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Morales a été renversé, mais le socialisme bolivien perdurera (21st Century Wire)

(Photo : Andre Vltchek 2019©)

Ils se sont engagés à le faire, et ils l'ont fait – les seigneurs féodaux boliviens, magnats des médias et autres "élites" traîtres - ils ont renversé le gouvernement, brisé l'espoir et interrompu un processus socialiste extrêmement réussi dans ce qui était autrefois un des pays les plus pauvres d'Amérique du Sud.

Un jour, ils seront maudits par leur propre nation. Un jour, ils seront jugés pour sédition. Un jour, ils devront révéler qui les a formés, qui les a employés, qui les a transformés en lâches sans foi ni loi. Un jour ! Bientôt, j’espère.

Mais maintenant, Evo Morales, président légitime de la Bolivie, élu encore et encore par son peuple, quitte son pays bien-aimé. Il traverse les Andes, s’envole au loin, vers le Mexique fraternel, qui lui a tendu sa belle main et lui a offert l’asile politique.

C’est maintenant. Les rues étonnantes de La Paz sont couvertes de fumée, pleines de soldats, tachées de sang. Des gens disparaissent. Ils sont détenus, battus et torturés. Des photos d’hommes et de femmes autochtones, agenouillés, face aux murs, les mains attachées dans le dos, commencent à circuler sur les médias sociaux.

El Alto, jusqu’à récemment encore un lieu d’espoir, avec ses aires de jeux pour enfants et ses élégants téléphériques reliant les communautés autrefois misérables, commence à perdre ses fils et ses filles autochtones. Les batailles font rage. Les gens chargent leurs oppresseurs, portent des drapeaux, meurent.

Une guerre civile, ou plus précisément, une guerre pour la survie du socialisme, une guerre contre l’impérialisme, pour la justice sociale, pour les peuples indigènes. Une guerre contre le racisme. Une guerre pour la Bolivie, pour sa formidable culture précoloniale, pour la vie ; la vie telle qu’elle est perçue dans les Andes, ou au plus profond de la forêt tropicale sud-américaine, pas telle qu’on la voit à Paris, Washington ou Madrid.

L’héritage d’Evo Morales est tangible et facile à comprendre.

Pendant près de 14 ans au pouvoir, tous les indicateurs sociaux de la Bolivie ont atteint des sommets. Des millions de personnes ont été arrachées à la pauvreté. Des millions de personnes ont bénéficié de soins médicaux gratuits, d’une éducation gratuite, de logements subventionnés, d’infrastructures améliorées, d’un salaire minimum relativement élevé, mais aussi de la fierté qui a été rendue à la population autochtone, qui constitue la majorité dans ce pays féodal historique gouverné par des "élites" corrompues et impitoyables, des descendants des conquistadors espagnols et des "chercheurs d’or" européens.

Citoyens de La Paz en attente de soins médicaux gratuits (Crédit photo : Andre Vltchek 2019©)

Evo Morales a officialisé les langues aymara et quechua, au même titre que l’espagnol. Il a rendu les gens qui communiquent dans ces langues, égaux à ceux qui utilisent la langue des conquérants. Il a élevé la grande culture indigène à son apogée, là où elle appartient - ce qui en a fait le symbole de la Bolivie et de toute la région.

C’en était fini des chrétiens qui embrassaient leur croix (regardez les croix qui réapparaissent, tout autour de la Jeanine Añez, d’allure si européenne, qui s’est emparée du pouvoir, "temporairement" mais toujours dans l’illégalité). Au lieu de cela, Evo se rendait, au moins une fois par an, à Tiwanaku, "la capitale du puissant empire préhispanique qui dominait une grande partie des Andes méridionales et au-delà, atteignait son apogée entre 500 et 900 de notre ère", selon l’UNESCO. C’est là qu’il cherchait la paix spirituelle. C’est de là que vient son identité.

Fini la vénération de la culture colonialiste et impérialiste occidentale, du capitalisme sauvage.

