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Petite explication de texte à l’usage de ceux qui liraient encore Libération, par Johana Levy.



Dans un article paru dans la rubrique Rebonds du 17/02/2005 ( "Chávez le populiste vole la vedette à Lula le
réaliste"
), Jacques Amalric
entreprend une analyse des relations entre Lula et Chavez à partir
d’observations qu’il a manifestement faites à Porto Alegre -ou à partir de
faits qui lui furent rapportés, peu importe. Une manière indirecte de
comparer les deux chefs d’Etats, exercice de style apparemment obligé pour
les journalistes et les essayistes du Forum Social. Plus exactement, c’est à 
partir de cette comparaison qu’Amalric va déduire la nature des relations
entre les deux présidents. On est dans les pages Rebonds, ce n’est donc pas
vraiment du journalisme, mais puisqu’il s’agit d’une des rares informations
faites dans ce canard sur le Vénézuéla ces derniers mois - en dépit de
l’existence d’un envoyé spécial en goguette à Caracas -, on ne peut le
prendre à la légère. En raison de l’absence de travail proprement
journalistique, voilà typiquement le genre d’article qui participe à forger
l’ « opinion » sur ce qui se passe aujourd’hui au Vénézuéla. Aucune
investigation, juste un travail de déduction réalisé à partir des
impressions d’un intellectuel catégorisé à gauche. Mais on est déjà là sur
la brèche de la désinformation.


Quelques remarques, donc, textuelles - un bon exercice de bac -.

La construction de l’article fleure bon la dissertation de l’élève modèle de
philosophie : intro, problématique -« quels rapports entre les deux chefs
d’Etat ? », « forment-ils un duo cohérent ou se livrent-ils à un duel ? »,
puis démonstration en trois parties, 1/ thèse : en dépit des apparences,
Chavez ne serait pas un allié de Lula mais au contraire oeuvrerait
volontairement à sa fragilisation, 2/ antithèse : Lula, l’antithèse de
Chavez 3/ synthèse : tout porte à craindre de la part de Chavez une « dérive
castriste du régime ». Afin d’appuyer sa démonstration, l’auteur utilise à 
profusion les figures de style. Tellement élégantes et séduisantes que l’on
pourrait oublier que tout, dans cet article, n’est qu’affaire de déduction,
sans aucune preuve à l’appui. Que trouve-t-on donc ?

Tout d’abord, un art du portrait. Les journalistes européens se régalent
depuis longtemps de la figure du président vénézuélien. Dans leurs
descriptions, deux tendances se distinguent : Hugo Chavez est présenté soit
comme un OPNI, objet politique non identifié -en particulier dans la presse
européenne de droite-, soit sur le mode du « 
on-a-déjà -vu-ça-dans-le-passé-on-ne-se-fera-pas-de-nouveau-avoir » -dans la
presse européenne de gauche. Dans l’article qui nous intéresse, c’est donc
la seconde tendance qui prédomine. Conformément à la tradition dans laquelle
il s’inscrit, on y recense les adjectifs régulièrement attribués au
président vénézuélien : Hugo Chavez y est qualifié de « populiste »,
d’« ancien colonel putschiste », ou encore d’« admirateur proclamé de Bolivar
et de Fidel Castro ». Ca pose déjà bien le personnage. Nous reviendrons plus
tard sur la portée des termes en eux-mêmes. Avant d’aller plus loin,
reconnaissons tout de même le mérite de l’auteur de n’avoir pas utilisé
cette expression devenue un classique du genre pour parler de Chavez : « le
contesté », voire le « très contesté président vénézuélien ».

En tant qu’exercice comparatif, l’antithèse est bien sûr la figure de style
reine de l’article. Ainsi, l’auteur évoque d’un côté Lula, « l’ancien
métallurgiste brésilien devenu président », et de l’autre Chavez, « l’ancien
colonel putschiste ». Deux passés apparemment opposés - avec tout ce que le
militarisme a bien de sûr de repoussant. On peut toutefois se demander
pourquoi l’auteur n’évoque pas aussi les origines sociales de Chavez -.
Comme deux politiques qui, en dépit de leurs similitudes dans la lutte
contre les inégalités, auraient en réalité des portées de nature tout à fait
contraire. Ainsi, à « la révolution (fût-elle trotskiste) et à la fuite en
avant » du régime de Chavez, « le réformisme pragmatique, la rigueur
budgétaire, la lutte contre l’inflation et la non confrontation avec les
Etats-Unis » de Lula. Avec une définition si européanocentrée, les
défenseurs des critères de Maastricht devraient peut-être penser à créer un
prix spécial pour les bons élèves de l’OMC, ou leur proposer sinon
d’intégrer l’OTAN.

