kiev, ce qui reviendrait à le laisser, comme on le croit fermement à Moscou, à Washington et à l’OTAN. Si Poutine donne de l’armement lourd aux résistants du Donbass, c’est peut-être parce que c’est la dernière possibilité qui lui reste en dehors d’une intervention militaire directe, du fait que toutes ses ouvertures diplomatiques ont été rejetées. Il se limitera peut-être à déployer l’aviation russe pour protéger l’Est de l’Ukraine mais peut-être pas. Les faucons du Kremlin, qui n’ont rien à envier à leurs homologues de Washington, pressent Poutine d’intervenir dans le Donbass aujourd’hui et en Crimée demain. Ou comme le responsable du centre Carnegie de Moscou résume leur position, "Ce n’est plus seulement une bataille pour l’Ukraine mais une bataille pour la Russie".

Si les faucons des deux camps l’emportent, nous aurons très certainement une véritable guerre. Y a-t-il eu une autre situation dans l’histoire moderne de la démocratie étasunienne où une telle menace se soit précisée sans la moindre protestation publique des élites et sans le moindre débat dans les médias dominants ? Et pourtant toute personne un peu informée sait ce qu’il faudrait faire pour régler la situation : un cessez-le-feu immédiat, qui doit commencer à Kiev, pour mener à bien des négociations sur le futur de l’Ukraine dont les contours généraux sont parfaitement connus des tous les participants à cette crise dramatique.

Katrina vanden Heuvel and Stephen F. Cohen

Note :
* "embedded" dans le texte.

Pour compléter cette lecture, on lira avec profit l’analyse que fait de cet article Philippe Grasset sur son site Dedefensa : http://www.dedefensa.org/article-stephen_f_cohen_et_l_impensable_la_guerre_avec_la_russie_01_08_2014.html

Traduction : Dominique Muselet

»» http://www.thenation.com/article/180825/why-washington-risking-war-russia
URL de cet article 26485
   
Abrégé du Capital de Karl Marx
CAFIERO, Carlo
« Le capitalisme n’est et ne sera pas là de toute éternité. » Cet Abrégé, rédigé en 1878, nous livre l’essentiel de l’analyse contenue dans le Livre I du Capital de Karl Marx. Ce compendium de la critique du système capitaliste - « où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais bien le travailleur qui se trouve au service des moyens de production » - a été rédigé à destination d’un public populaire. Écrit dans un style simple et sans l’appareil (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

"On pourrait penser qu’un pays qui peut équiper chaque flic comme un soldat pourrait équiper chaque médecin comme un médecin"

Jeff Bercovici

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.