C’était un monde nouveau, avec des racines anciennes et profondes. C’est là que l’Amérique du Sud s’est regroupée. Ici, et dans l’Equateur de Correa, avant que Correa et ses croyances ne soient purgés et chassés par le traître Moreno.

Qui plus est, avant le coup d’État, la Bolivie ne souffrait pas de la chute de l’économie ; elle allait très bien, extrêmement bien. Elle était en pleine croissance, stable, fiable, confiante.

Même les propriétaires de grandes entreprises boliviennes, s’ils se souciaient un peu de la Bolivie et de son peuple, avaient d’innombrables raisons de se réjouir.

Parmi les projets d’infrastructure réussis sous Morales, on peut citer le réseau de téléphériques reliant La Paz à El Alto (Crédit photo : Andre Vltchek 2019©).

Mais la communauté des affaires bolivienne, comme dans tant d’autres pays d’Amérique latine, est obsédée par le seul et unique "indicateur" : "l’écart qu’elle réussit à creuser entre elle et la moyenne des citoyens". C’est l’ancienne mentalité des colonialistes, une mentalité féodale et fasciste.

Il y a quelques années, j’ai été invité à La Paz, à dîner par une vieille famille de sénateurs et de propriétaires de médias de masse. Sans honte, sans peur, ouvertement, ils parlaient, même s’ils savaient qui j’étais :

"Nous nous débarrasserons de ce bâtard indigène. Pour qui se prend-il ? Si nous perdons des millions de dollars dans ce processus, comme nous l’avons fait en 1973 au Chili et maintenant au Venezuela, nous le ferons quand même. Rétablir notre ordre est la priorité."

Il n’y a absolument aucun moyen de raisonner ces gens. Ils ne peuvent être apaisés, seulement écrasés ; vaincus. Au Venezuela, au Brésil, au Chili, en Équateur ou en Bolivie. Ils sont comme des rats, comme des maladies, symboles proverbiaux du fascisme comme dans le roman La Peste, écrit par Albert Camus. Ils peuvent se cacher, mais ils ne disparaissent jamais complètement. Ils sont toujours prêts à envahir, sans préavis, une ville heureuse.

Ils sont toujours prêts à unir leurs forces à celles de l’Occident, car leurs racines sont en Occident. Ils pensent exactement comme les conquérants européens, comme les impérialistes nord-américains. Ils ont une double nationalité et des foyers dispersés dans le monde entier. Pour eux, l’Amérique latine n’est qu’un endroit où vivre, piller les ressources naturelles, exploiter le travail. Ils volent ici et dépensent de l’argent ailleurs, éduquent leurs enfants ailleurs, font leurs chirurgies (plastiques et réelles) ailleurs. Ils vont à l’opéra à Paris mais ne se mêlent jamais aux indigènes chez eux. Même si, par miracle, ils rejoignent la gauche, c’est la gauche occidentale, anarcho-syndicaliste d’Amérique du Nord et d’Europe, jamais la gauche réelle, anti-impérialiste, révolutionnaire des pays non européens.

Ils n’ont pas besoin du succès de la nation. Ils ne veulent pas d’une grande Bolivie prospère, d’une Bolivie pour tous ses citoyens.

Ils ne veulent que des entreprises prospères. Ils veulent de l’argent, du profit ; pour eux-mêmes, pour leurs familles et leurs clans, pour leur groupe de bandits. Ils veulent être vénérés, considérés comme "exceptionnels", supérieurs. Ils ne peuvent pas vivre sans ce fossé - le grand fossé qui les sépare de ces "sales Indiens", comme ils appellent les peuples indigènes, quand il n’y a pas d’oreilles qui traînent !

Un vaste projet de logements sociaux à EL Alto, l’un des nombreux réalisés sous la présidence de Morales (Crédit photo : Andre Vltchek 2019©)

Et c’est pourquoi, la Bolivie doit se battre, se défendre, comme elle commence à le faire en ce moment même.