Bien sûr, la comparaison ne s’arrête pas au passé des deux présidents -si
désavantageux pour Chavez. Elle s’attache aussi à leurs résultats. L’auteur
estime en effet que l’on ne doit pas oublier le bilan de Lula -qui serait si
injustement déprécié actuellement au Brésil, ah peuple ingrat. !-. Il évoque
ainsi ses acquis : la « mise en place d’un plan d’urgence contre la faim »,
la « croissance de 5% en 2004 » que l’auteur se garde toutefois d’expliquer,
ainsi que « la création de presque deux millions d’emplois ». Par contre,
Chavez, lui, « plane sur un nuage politique ». Pire : profitant d’une
économie de « rente », rente qui a « augment[é] avec le prix du baril » - le
terme de rente étant saturé de connotations post-coloniales, en référence
aux Etats, africains notamment, qui sombrèrent économiquement et socialement
par manque d’investissement politique dans ces domaines-, c’est apparemment
bien cyniquement que Chavez a lancé ses « programmes sociaux pilotés par des
équipes qui se sont aussi employées à faire inscrire sur les listes
électorales des millions de défavorisés. ». Comprendre : ces millions de
pauvres se sont bien fait avoir -s’ils n’ont pas été amenés à voter pour
Chavez sous la contrainte.-. Des résultats électoraux qui, à en croire
l’auteur, n’auraient donc pas directement de lien avec l’impact même de ces
programmes sociaux. Passons sur la condescendance récurrente chez beaucoup
d’intellectuels de droite comme de gauche à l’égard des pauvres -pardon, des
« défavorisés »-, surtout de ces parties du monde « moins développées »,
victimes si aisément manipulables, voire « achetables », par des pouvoirs
qui détermineraient leur conduite. L’auteur semble oublier que ce n’est pas
une, mais six élections et un référendum qui ont conforté le gouvernement en
place au Vénézuéla, au point que le pays apparaît aujourd’hui comme le plus
stable politiquement du continent. Et que ce n’est pas sous la houlette de
travailleurs sociaux affiliés au Parti qu’il y a à peine trois ans des
centaines de milliers de Caraquéiens sont descendus dans les rues de la
capitale réclamer le retour de leur président et le respect de la
Constitution. Certes, le Vénézuéla est un petit pays en comparaison du
gigantesque Brésil et de ses 170 millions d’habitants. Mais pourquoi passer
sous silence le bilan réel des « Missions », et déprécier ces dernières
parce qu’elles sont effectivement financées par les revenus du pétrole, une
politique redistributive sans précédent dans l’histoire du Vénézuéla, et qui
va bien au-delà de la simple « économie de rente » que sous-entend l’auteur.
 ?

Autre outil stylistique que l’auteur ose employer en dépit de son caractère
reconnu largement comme insuffisant voire malhonnête : l’extrapolation.
Ainsi, dans son discours de Porto Alegre, Chavez a « prôné la grande rupture
aussi bien avec le capitalisme qui « provoque des tsunamis », qu’avec les
Etats-Unis qui se comportent en « terroristes en Irak » mais dont « 
l’empire s’effondrera ». Quand à de tels fragments de discours s’ajoute
l’énumération, l’auteur rappelant dans la même phrase que Chavez a aussi
évoqué « le courage de Castro et les mânes de Mao et de Victor Hugo », tout
porte à croire que nous avons là bien affaire à un discours sans queue ni
tête digne d’un grand hystérique, bien qu’Amalric se rétracte ensuite
habilement à ce sujet en le qualifiant de « populiste mais pas fou ». Mais
quand c’est dit, même implicitement, le mal est fait. Cette conséquence
langagière est la même que celle d’une autre figure de style : la
prétérition -dire que l’on ne va pas dire quelque chose alors même qu’en
disant cela, ce quelque chose a été dit-, figure employée par l’auteur d’une
manière particulièrement malhonnête puisque il va faire dire à Chavez ce
qu’il n’a pas dit, faisait croire à tous qu’il l’a dit quand même.Une forme
performative donc de la prétérition, alambiquée mais efficace. Ainsi, « Hugo
Chavez s’est bien gardé de critiquer l’ancien métallurgiste devenu
président. A peine a-t-il fait preuve d’un peu de condescendance, comme à 
l’égard d’un ancien combattant méritant. Pourquoi en rajouter alors que le
Vénézuéla aura toujours besoin du Brésil (et réciproquement) ? et pourquoi
surtout en rajouter alors que Lula da Silva est de plus en plus violemment
attaqué. ? ». Et pourquoi attribuer à Chavez ces intentions belliqueuses et
envenimer la relation entre les deux hommes -ne surestimons pas toutefois la
portée d’un tel article- ? Pourquoi contribuer continuellement à la
caricaturisation de son personnage ?

