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Moubarak sans baraka : un non-événement pour l’Egypte profonde

« Jamais on n’a vu des Arabes construire des routes, des barrages, des usines. Après tout, peut-être n’ont-ils pas besoin de routes, de barrages, d’usines. Ce sont d’habiles politiques. Ils sont habiles comme des mendiants. »

Propos attribués à De Gaulle

Un scoop ! Moubarak dans une cage et sur une civière ! C’est ce que les agences étrangères voyeuristes et avec une joie morbide ont fait défiler en boucle. Même les médias égyptiens faisant dans la démesure parlent du procès du siècle. Comme l’écrit Nardjes Flici, le procès « à sensation » du président égyptien, Mohammed Hosni Moubarak, a bien eu lieu à la date prescrite du 3 août 2011. Le président du tribunal, Ahmed Refaât, a aussi décidé que l’ancien raïs sera hospitalisé au Caire. En plus du président déchu, Hosni Moubarak, ses deux fils, Alaa et Gamal - qui se préparait, avant la révolution, à succéder à son père -, étaient eux aussi derrière les barreaux, pour être jugés, Allongé sur une civière, peinant à s’exprimer, derrière les barreaux du box des accusés et vêtu de blanc Moubarak a pris la parole, pour nier les accusations portées contre lui. « Toutes ces accusations, je les nie complètement », Les lourdes et graves accusations tombent en cascade. Hosni Moubarak est aussi accusé de détournements de fonds publics lors de l’acquisition de cinq villas à Charm el-Cheikh, et de corruption dans la négociation des contrats de vente de gaz à Israël. Moubarak, qui a été chassé du pouvoir par la rue le 11 février dernier après 29 ans de pouvoir sans partage, a également été inculpé pour corruption et dilapidation de fonds publics. Des heurts sporadiques entre pro et anti-Moubarak, qui se sont affrontés à coups de pierres, ont fait plusieurs blessés malgré la forte présence de la police et de l’armée. (1)

Pour Mustapha Hammouche de Liberté, c’est le procès du système qui est fait : « Sans préjuger du déroulement effectif et de l’issue du procès de Moubarak, l’évènement est historique : c’est la première fois qu’un dictateur arabe doit répondre devant une cour pénale de ses actes avec un minimum de garanties. Ce n’est pas le procès de Saddam Hussein, entaché d’un contexte d’occupation étrangère et d’un soupçon d’influence américaine, réelle ou supposée, sur le cours de la justice irakienne. Ce n’est pas, non plus, le procès de Ben Ali, expédié en l’absence du concerné et aux verdicts sans réel effet. (2)

« Pour Omar Ouali, ce procès a valeur pédagogique, c’est, dit-il, le procès c’est aussi celui de toutes les dictatures arabes. Celles déchues et celles qui tiennent encore les rênes. L’image est forte. Elle est inédite aussi : un président ramené sur une civière posée dans un box grillagé. Et quel président ? C’est Hosni Moubarak, pardi ! Le dernier des pharaons, comme le qualifie la presse cairote, pour insister sur son omnipotence quasi divine. Par le passé, on a vu défiler à la barre des potentats, des dictateurs, des autocrates. Qui l’aurait cru ? Un tel scénario était tout simplement impensable, il y a encore six mois. (..) A 83 ans ! C’est dire son attachement maladif à s’agripper au pouvoir coûte que coûte. Grandeur et décadence. (...) En voyant l’arrogant raïs rejeter pitoyablement les charges retenues contre lui, beaucoup de ses semblables du Maghreb et du Golfe doivent se poser cette même question. Ce procès historique, quelle que soit son issue future, marque par ailleurs une véritable rupture dans les rapports entre pouvoir politique et la justice qui, pour l’occasion, retrouve son autonomie. Sa dignité. Et c’est en cela que ce procès est exemplaire aussi en espérant qu’il fera boule de neige dans tous les pays arabes pour que le cycle historique des dictatures ubuesques soit définitivement clos. Et que les printemps politiques fleurissent dans tous les pays arabes ». (3)