Si ce qui arrive à Evo et à son gouvernement est "la fin", alors la Bolivie en arrière de plusieurs décennies. Des générations entières pourriront sur pied, en désespoir de cause, dans des cabanes rurales faites d’argile, sans eau ni électricité, et sans espoir.

Les "élites" parlent maintenant de "paix". De paix pour qui ? Pour eux ! La paix, comme c’était le cas avant Evo ; la "paix" pour que les riches puissent jouer au golf et faire du shopping à Miami et à Madrid, alors que 90% de la population se faisait frapper, humilier, insulter. Je me souviens de cette "paix". Le peuple bolivien s’en souvient encore mieux.

J’ai couvert la guerre civile au Pérou voisin, pendant plusieurs années, dans les années 90, et je suis souvent passé en Bolivie. J’ai écrit tout un roman à ce sujet - "Point de non Retour". C’était une horreur absolue. Je ne pouvais même pas emmener mes photographes locaux à un concert ou prendre un café dans un endroit décent, parce que c’étaient des cholos, des indigènes. Des moins que rien dans leur propre pays. C’était l’apartheid. Et si le socialisme ne revient pas, ce sera l’apartheid une fois de plus.

La dernière fois que je suis allé en Bolivie, il y a quelques mois, c’était un pays totalement différent. Libre, confiant. Étourdissant.

En me souvenant de ce que j’ai vu en Bolivie et au Pérou, il y a un quart de siècle, je déclare, clairement et résolument : "Au diable cette "paix", proposée par les élites" !

Bien entendu, rien de tout cela n’est mentionné dans les médias occidentaux. Je les surveille, du New York Times à Reuters. Aux États-Unis, au Royaume-Uni et même en France. Leurs yeux brillent. Ils ne peuvent pas cacher leur excitation, leur euphorie.

Ce même NYT a célébré les massacres lors du coup d’Etat militaire orchestré par les Etats-Unis en Indonésie en 1965-66 ou au Chili en 9-11-1973.

Maintenant, la Bolivie, comme on pouvait s’y attendre. De grands sourires dans tout l’Occident. Encore et encore, les "conclusions" de l’OEA (Organisation des États américains) sont citées comme s’il s’agissait de faits ; "les conclusions" d’une organisation qui est pleinement soumise aux intérêts occidentaux, en particulier ceux de Washington.

C’est comme si on disait : "Nous avons la preuve qu’il n’y a pas eu de coup d’État parce que ceux qui l’ont organisé disent qu’il n’y en a pas eu."

A Paris, le 10 novembre, en plein milieu de la Place de la République, une foule immense de Boliviens traîtres s’est rassemblée pour exiger la démission d’Evo. J’ai filmé et photographié ces gens. Je voulais avoir ces images en ma possession, pour la postérité.

Ils vivent en France, et leurs allégeances sont envers l’Occident. Certains sont même d’origine européenne, alors que d’autres sont indigènes.

Il y a des millions de Cubains, de Vénézuéliens, de Brésiliens, qui vivent aux États-Unis et en Europe et qui travaillent sans relâche pour la destruction de leurs anciennes patries. Ils le font pour faire plaisir à leurs nouveaux maîtres, pour faire du profit, ainsi que pour diverses autres raisons.

Ce n’est pas la paix. C’est une guerre terrible et brutale, qui a déjà coûté la vie à des millions de personnes, rien qu’en Amérique latine.

Ce continent possède la richesse la plus inégalement répartie de la planète. Des centaines de millions de personnes vivent dans la misère. Tandis que d’autres, fils et filles de la racaille féodale bolivienne, vont à la Sorbonne et à Cambridge, pour se conditionner intellectuellement, afin de servir l’Occident.

Chaque fois, et je le répète chaque fois, qu’un gouvernement honnête et décent est élu démocratiquement par le peuple, chaque fois qu’il y a quelqu’un qui trouve une solution brillante et un plan solide pour améliorer cette terrible situation, le compte à rebours commence. Les années (parfois même les mois) du leader sont comptés. Il ou elle sera soit tué(e), soit évincé(e), soit humilié(e) et forcé(e) de quitter le pouvoir.

