Le nouveau roman de Maxime Vivas entre de plain-pied dans la politique la plus brûlante. Ses Collines de Caracas ne sont cependant pas un roman à thèse, ce type de texte, où, comme le disait Jacques Laurent, « les carottes sont cuites au départ ». Et ce, même si, comme c’est ici le cas, nous connaissons le résultat des courses. En effet, dans ces pages, le politique ne prime pas sur l’histoire romancée. Nous ne sommes pas en présence d’une image déformée de la réalité avec des observations plus ou moins biaisées au service d’une démonstration.
L’auteur part d’un constat, d’une structure : l’impérialisme étasunien et ses relais locaux, médiatiques en particulier, tente d’écraser une authentique démocratie qui entrave ses intérêts. Cette structure, l’auteur va nous la faire découvrir par le regard d’une jeune narratrice (Maxime nous laisse à lire sa part de féminité), une journaliste haute-garonnaise sympathisante du Venezuela de Chavez, mais sans plus au départ. Cette structure, ce modèle – dans l’acception que les scientifiques “ durs ” donnent à ce mot – l’auteur va le faire tourner, l’observer sous toutes ses facettes, le perfectionner pour qu’il devienne lisible aux yeux de la narratrice, et donc à nos yeux.
Au moment où d’aucuns croient encore en la « fin des idéologies », à l’heure du triomphe de l’individualisme et de la commodité de créations littéraires centrées davantage sur les tourments individuels que sur les peines de la collectivité, Maxime Vivas ne craint pas de s’interroger sur le rapport entre le roman et la politique, par voie de conséquence sur sa propre responsabilité en tant que créateur et citoyen. L’ancrage de l’auteur est absolument réaliste et, bien que son roman ne soit pas “ à thèse ” au sens où il n’est pas univoque, son message est clair car il démonte le fonctionnement de la société bolivarienne, imparfaite, mais tendue dans une défense maligne et héroïque contre les coups de boutoir de l’impérialisme et de la bourgeoisie comprador.
L’auteur ne se cache pas derrière son doigt mais il sait que, dans la fiction, l’effet politique est produit par un sujet étranger à la politique. Le romancier engagé qu’il est se montre curieux des détails concrets, des faits qui s’enchaînent inexorablement, des motivations individuelles ou collectives. C’est pourquoi il est très présent, par le biais de sa narratrice, dans chaque ligne de son texte. Sa jeune journaliste ne peut être prise en défaut parce qu’elle est toute entière dans ce qu’elle fait. Comme Maxime face au Dalaï-Lama ou à Ménard, elle colle à son sujet (parfois un peu trop) pour délimiter sa propre responsabilité. Elle ne regarde pas Rome brûler en surfant sur internet. Il n’y a pas de hiatus entre sa parole et son action. Mais chez elle comme chez Kafka, l’écriture finira toujours par l’emporter sur la vie.
Élisabeth Parrot (dite « Gaya » parce que « parrot » = « perroquet » = « papagaya ») travaille pour Notre Planète, un mensuel écolo, elle est séparée du père de son enfant, elle a peur en avion et elle a ses règles en des moments inopportuns. Elle s’embarque pour les 30° humides de Caracas où, c’est le moins qu’on puisse dire, la situation est loin d’être stabilisée. Les fonctionnaires ne veulent pas travailler pour le pouvoir démocratiquement élu. Ils tentent de saboter les programmes sociaux de santé, d’éducation, d’emploi et de redistribution des terres. Six millions d’armes légères circulent dans la population. À Caracas, le taux de criminalité urbaine dépasse 23 pour 100 000 habitants. Exacerbée, la lutte des classes se niche dans des recoins inattendus : les pauvres ont des ampoules blanches à basse consommation, les bourgeois ont conservé les jaunes à incandescence parce qu’ils peuvent payer leur facture. De même, les couches aisées sont plus blanches de peau que les prolétaires (comme sous l’Ancien Régime en France …).
Qu’est-ce que ce pays lorsque Gaya y met le pied ? Une terre de contrastes où la quasi totalité des médias (encore plus qu’en France, c’est tout dire) est entre les mains de capitalistes voyous (pléonasme ?) qui traitent le président élu de macaque ou de proxénète, où de nombreuses entreprises refusent (comme Mulliez d’Auchan) de payer des impôts, où l’on torture, où l’on enlève, où l’on viole et où l’on prépare tranquillement et sans se cacher – comme s’il s’agissait d’organiser une foire-expo, l’assassinat du président (« Chavez doit mourir comme un chien »). Sous l’œil bienveillant des médias et des politiques étasuniens. Maxime n’élude pas les contradictions du chavisme : « Mon père a fait partie de la charrette des ingénieurs licenciés en 2003 par Chavez après la grève des cadres de la compagnie du pétrole. Il lui restait quelques années à accomplir avant de partir à la retraite. Du jour au lendemain, il ne fut plus rien. » Mais il n’y a pas de journalistes en prison.
Mais tant que des collines de Caracas le peuple pourra dévaler en une marée rouge, la révolution bolivarienne tiendra : « Rouges les collines de Caracas. Rouges par leurs baraques de briques. Rouges par l’accoutrement des habitants, leurs banderoles, leurs engagements radicaux, leur sang mille fois offert à la mitraille au cours de l’Histoire de leur pays. »
Un roman d’espoir, un livre chaud. Un livre pour nous et pour celles qui connaîtront le XXIIe siècle …
Bernard Gensane
PS : Maxime Vivas est l’auteur de 17 ouvrages, dont ces trois analyses implacables où il a eu tort d’avoir raison avant tout le monde :
La face cachée de Reporters sans frontières : de la CIA aux faucons du Pentagone (enquête), Éditions Aden, Bruxelles, 2007, 266 p. (prix « Lire la politique »)
Dalaï-Lama - Pas si ZEN, Max Milo, 2011, 131 p.
Marine Le Pen amène le pire (en collaboration avec son fils Frédéric), Editions Golias, 2014
Maxime Vivas. Rouges, les collines de Caracas. Les Éditions Arcane 17, 2015.