L’axe prévu traversera d’Est en Ouest la partie aujourd’hui la plus difficile d’accès de l’immense bassin amazonien et permettra aux trois pays qui n’ont pas d’accès direct à l’Océan Pacifique : Brésil, Bolivie et Venezuela de s’ouvrir ainsi un chemin vers le coeur de l’économie et du commerce contemporains. Jusqu’à présent, la Colombie est le seul pays d’Amérique du sud à être baigné par les deux océans : Atlantique et Pacifique.
Il manque bien sûr une signature sur l’accord : celle du Pérou car, si la Bolivie et le Venezuela ont une frontière commune avec le Brésil et pourront donc se connecter sur le nouvel axe à Manáos, ce n’est pas le cas de l’Equateur qui en est séparé par la partie amazonienne peu peuplée et peu accessible du Nord du Pérou.
Le projet est très ambitieux
Du point de vue économique il s’agit :
– d’ouvrir un axe de transport du bassin amazonien vers le Pacifique qui combinerait transport fluvial sur l’Amazone (Manáos est accessible à des navires de mer) et transport routier
– de faire de Manáos, où aboutissent les routes en provenance de Bolivie et du Venezuela, le carrefour des transports amazoniens
– de désenclaver une énorme partie de ce bassin
– de développer à Manta un nouveau port de dimension internationale
Pour l’Equateur en particulier ce projet constitue l’étape suivant nécessairement la fermeture de la base militaire US de Manta dont le bail vient à échéance en 2009 et dont la reconduction est désormais impossible puisque la nouvelle constitution équatorienne adoptée par 65 % des électeurs interdit la présence de bases militaires étrangères sur le sol de la république.
Dans un pays pauvre où le dollar US est encore la monnaie officielle, il est facile de comprendre que les dépenses des militaires US basés à Manta et le loyer des terrains que l’armée US occupait (sur une base aérienne équatorienne préexistante) constituait une source de revenus qu’il va falloir remplacer.
Le gouvernement équatorien s’en est préoccupé et deux décisions ont été prises : celle d’installer à Manta une raffinerie de pétrole qui sera construite avec la société nationale pétrolière du Venezuela (PDVSA) et celle d’y créer un nouveau port de grande taille et au gabarit des plus grands navires actuels dont la construction a été confiée à la multinationale portuaire chinoise de Hong-Kong HUTCHINSON PORTS HOLDING.
Ce nouveau port viendra progressivement prendre la place du premier port équatorien actuel de GUAYAQUIL. Situé sur l’embouchure d’un fleuve et au milieu de la plus grande ville équatorienne, GUAYAQUIL ne peut être agrandi et il se créera autour de Manta un nouveau pôle de développement concurrent. La bourgeoisie de GUAYAQUIL, principal point d’appui de la droite pro-US et qui est, à proprement parler, une bourgeoisie bananière (l’Equateur est le premier exportateur mondial de bananes) est très mécontente de ces projets et la ville de GUAYAQUIL a été le seul endroit où le NON à la nouvelle constitution l’a emporté et encore de fort peu (un point d’écart).
Du point de vue militaire et stratégique :
Cet axe est manifestement une réponse à la pénétration des forces spéciales composites (colombo-israélo-étasuniennes) qui, dans la forêt amazonienne, circulent aux confins du Pérou et de la Colombie et s’occupent d’infiltrer les pays considérés comme « ennemis » par l’Internationale Noire : Venezuela, Equateur et Bolivie.
Le Brésil n’est pas considéré à Washington comme un ennemi mais l’armée brésilienne qui veut rester maitresse chez elle se préoccupe depuis plusieurs années de la pénétration étrangère clandestine dans cette zone difficile. Qu’il ait accepté récemment le survol de cette zone par les bombardiers supersoniques russes TU 160 venus en visite au Venezuela est une preuve tangible de cette inquiétude.
Il y a fort à parier que ce projet va déclencher l’ire des mouvements écologiques occidentaux les plus radicaux qui vont mettre en avant la protection de la forêt amazonienne pour le combattre. Sans nier ce type de problèmes il faut souligner que la nouvelle constitution équatorienne est très avancée sur le chapitre de la protection de l’environnement et de la biodiversité et que les donneurs de leçon « occidentaux » risquent de servir de paravent à une riposte impérialiste au projet qui ne saurait tarder. Le caractère de « bonne conscience impérialiste » de ces mouvements se mesure non pas sur les problèmes qu’ils soulèvent, qu’il ne faut pas nier, mais sur la liste de leurs priorités d’intervention et sur l’origine géographique et sociale des financements et qu’ils reçoivent. La déforestation engendrée par le développement de la culture des agro-carburants est évidemment d’une toute autre ampleur que celle provoquée par l’ouverture d’un axe de transport qui, sur une bonne partie de son parcours, sera le fleuve lui-même.
Avec ce nouveau projet qui isole la Colombie (et auquel elle pourrait facilement s’associer en cas de changement de régime à Bogota), une nouvelle entreprise « bolivarienne » d’importance est lancée et se franchit un nouveau pas dans le long desserrement, de l’étreinte impérialiste sur le continent sud-américain.
comaguer@nomade.fr