Madame la Parlementaire européenne,
Monsieur le Parlementaire européen,
La résolution que vous avez cru devoir adopter le 18 janvier 2018 ne résiste pas aux critiques.
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1) Partialité
En premier lieu, elle se caractérise par une étrange partialité, oubliant que les pires atteintes aux droits de l’homme sont dues aux guerres et à la misère.
Or, précisément, pour ce qui est des guerres, la République populaire de Chine, indépendamment du conflit sino-indien, n’a mené que deux opérations militaires en dehors de son territoire (en 1949 en Corée et en 1976 au Vietnam), soit vingt fois moins que les États-Unis – qui ont semé la mort et le chaos un peu partout dans le monde.
Or, précisément, pour ce qui a trait à la misère, la Chine, en moins de quarante ans, a réussi à extraire de l’extrême pauvreté plus de 600 millions de personnes – un exploit inégalé à ce jour.
Au Tibet, par exemple, l’espérance de vie a doublé et le niveau de vie est en croissance constante, au plus grand bénéfice d’une population qui, sous l’ancien régime théocratique, connaissait des conditions de vie indignes.
Pour plus de détails, je vous conseille un analyse critique détaillée de votre approche biaisée, sous la plume d’Albert Ettinger (**) : http://tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/439-le-parlement-europeen-et-les-droits-de-l-homme-au-tibet-1ere-partie-deux-poids-deux-mesures
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2) Ignorance
En deuxième lieu, votre résolution fait preuve d’une incroyable ignorance des cas des soi-disant « militants pour les droits de l’homme ».
Wu Gan, Lee Ming-che et Tashi Wangchuk sont en fait les auteurs d’activités subversives qui, si elles avaient été commises en Europe par des citoyens européens, leur auraient valu des peines comparables, sinon plus lourdes.
Quant au « moine tibétain Choekyi », il doit s’agir d’une vieille affaire dégonflée depuis longtemps : nommé panchen-lama par le dalaï-lama quand il n’était qu’un garçonnet, et considéré par Dharamsala comme le plus jeune prisonnier politique, Choekyi vit actuellement au Tibet comme citoyen ordinaire [Rectificatif par l’auteur : « Le moine tibétain Choekyi » visé par la résolution n’est pas le panchen-lama nommé par Dharamsala, mais un autre moine du même nom, comme l’indique Mme Frédérique Ries, co-auteure du texte voté, selon laquelle il s’agit du « bonze Choekyi, embastillé depuis deux ans pour avoir célébré l’anniversaire du dalaï-lama »].
Et, last but not least, Xie Yang dont vous déplorez le sort a été purement et simplement relaxé le 26 décembre 2017.
Pour plus de détails, je vous conseille le second volet de l’analyse critique de votre accusation mal fondée, toujours sous la plume d’Albert Ettinger :
http://tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/440-le-parlement-europeen-et-les-droits-de-l-homme-au-tibet-2e-partie-ignorance-ou-mauvaise-foi
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3) Confusion
Votre résolution a au moins le mérite de reconnaître implicitement que l’annonce de la retraite politique du dalaï-lama était une farce. En écrivant : « [le Parlement européen] réitère l’appel adressé au gouvernement chinois pour qu’il noue le dialogue avec Sa Sainteté le dalaï-lama et ses représentants », vous confirmez que c’est toujours lui qui est le véritable chef du « gouvernement en exil » et du séparatisme tibétain.
Lire à ce sujet : http://tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/438-les-parlementaires-europeens-ne-prennent-pas-le-dalai-lama-au-serieux
« Pourquoi, s’interroge Albert Ettinger, le Gouvernement chinois devrait-il négocier avec un ‘simple moine’ qui a renoncé, il y a déjà sept ans, à tout rôle politique ? Et qui sont ‘ses représentants’ qui sont mentionnés dans cette résolution ? Il ne peut pas s’agir de fonctionnaires du ‘gouvernement en exil’, puisque ceux-là ont été, nous dit-on, élus démocratiquement par les Tibétains en exil qu’ils sont censés représenter. Ils ne sont donc plus les représentants d’une ‘Sainteté’ qui n’a plus aucune autorité sur eux, hormis la ‘spirituelle’. »
En attribuant au dalaï-lama un pouvoir auquel vous ne pouvez ignorer qu’il aurait renoncé, vous confondez le temporel et le spirituel, le politique et le religieux, révélant ainsi votre nostalgie latente d’un régime théocratique dont le dalaï-lama reste le symbole vivant.
ll est pour le moins paradoxal et regrettable que votre résolution en faveur des « droits de l’homme » fasse peu de cas de la séparation entre ꟷ pour faire court ꟷ l’Église et l’État, qui constitue pourtant une condition sine qua non du respect de l’article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme.
Plus que sur le Tibet au sein de la Chine, votre résolution en dit long sur les dérives communautaristes et confessionnelles qui menacent l’Union européenne, auxquelles certains de ses mandants semblent prêts à céder. Il est en tout cas profondément inquiétant que la proposition de résolution ait été déposée par des membres de tous les groupes parlementaires, parmi lesquels, il est vrai, le PPE prend la part du lion (41), suivi par les Libéraux (26), les Écologistes (9), les Conservateurs (8), les Eurosceptiques (3) et les Socialistes (3).
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Une résolution aussi tendancieuse, indigente et inquiétante, outre qu’elle constitue une injure pour la République populaire de Chine, n’est certainement pas de nature à redonner aux citoyens européens confiance dans les institutions censées les représenter.
Veuillez agréer, Madame la Parlementaire, Monsieur le Parlementaire, l’expression de ma considération distinguée.
André Lacroix
Auteur de la traduction
Mon combat pour un Tibet moderne. Récit de vie de Tashi Tsering,
éditions Golias, 2010
(*) http://www.tibet.fr/actualites/resolution-parlement-europeen-18-janvier-2018-cas-militants-droits-de-lhomme-wu-gan-xie-yang-lee-ming-che-tashi-wangchuk-ainsi-moine-tibetain-choekyi/
(**) Albert Ettinger est un professeur luxembourgeois retraité, auteur de deux ouvrages très documentés sur la question tibétaine : Freies Tibet ? (2014) et Kampf um Tibet (2015), parus aux éditions Zambon de Francfort-sur-le-Main.