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Liban : guerre civile ou déflagration régionale ?

Suite à la guerre de  2006 au Liban dont le but de guerre israélien était le démantèlement du Hezbollah en tant que force militaire - But de guerre partagé par les puissances occidentales, l’Arabie Saoudite et l’Egypte - le Conseil de sécurité de l’ONU adopta, le 11 août 2006, la résolution 1701 qui instaura le cessez le feu. Evidemment comme dans toute résolution concernant le Moyen-Orient, dans un paragraphe, consacré à la question palestinienne, il est souligné «  qu’il importe et qu’il est nécessaire d’instaurer une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient, sur la base de toutes ses résolutions pertinentes, y compris ses résolutions 242 (1967) du 22 novembre 1967, 338 (1973)  du 22 octobre 1973 et 1515 (2003) du 19 novembre 2003. » Enfin, dans cette résolution, le Conseil de Sécurité n’omet pas de rappeler l’«  Exclusion de toute force étrangère au Liban sans le consentement du Gouvernement libanais. » (1)

Recommandation contenue explicitement dans la résolution 1559 du 2 septembre 2004 qui, à l’initiative de Paris et Washington, exige le départ des troupes syriennes et le désarmement des milices. L’assassinat du Premier Ministre libanais Rafic Hariri, le 14 février 2005, offrira  un formidable levier pour la réalisation de la première partie de la recommandation puisque  la Syrie fut considérée, avant toute enquête, comme le commanditaire de cet assassinat par la classe politique pro-occidentale libanaise, appuyée en cela par la France, les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Egypte. La pression internationale fut telle que le retrait s’est effectué trois mois après l’assassinat et en vingt trois jours (3 avril-26 avril 2005). 

Quant au volet palestinien de la résolution 1701, il est ouvert le 27 novembre 2007 lors de la conférence d’Annapolis. Sous la tutelle du Président américain George Bush, le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et le Premier Ministre israélien Ehud Olmert s’engagèrent à  « ... servir l’objectif de deux Etats - Israël et la Palestine - coexister dans la paix et la sécurité » et  « à mettre fin au bain de sang, aux souffrances et aux décennies de conflit entre nos peuples … » (2). Une déclaration dont l’objet final n’était rien moins que l’avènement d’un Etat palestinien en 2008. (2)

On sait maintenant que ces accords connurent le même sort que ceux d’Oslo, au lendemain de la guerre du Golfe. En effet, les accords d’Oslo  se conclurent par la deuxième Intifada, le quasi-emprisonnement de Y. Arafat et avec, comme point d’orgue, les opérations militaires israéliennes, «  Rampart en Cisjordanie » et «  Pluie d’été à Gaza » (2005-2006). Ceux d’Annapolis s’achevèrent par un crime contre l’humanité dans la bande de Gaza. (Opération «  Plomb durci » (janvier 2009, rapport Goldstone (3).

Ce bref rappel est fort utile parce que les mêmes scénarii risquent de se reproduire dans la région dans  les mois à venir.

Ainsi prend fin  le deuxième mandat de Georges Bush, son successeur Barack Obama semble plus disposé envers le peuple palestinien. Il nomme Georges Mitchel comme envoyé spécial et somme Palestiniens et Israéliens d’entamer des négociations indirectes avec la condition « gel de la colonisation ». L’Etat d’Israël n’obtempère pas et continue sa politique de colonisation de la Cisjordanie et de judaïsation de Jérusalem-Est avec en prime un blocus de la bande de Gaza qui fait de celle-ci, une prison à ciel ouvert. Ce qui entraîne le deuxième échec de Georges Mitchel après celui de la «  feuille de route 2005 » (4) et la fin des négociations indirectes.  Le 31 juillet 2010, changement de braquet de la part de l’Administration américaine puisque Barack Obama ordonne à l’Autorité palestinienne d’entamer des négociations directes sans condition en précisant que  tout refus  pourrait nuire aux relations palestino-américaines. Sur ce, la Ligue Arabe emboîte le pas à l’Administration américaine en précisant, tout de même, que  les palestiniens sont libres dans leur choix. Ce qui n’empêche pas le Président égyptien d’orchestrer un ballet diplomatique cairote entre  le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le Premier Ministre Netanyahu et le Président S.Pérez afin de préparer le «  oui » palestinien. Ce remue ménage diplomatique n’aurait eu aucune signification politique particulière si dans le «  ciel libanais » ne pointait pas un orage lourd et menaçant.