Le pays retourne alors littéralement à la merde, comme cela s’est produit tout récemment en Equateur (sous Moreno), en Argentine (sous Macri) et au Brésil (sous Bolsonaro). Le statu quo brutal est préservé. Les vies de dizaines de millions de personnes sont ruinées. C’est le retour de la "Paix". Pour le régime occidental et ses laquais.

Ensuite, alors qu’un pays violé crie sa douleur, d’innombrables ONG internationales, agences de l’ONU et organisations de financement s’y rendent, soudainement déterminées à " aider les réfugiés ", à maintenir les enfants dans les classes, à "aider les femmes " ou à lutter contre la malnutrition et la faim.

Rien de tout cela ne serait nécessaire si on fichait la paix aux gouvernements élus qui servent leur peuple !

Toute cette hypocrisie malade et pathétique n’est jamais discutée, publiquement, par les médias de masse. Tout ce terrorisme occidental déchaîné contre les pays progressistes d’Amérique latine (et des dizaines d’autres pays, partout dans le monde), est étouffé.

Assez, c’est assez !

L’Amérique latine se réveille à nouveau. Le peuple est indigné. Le coup d’État en Bolivie fera l’objet d’une résistance. Le régime de Macri est tombé. Le Mexique marche dans une direction prudemment socialiste. Le Chili veut récupérer son pays socialiste, un pays qui a été écrasé par les bottes militaires en 1973.

MÈRE ET ENFANTS : Pour la première fois depuis des siècles, Morales a permis aux Boliviens autochtones de vivre dans la dignité, en tant que membres égaux de la société (Crédit photo : Andre Vltchek 2019©)

Au nom du peuple, au nom de la grande culture indigène et au nom de tout le continent, les citoyens boliviens résistent, luttent, affrontent les forces fascistes et pro-occidentales.

Le langage révolutionnaire est de nouveau employé. Il est peut-être démodé à Paris ou à Londres, mais pas en Amérique du Sud. Et c’est ce qui compte - ici !
Evo n’a pas perdu. Il a gagné. Son pays a gagné. Sous sa direction, c’est devenu un pays merveilleux, un pays plein d’espoir, un pays qui offrait de grandes perspectives à des centaines de millions de personnes dans toute La Patria Grande. Tout le monde au sud du Rio Grande le sait. Le merveilleux Mexique, qui lui a donné l’asile, le sait aussi.

Evo a gagné. Et puis, il a été expulsé de force par les militaires traîtres, par des hommes d’affaires traîtres, par des propriétaires fonciers féodaux et par Washington. Evo, sa famille et ses camarades ont été brutalisés par ce chef paramilitaire d’extrême droite - Luis Fernando Camacho - qui se dit chrétien ; brutalisés par lui et par ses hommes et femmes.

La Bolivie se battra. Elle ramènera son président légitime là où il appartient : au palais présidentiel.

L’avion qui emmène Evo au Mexique, au nord, le ramène chez lui, en Bolivie. C’est un grand, grand détour. Des milliers de kilomètres, des mois, voire des années... Mais à partir du moment où l’avion a décollé, l’immense et épique voyage de retour à La Paz a commencé.

Le peuple bolivien n’abandonnera jamais son président. Et Evo est, pour toujours, lié à son peuple. Et vive la Bolivie, bon sang !

André Vltchek

Traduction "et Vive André" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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Andre VLTCHEK
LE LIVRE : Karel est correspondant de guerre. Il va là où nous ne sommes pas, pour être nos yeux et nos oreilles. Témoin privilégié des soubresauts de notre époque, à la fois engagé et désinvolte, amateur de femmes et assoiffé d’ivresses, le narrateur nous entraîne des salles de rédaction de New York aux poussières de Gaza, en passant par Lima, Le Caire, Bali et la Pampa. Toujours en équilibre précaire, jusqu’au basculement final. Il devra choisir entre l’ironie de celui qui a tout vu et (…)
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