« Ce sera bien la première fois, écrit Abdelkader Dehbi dans l’Histoire contemporaine des pays arabes, qu’un ex- chef d’Etat et ses proches collaborateurs déférés devant la justice, comme n’importe quel citoyen, en raison de leurs crimes innombrables et de leurs forfaitures. L’ère des tyrans - qu’ils fussent rois, émirs ou présidents - touche désormais à sa fin, qui ont spolié la souveraineté des nations, confisqué la liberté des peuples et attenté à la dignité des citoyens, en accaparant les richesses de la nation et en bradant les ressources du pays, avec la complicité de puissances étrangères dont ils espéraient en retour, la complaisance, sinon la protection. (...) Car, il n’est nullement écrit que le peuple algérien qui a payé le plus lourd tribut humain de l’Histoire de la décolonisation et subi l’une des guerres civiles récentes les plus meurtrières, restera à l’écart de la marche de l’Histoire. Et ce ne seront, ni les miettes de la rente pétrolière distribuées de manière régalienne, ni les augmentations et autres « rappels » à coups de millions de dinars en faveur des corps de sécurité, ni encore moins la pitoyable mascarade dite des « réformes » qui achèteront une quelconque paix civile d’où le peuple est absent ». (4)

Singularité du procès

Il nous faut tout d’abord noter le mimétisme ravageur de l’Occident dans ses méthodes, notamment le voyeurisme ; un homme à terre ne doit pas faire l’objet d’une curée, la symbolique de la cage et de la civière, mimétisme de l’occident, n’apporteront rien à la cause de la pitié dans l’Islam. Il est vrai que beaucoup d’hommes d’Etat et autres ont eu à répondre de leurs actes même malades ; citons le cas d’Augusto Pinochet, du Chili, de Maurice Papon en France, et dernièrement du kapo (gardien de camp pendant la Seconde Guerre mondiale jugé sur une civière à l’article de la mort (il avait plus de 90 ans).

Cependant, posons-nous la question : qui a décidé du procès ? Le maréchal Tantaoui et son staff, un fidèle d’entre les fidèles du raïs Moubarak ? N’ont-ils aucune responsabilité dans la gabegie trentenaire ? Qui va juger Moubarak ? Les juges désignés ont, d’une façon ou d’une autre, servi et bien servi le Raïs pour arriver à ces hautes fonctions. Ne sont-ils responsables de rien pour avoir pendant trente ans couvert tous les passe-droits et les injustices sur ordre du Raïs ? A-t-on vu des juges en prison ? Non ? Ce sont les mêmes qui étaient hier les laudateurs du système qui font du zèle aujourd’hui. Quand Me Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des Droits de l’Homme, pense qu’« on ne peut pas juger un homme politique par ses adversaires ». De quels adversaires il parle ? Ceux qui le jugent, du maréchal au juge au médecin, au policier, doivent leurs promotions à Moubarak. En clair, c’est tout le système qu’il faut juger car un ministre qui démolit systématiquement par incompétence et par une gestion catastrophique son secteur, surtout s’il est névralgique, a autant de comptes à rendre que son employeur.

Pourquoi en arriver là  ? Pourquoi les chefs d’Etat arabes n’acceptent pas les jeux de la l’alternance au pouvoir et veulent-ils toujours s’imposer par la force et non par le projet ? Nous sommes loin de l’élégance du général de Gaulle qui n’hésita pas en 1969 à remettre en jeu son mandat par des élections anticipées et qui, comme il l’a promis, dans son discours, partit parce que désavoué. Nous le voyons, l’acceptation de l’alternance au pouvoir, l’acceptation du verdict des urnes avec la justice et la liberté d’expression, sont les fondamentaux du vivre-ensemble. Nous avons toujours été frustrés de ne pas faire comme en Occident. Quand j’ai vu le président Chirac rendre compte à la justice pour des frais de bouche et pour des emplois fictifs une vingtaine d’années plus tôt quand il était maire de Paris, j’ai eu un sentiment de jalousie ; pourquoi pas chez nous ?

Que va-t-il se passer en Egypte ?

