Ce soulèvement « constitue un tournant dans l’histoire de la classe ouvrière, non seulement en France, mais dans le monde entier ».
C’est la première grande bataille ouvrière.
UNE EXPLOITATION FEROCE
Les 400 négociants de la soie imposent aux 30.000 compagnons et chefs d’atelier tisserands des conditions de travail et de rémunération sordides. Les journées de travail durent quinze heures, parfois plus.
Pour diminuer les salaires, les fabricants prétextent la concurrence étrangère. De plus, les canuts et leur famille vivent le plus souvent dans des réduits étroits et insalubres où la tuberculose fait des ravages.
Pour Auguste Blanqui, « le devoir du travailleur lyonnais, l’homme-machine, c’est de pleurer de faim, en créant jour et nuit, pour les plaisirs du riche, des tissus d’or, de soie et de larmes ».
LA RESISTANCE
Les associations mutuellistes - secrètes car illégales - vont incarner la première forme de résistance du prolétariat lyonnais. Rapidement, elles servent de cadre au mouvement revendicatif.
La conscience de classe des ouvriers s’aiguise. Ils s’insurgent contre la bourgeoisie de 1830 qui n’a fait la « révolution que pour s’enrichir ».
De premières manifestations éclatent en février 1831. Des ouvriers sont arrêtés. Pour affronter l’armée, les canuts adoptent une organisation paramilitaire de volontaires structurée en compagnies.
En octobre, les canuts adressent une pétition au préfet exigeant l’augmentation de leurs salaires. Le 24, pour appuyer leur revendication, plus de 6.000 d’entre eux, rangés en sections, se dirigent vers la préfecture, en silence et sans armes. Une démonstration de force qui va frapper de stupeur la bourgeoisie lyonnaise. Le lendemain, le préfet publie un nouveau tarif de rémunération faisant droit à la revendication des ouvriers des soieries.
Toutefois une partie des fabricants s’opposent à cette augmentation. Ils interviennent auprès des autorités parisiennes. Avec succès, puisque, le 17 novembre, le préfet de Lyon concède que le tarif n’est qu’un « engagement d’honneur » et n’est pas légalement obligatoire. En riposte, réunis sur la place de la Croix-Rousse, les canuts décident de ne pas reprendre le travail et d’aller en masse dans la ville pour protester.
L’INSURRECTION
Le 21 novembre, quand les ouvriers descendent manifester dans le centre-ville, ils doivent faire face à des gardes nationaux qui ouvrent le feu. Des ouvriers tombent. C’est le début de l’insurrection.
Les canuts révoltés s’arment de pelles, de pioches, de bâtons et quelques-uns de fusils. Ils fondent de l’étain et du plomb pour en faire des balles. Ils enlèvent les pavés des rues pour les jeter des étages ou pour dresser des barricades. La bataille est acharnée. Le préfet ainsi qu’un général sont arrêtés et détenus. Ils ne seront libérés qu’en échange d’ouvriers faits prisonniers.
Le lendemain, l’armée essaie de reprendre le contrôle de la ville. En vain. Les boutiques d’armuriers sont enfoncées et pillées. Les insurgés se rendent maître d’une caserne. Toutes les rues, les places, les quais sont hérissés de barricades. Une colonne entière de soldats doit capituler. Les forces de répression se dispersent. Certaines se laissent désarmer.
Le bilan est lourd : 100 morts et 263 blessés parmi les militaires, 69 morts et environ le double de blessés parmi les civils.
(Drapeau des canuts révoltés).
LYON AU POUVOIR DES OUVRIERS
Le 23 novembre, troisième jour de l’insurrection, dans l’hôtel de ville occupé, un pouvoir ouvrier autonome se met en place nommé « état-major provisoire ». Une proclamation révolutionnaire définit une nouvelle forme de gouvernement.
Lyon doit être administrée par un « conseil ouvrier ». La garde nationale doit être réorganisée et permettre le désarmement de la bourgeoisie et l’armement des ouvriers.
Face à un préfet, qui n’a plus les moyens d’exercer son autorité, se dresse une direction insurrectionnelle. Mais cette dernière n’a pas l’audace de trancher ce double pouvoir en sa faveur.
LE REFLUX
Des dissensions sur l’avenir du mouvement apparaissent au sein de l’état-major provisoire. La proclamation révolutionnaire est jugée « séditieuse » par certains. Le préfet en profite pour manoeuvrer et diviser les rangs des insurgés.
Une troupe de 20.000 hommes commandée par le ministre de la Guerre, le maréchal Soult, est aux portes de Lyon. Le 3 décembre, elle pénètre dans la ville qu’elle occupe peu à peu.
Le 7 décembre, le tarif de rémunération, obtenu de haute lutte, est déclaré nul et non avenu par les autorités.
Même vaincue, la révolte lyonnaise a un retentissement considérable en Europe.
Pour Karl Marx, « Le prolétariat urbain sonna à Lyon le tocsin d’alarme ».
Source : Fernand Rude, La révolte des canuts (1831-1834), Ed. La Découverte, 1982, 2001, 2007.
Jean-Pierre Dubois
http://lepetitblanquiste.hautetfort.com/archive/2011/11/16/novembre-1831-les-trois-glorieuses-proletariennes.html