En effet, parallèlement à la pression américaine sur les Palestiniens, des rumeurs et des fuites bien orchestrées sur les auteurs de l’assassinat de Hariri polluent de nouveau l’espace politique libanais jusqu’au point de remettre à l’ordre du jour la question de la paix civile. Comme par le passé, l’agitation diplomatique autour de la question palestinienne sert, vis-à -vis des populations arabes, de cache sexe à la politique des dirigeants Saoudiens et Egyptiens et à leurs implications dans le dossier du désarmement du Hezbollah et du nucléaire iranien.  

L’assassinat de Hariri : «  Un tremblement de terre » pour un nouveau Moyen-Orient

Pour reprendre l’expression utilisée par le dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’assassinat du Premier Ministre Rafic Hariri est «  un tremblement de terre » dont l’onde de choc ne cesse de secouer la terre libanaise. Là aussi, un retour dans le passé récent est utile pour mieux saisir les scénarios en cours de réalisation.

Faisant fi de l’avis de  l’opposition animée  principalement par le Hezbollah et le Courant patriotique de Michel Aoun qui demandait une enquête et le jugement des auteurs de l’assassinat sous la seule autorité du Gouvernement libanais, le Premier ministre libanais Fouad Séniora s’adressa, le 13 décembre 2005, au Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, pour la création d’un tribunal à caractère international. Ainsi est né le 30 mai 2007, le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL, résolution 1757 du Conseil de Sécurité). Il est évident qu’une telle résolution légitime les ingérences extérieures, notamment américaines et françaises. (4) Car il faut garder à l’esprit que trois acteurs majeurs dans la région perturbent la stratégie israélo-américaine : la Syrie, le Hezbollah et l’Iran. Contrairement à ce qu’on pense, il n’y a pas d’inféodation du Hezbollah à la Syrie ou à l’Iran mais entre ces trois acteurs régionaux, existe une convergence d’intérêts stratégiques où se mêlent souveraineté, intégrité territoriale, ambition de puissance régionale et nucléaire.

Enfin, les champs de confrontation et de luttes d’influence entre d’un côté, puissances occidentales, y compris Israël et leurs alliés arabes à majorité sunnite et de l’autre, la Syrie, le Hezbollah et l’Iran, sont multiples : Irak, Palestine, Yémen… Pour simplifier, les contradictions politiques et idéologiques qui minent la société libanaise sont le prolongement de celles qui secouent le Moyen-Orient.

1) Isoler la Syrie de l’Iran

Comme rappelé précédemment, le retrait syrien du Liban fut immédiat. Mais la pression continue de s’exercer sur la Syrie pour d’une part, isoler la Syrie de l’Iran et d’autre part couper les liens politiques et militaires syriens avec la résistance libanaise et le Hamas.

Six mois après le retrait syrien du Liban, le 31 octobre 2005, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte le rapport de la Commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri, présidée par le magistrat allemand Detlev Mehlis. La Commission conclut qu’ «  après avoir entendu des témoins et interrogé des suspects en République arabe syrienne et avoir établi que de nombreuses pistes désignent directement des agents des services de sécurité syriens comme étant directement impliqués dans l’assassinat, qu’il incombe à la Syrie de clarifier une part considérable des questions non résolues  ». (5)

Pour Mehlis, il existe des « preuves concordantes » (5) d’une implication libano-syrienne. D’où l’emprisonnement, le 30 août 2005, de quatre généraux libanais, responsable du renseignement militaire. Reste à entreprendre les poursuites concernant les responsabilités syriennes  au plus haut niveau. Entre temps, il a été prouvé que les généraux furent incriminés sur des faux témoignages. Aussi, quatre ans plus tard, le 29 avril 2009, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a ordonné la libération des quatre généraux sans pour autant poursuivre en justice les faux témoins. La piste syrienne fut abandonnée. Ainsi prend fin la mission de Mehlis et le 11 janvier 2006, le Secrétaire Général des Nations unies nomme le belge Serge Brammertz à la tête de la Commission d’enquête internationale.