Il ne faut pas croire que les Egyptiens, dans leur immense majorité, s’intéressent à Moubarak. Ils s’intéressent surtout à leur condition sociale. Le paysan du haut Nil de l’Egypte profonde aspire à vivre, aspire à une justice. Il n’est pas sûr que ce procès, qui, de notre point de vue, prêche par une confusion entre la justice et la vengeance, n’apportera pas grand-chose à une société déstructurée par trente ans de règne sans partage qui fait que la fière Misr vit de l’aumône du tourisme et des subsides américains pour sa reddition à Camp David. L’Egypte, plusieurs fois millénaire, vaut mieux que cela, l’Egypte de Nasser a vécu et a été minutieusement détricotée comme ce fut le cas en Algérie après Boumediene.

Quoi qu’on pense, l’Egypte n’est pas libre de ses mouvements. L’Occident veille au grain, il n’a pas hésité à lâcher ses meilleurs alliés, souvenons-nous du Shah aux abois, à qui on a refusé la venue aux Etats-Unis, Sadate se vit intimer l’ordre de l’accueillir. Souvenons-nous de Saddam Hussein, le meilleur allié américain, qui fut pendu sous administration américaine de l’Irak. Souvenons-nous enfin, de Moubarak à qui on demanda de s’insérer dans le Grand Moyen-Orient et qui a eu cette réponse sans appel : « C’est moi ou l’Algérie » c’est-à -dire le chaos... L’Occident n’interviendra que si l’équilibre est rompu, en clair si Israël pourrait connaître une menace. Tout sera fait pour diaboliser les frères musulmans et les empêcher d’arriver légalement au pouvoir. Pour le reste, c’est aux Egyptiens de se débrouiller... Le paysan du haut Nil ou de Assiut, n’est nullement intéressé par le changement de chefs ni par les feuilleton du Ramadhan constitué par l’acharnement sur un «  pharaon aux pieds d’argile  » grabataire, ce qui l’intéresse est que les citoyens récupèrent les fortunes spoliées et qu’il y ait des retombées sur les fellahs de cette Egypte profonde plus inquiète des crues du Nil - car c’est sa subsistance qui est en jeu, comme depuis 5000 ans- que du «  mauvais cinéma  » qui se déroule au Caire.

Quelle serait la solution pour les pays arabes ?

On dit souvent que c’est la religion qui aide les potentats arabes à se maintenir au pouvoir. Rien n’est moins vrai. Beaucoup de pays musulmans et non des moindres ont des systèmes de gouvernance démocratique ; c’est le cas de l’Indonésie, de la Malaisie, de la Turquie. Autre particularité, ces pays se développent et sont des pays émergents. Le mal n’est donc pas dans l’Islam, il est dans les gouvernants arabes qui refusent l’alternance, l’indépendance de la justice, la liberté d’expression.

« Ce sentiment démocratique, écrit Omar Mazri, qui pousse le gouvernant à refuser d’être oppresseur car il n’est pas à l’abri de rendre compte et qui pousse le gouverné à réclamer ses droits car il est sûr de les arracher, est le processus qui va faire sortir le Monde arabe de l’immobilisme, des coups d’état, des émeutes. (...) C’est sans doute l’occasion de construire ce qui a manqué à l’Egypte : un cadre d’unité d’orientation idéologique qui doit faire de la justice la question essentielle pour redonner à la liberté sa signification ontologique et sociale, à la démocratie sa signification tirée des valeurs de l’Islam en réinventant les institutions et les fonctionnements démocratiques, à l’économie le principe islamique du travail comme seule référence d’appropriation. Il n’est pas juste que l’effort humain soit un facteur de production comme le capital ou les matières premières. Il y a un droit divin au nom duquel nous devons gouverner, administrer, arbitrer. « Cette exigence de justice, si on la met en application, elle nous donnera une démocratie qui donne une représentativité aux minorités religieuses, une décentralisation et plus de société et moins d’Etat. Sur le plan pratique, nous ne pouvons garantir une justice et une démocratie fondée sur la justice si la Justice n’est pas autonome de l’Exécutif. (...) Si nous faisons de la justice le centre de notre préoccupation administrative, sociale, politique et économique, nous aurons assuré une bonne gouvernance, une prospérité, une démocratie et nous aurons respecté les exigences de la vie post-moderne tout en respectant le Dessein divin qui a donné trois vocations à l’Homme : Honorificat (toutes les dignités humaines, sociales, politiques, économiques, intellectuelles, morales et culturelles), Khalifat (mandat de gestion de la terre et de sa restauration contre toute forme de corruption et d’injustice), Culte monothésite pur et parfait ». (5)