Plus dangereux encore comme potentiel de désinformation, l’auteur utilise
comme fil conducteur de son article un champ lexical très particulier : le
thème de la dictature, « dérive » qui menace le peuple vénézuélien sous la
présidence de Chavez. Est ainsi évoqué le « régime » chaviste. Or, il semble
que l’on serait bien mal avisé de parler pour Chirac ou pour Bush de « 
régime ». Ce terme a en effet été utilisé dans l’histoire pour évoquer
certains types de gouvernements, de Vichy à Cuba, et s’est ainsi coloré de
connotations péjoratives. D’ailleurs, les personnages auxquels se réfèrent
Chavez, « Mao », « Castro », ont tout pour faire frémir l’Européen de gauche
ancien soixante-huitard faisant aujourd’hui son autocritique sur ses « 
années Mao » ou son ancienne croyance dans le communisme -. le quoi ?-. Des
doutes justifiés, Chavez étant par ailleurs bien entrain de « conforter
encore sa mainmise sur le pouvoir », d’où « les craintes d’une dérive
castriste du régime » ! Pour étayer cette thèse prônée par une grande partie
de la gauche française, l’auteur se réfère notamment à « l’adoption d’une
loi extrêmement répressive sur les médias », ce qui montre qu’il est bien un
fidèle lecteur de Libé et qu’il a donc pu lire le papier de François
Meurisse à ce sujet -l’envoyé spécial à Caracas-. Un article sûrement écrit
dans la douleur puisque bien des semaines après l’adoption de cette loi qui
donne surtout aux médias le cadre institutionnel qui leur manquait -et que
l’on connaît bien en France, à travers par exemple le CSA, sans que l’on
parle à ce sujet d’institution « extrêmement répressive », alors qu’à l’égard
des télévisions associatives, on ne peut pas dire que la France soit aussi
permissive que le Vénézuéla, passons. -. Un article qui vilipende bien
entendu la Ley Resorte. Incroyable que ce thème si médiatique de la censure
chaviste puisse perdurer, alors même qu’aucune chaîne de télévision ni aucun
de ces quotidiens qui entretiennent la désinformation, ont participé au coup
d’Etat, et n’ont pas hésité à proférer des appels au meurtre, n’ont été
condamnés. Il faut remercier Libération de contribuer à entretenir ce mythe,
si savoureux surtout dans le petit monde journalistique. Je ne reviens pas
sur « l’ancien colonel putschiste » -décidément, il est bien difficile de
sortir du cadre de pensée franco-français. Mais précisons-le néanmoins pour
éviter toute confusion, Chavez n’a pas fait la guerre d’Algérie... ! mais
bon, méfions-nous quand même, et quand bien même cette tentative de putsch
fut tournée contre un régime ultra-libéral ayant plongé le pays dans une
misère économique profonde, un régime honni du peuple vénézuélien.

En bref, étant donné la tonalité générale du discours, l’ensemble du
portrait peint par l’auteur de Chavez semble peu lodatif -vous aurez
remarqué la belle litote -. Non seulement, on l’a vu, Chavez est fou, mais
en plus, c’est un mégalomane prétentieux qui va jusqu’à « vante[r] la
radicalité de son action ». Plus grave pour l’avenir du monde, il ne « borne
pas ses ambitions aux frontières de son pays ». Et c’est là que l’auteur
énonce sa merveilleuse conclusion au moyen d’une simple association d’idées.
Pour ne pas être accusée de déformer la pensée de l’auteur, je me bornerai
tout d’abord à le citer dans le texte. Donc reprenons : « Hugo Chavez ne
borne pas ses ambitions aux frontières de son pays. Notre stratégie, a-t-il
dit, est de briser l’axe des Etats-Unis et de forger l’unité de l’Amérique
du Sud ». L’axe à détruire, selon lui, comprend le Mexique, l’Equateur, le
Pérou, le Chili et la Colombie voisine, où le Vénézuéla est soupçonné de
soutenir les guérillas d’extrême-gauche. D’où l’inquiétude que
suscitent les négociations en cours entre Caracas et Moscou pour la
livraison de cinquante Mig-29 et l’annonce d’un accord avec le Brésil sur
l’achat d’au moins une douzaine d’avions d’attaque Toucan. Cette politique
d’armement va de pair avec la volonté de diversifier, notamment en
direction de la Chine, les ventes de pétrole ». Point final de l’article.
Mise à part cette toute dernière phrase qui montre surtout que l’auteur a
fait l’effort de se renseigner sur la politique extérieure du Vénézuéla,
nous avons là le scoop du siècle. Car si l’on suit bien l’auteur, il
semblerait que l’on doive comprendre qu’il se pourrait que le Vénézuéla
déclare la guerre à au moins cinq pays d’Amérique Latine ! Voilà donc ce qui
montre bien à quel point Chavez est un imposteur : alors même que le
président vénézuélien dénonce régulièrement la politique de Bush, le voilà 
prêt à se lancer dans une politique impérialiste d’une ampleur au moins
égale ! Le comble...le scoop.

Merci Libé, on n’en attendait pas moins.

Heureusement qu’il reste des pays dans le monde où la « gauche » parvient à 
développer des idées alternatives et participe encore au progres social.

Johanna Levy
johanna_levy@yahoo.fr.


- Source : Cercle Bolivarien de Paris
http://cbparis.free.fr


 Lire aussi :

- Discours d’ Hugo Chavez à Porto Alegre le 30 janvier 2005.


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