Reste maintenant à réaliser la seconde partie de la résolution : le désarmement du Hezbollah.

Objectif, une fois atteint, combiné à   l’éloignement politique de la Syrie de l’Iran et à l étranglement du Hamas servira doublement : clore  le volet palestinien tel que le conçoivent Israélien et Américain et ouvrir le dossier du nucléaire iranien avec… L’option militaire ?

 2) Les germes d’une guerre civile ou régionale ?

Comme rappelé au début, la première tentative pour démanteler la résistance libanaise est dévolue, en juillet 2006, à l’armée israélienne. Une guerre qui fut un échec pour cette dernière. Au contraire, la résistance libanaise sort renforcer politiquement, au-delà de la rue libanaise, sans être affaiblie militairement pour autant. Mais ce n’est que partie remise.

En effet, sans abandonner l’action juridique du TSL, la C.I.A  ainsi que d’autres organismes de renseignement américains financent des groupes politico-militaires anti-Hezbollah et encouragent l’infiltration de groupes armés sunnite et de prédicateurs salafistes avec l’aide de l’Arabie Saoudite. (7)

Sur ces points, les déclarations de Jeffrey D. Feltman, assistant de la secrétaire d’Etat américaine et responsable du bureau des affaires du Proche-Orient, et de Daniel Benjamin, coordinateur du bureau de lutte contre le terrorisme sont sans ambiguïtés : «  Les Etats-Unis continuent de prendre très au sérieux les menaces que le Hezbollah fait peser sur les Etats-Unis, le Liban, Israël et l’ensemble de la région. » (8) Mais le plus intéressant est la reconnaissance officielle de l’aide directe apportée par les Etats-Unis aux forces libanaises qui luttent contre le Hezbollah. «  Les Etats-Unis fournissent une assistance et un appui à tous ceux qui, au Liban, travaillent pour créer des alternatives à l’extrémisme et réduire l’influence du Hezbollah dans la jeunesse. (...) A travers l’USAID et la Middle East Partnership Initiative (MEPI), nous avons contribué depuis 2006 à hauteur de plus de 500 millions de dollars à cet effort… Depuis 2006, notre aide totale au Liban a dépassé le milliard de dollars… » (8)

C’est dans ce programme que s’inscrivent les dizaines de cadres et techniciens libanais travaillant dans les télécommunications, arrêtés pour espionnage au service de l’Etat d’Israël.

Enfin, l’arme juridique que représente le TSL est également prête à être utilisée. Contrairement à Mehlis, l’actuel Président de la Commission d’enquête, le juge Serge Brammertz, a reconstruit  la confiance avec Damas. Ce qui vaut d’ailleurs à cette dernière un satisfecit de la part de la Commission. De Puissance coupable, elle passe au rang de puissance coopérante. A ce propos, il faut souligner que de toutes les hypothèses émises sur le ou les commanditaires de  l’assassinat, la Commission n’a jamais retenue la patte israélienne donc, exit la Syrie de la liste des coupables, le Hezbollah devient le principal suspect. C’est ce qu’affirmait, au lendemain de la victoire du Hezbollah dans sa confrontation avec l’armée israélienne, le journaliste Georges Malbrunot dans un texte publié dans le Figaro du 19 août 2006. Hypothèse qui de nouveau ressurgit dans l’hebdomadaire allemand Spiegel, en pleine période électorale législative libanaise, en 2008. Ce dernier affirme que « ce ne sont pas les Syriens, mais les forces spéciales de l’organisation chiite qui ont planifié et exécuté l’attentat. » 

Enfin, récemment, dans un article publié le 19 juillet 2010, Malbrunot  écrit qu’ «  une reconstitution de l’assassinat de l’ex premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005 à Beyrouth doit avoir lieu cet automne dans une base militaire au sud de Bordeaux, révèle au Figaro une source policière.  » et il ajoute que «  Le Hezbollah se retrouve dans la ligne de mire de la justice internationale. » (9) (Lire également l’article  du 21 juillet concernant la visite du commandant en chef des Forces de défense israéliennes Gabi Ashkenazi en France)