Omar Mazri met en cause, en définitive, le modèle occidental de gouvernance et propose. pour la Oumma musulmane un autre modèle. Ecoutons-le. « La plus grande injustice est notre fascination devant les modèles occidentaux et notre paresse à produire de la pensée autonome pour résoudre nos problèmes qui sont spécifiques à notre aire de civilisation, à sa culture, à son histoire, à sa sociologie. (...) » (5)

Cependant, le procès de Moubarak est une singularité ; c’est en effet, la première fois dans l’histoire récente et post-coloniale, que les gouvernants rendent compte au peuple. A contrario, cela ne veut pas dire que les monarques d’avant mouraient dans leur lit. Il est connu que les transitions dans les pays arabes mais pas seulement, -on pourrait dire les pays maintenus en esclavage-se font par l’émeute. L’histoire des potentats arabes n’est qu’une suite de meurtres et de tueries de palais. Le coup d’Etat n’est en fait que la version moderne de l’émeute. Le monopole de la violence étant disproportionné par rapport à la force classique, il vient que le pouvoir se transmet à la pointe des baïonnettes

Le procès de Ben Ali a laissé un goût d’inachevé, ne serait-ce que par les charges qui lui sont reprochées-trafic de drogue, rapines-après 30 ans de gestion par le goulag. Moubarak a perdu sa baraka et avec lui les potentats arabes savent que plus rien ne sera jamais comme avant. Il n’y aura plus d’impunité. Ce procès-spectacle est fait pour calmer les foules, c’est un non-évènement, car l’Egypte n’est pas encore sortie de ses contradictions. Moubarak ayant stérilisé toute élite pour l’alternance, à l’instar des potentats arabes, pour qui le déluge, c’est après eux... la stabilité est de ce fait loin d’être acquise car les problèmes des pays arabes,-au delà des dictateurs-restent entiers : comment faire émerger une élite fascinée par l’avenir qui n’a pas la science infuse et qui n’est pas de droit divin ? La question reste posée.

Le monde est en pleine mutation et il n’admet plus que la morale des États ne soit pas celle de l’homme de la rue. Le monde ancien est en train de s’écrouler. A l’anomie financière de l’Occident- la panique s’installe sur les places financières occidentales surtout après le retrait de la note AAA pour l’économie américaine- s’ajoute d’une façon inexorable le délitement des valeurs de solidarité, d’empathie.. L’Occident et son modèle imposé au besoin par une démocratie aéroportée a montré ses limites. Un monde nouveau émergera parce que partout les Etats et les peuples se remettent en cause et le magister moral exercé par les Etats-Unis est devenu une vue de l’esprit. Le monde est devenu dangereux et est proche d’une rupture qui, à Dieu ne plaise, n’augure rien de bon. Allons-nous vers la «  Bellum omnium contra omnes  », « la guerre de tous contre tous » prévue par Thomas Hobbes  ?

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz

1. Nardjes Flici : Le pharaon devant ses juges http://www.lexpressiondz.com/ index.php ?news=136789 - Jeudi 04 Aout 2011

2. Mustapha Hammouche : Procès du système et rupture politique Liberté 4/08/ 2011

3. Omar Ouali : Grandeur et décadence Liberté le 4 aout 2011

4. Abdelkader Dehbi http://www.alterinfo.net/le-proces-de Moubarak-Un-defi-de-la-revolution-egyptienn_a61896. html#last_comment 3 Août 20111

5. Omar Mazri : Commentaire de l’article de Abdelkader Dehbi ; http://liberation-opprimes.net/


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