Allant dans le même sens,  la presse israélienne enrichit les fuites en divulguant un nom : «  il y a maintenant officiellement un nom derrière l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre libanais Rafik Al-Hariri en février 2005. Il s’agit d’un haut responsable du Hezbollah, Mustapha Badr A-Din, surnommé Elias Saab… » (10) et cite le dirigeant Hassan Nasrallah qui a affirmé dans une conférence de presse qu’ avant son voyage à Washington en mai, Saad Hariri lui a dit que des membres indisciplinés du Hezbollah seraient désignés par l’acte d’accusation.

Enfin, sous le titre «  Comment Assad s’est laissé convaincre par Abdallah de l’accompagner au Liban... » Paru dans le journal libanais l’Orient le Jour, Scarlett Haddad  souligne en s’appuyant sur une source libanaise proche de la Syrie «   que cet entretien a été très animé. Le roi Abdallah aurait demandé à son interlocuteur syrien de «  faciliter la solution au Liban et avec les Palestiniens, sinon une nouvelle guerre pourrait éclater dans la région, et cette fois, elle pourrait bien ne pas épargner la Syrie  » (11).

Toutes ces rumeurs, fuites et faits apparaissent comme des échos aux propos tenus par un responsable de l’Administration américaine et par la Porte parole du TSL. Le premier conseille au Président syrien de bien écouter ce que lui dit le roi Abdallah, la seconde  rappelle au Gouvernement libanais son devoir de collaborer avec le TSL, quel que soit le commanditaire de l’assassinat. Fondées ou non, toutes ses informations donnent une teneur particulière aux accusations israéliennes et américaines de livraison, par l’Iran et la Syrie, d’armements sophistiqués au Hezbollah et aux propos exprimés devant la Knesset par le commandant en chef des Forces de défense israéliennes Gabi Ashkenazi qui prédit que : «  avec beaucoup d’espoirs », la situation se détériorerait au Liban en septembre.

Du côté du Hezbollah, tout en accusant l’Etat d’Israël d’être derrière l’assassinat de Rafic Hariri, son dirigeant Hassan Nasrallah déclare s’opposer à toute coopération avec le TSL si des membres de son organisation, «  indisciplinés » ou non, sont inculpés.

Pour le moment, l’intégralité de la classe politique libanaise appuyée par le  Président syrien Bachar Assad et le roi Saoudien Abdellah appellent à la sauvegarde de l’Unité Nationale et de la Paix civile. Néanmoins, cette unité politique semble très fragile à cause des profondes divergences politiques et idéologiques qui traversent la société libanaise accentuée par les pressions juridico-politiques extérieures. Ainsi, tous les ingrédients d’une guerre civile ou d’une déflagration régionale sont réunis, seul manque le détonateur, à savoir, la divulgation des noms et la qualité des accusés de l’assassinat de R. Hariri. 

A moins que le Hezbollah se soumette au verdict de la Commission d’enquête de l’ONU pour éloigner le spectre de la guerre civile. Dans ce cas peu probable, il risque, d’une part, l’implosion et d’autre part, la pression intérieure et extérieure serait telle que le processus de désarmement se déclencherait inévitablement. Comme il est également peu probable que le Gouvernement libanais refuse de satisfaire le TSL pour sauvegarder l’Union nationale. Une telle  position déboucherait sur une déflagration régionale.

Reste alors l’hypothèse que le Hezbollah appuyé par le Courant patriotique de Michel Aoun, pour ne pas être accusés de saboter l’Union nationale et considérant le TSL comme un instrument politique israélo-américain d’ingérence, déclenchent une guerre contre l’Etat d’Israël avant même l’annonce de la Commission d’enquête. En tout état de causes, il est peu probable que la question du désarmement du Hezbollah, la question palestinienne, l’occupation du Golan et le nucléaire iranien trouvent des réponses diplomatiques.

Mohamed El  Bachir
4 août 2010
 

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