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« Lettre ouverte à ceux qui veulent un contrôle plus strict des chômeurs », par Karine Vaxelaire.


L’ Humanité, 25 septembre 2005.


Chômage



Karine, trente et un ans, dans une lettre ouverte adressée au chef de l’Etat, raconte sa galère de chômeuse, de CDD en jobs à temps partiel, de stages en petits boulots, de l’envoi de centaines de CV en dizaines d’entretiens. Sans pouvoir prétendre à de quelconques allocations chômage, puisqu’elle ne travaille pas assez.


«  Mesdames, Messieurs,

Je vous félicite pour votre demande de contrôle plus strict des chômeurs ! Ce contrôle va rétablir la vérité sur la situation globale réelle des chômeurs.

En France, un chômeur sur deux ne touche plus ses allocations chômage. Sept à huit millions de Français sont au chômage.

Vous désirez donc que les contrôles sur les chômeurs soient plus draconiens : je crains que vous ne soyez déçus car ceux qui profitent du système représentent un très faible pourcentage, car il est quasi impossible d’en profiter ! Je l’ai constaté lors de mon expérience personnelle, que j’aimerais vous faire partager.


Mon curriculum

J’ai 31 ans, j’ai travaillé 8 ans : successivement 5 ans vendeuse à France Loisirs, 1 an vendeuse chez Manoukian, et 2 ans de travail d’intérim (usine, manutentions).

Je possède un DUT métiers du livre (obtenu à 22 ans), et un BTS maintenance informatique (obtenu à 29 ans).

Je suis au chômage depuis deux ans, j’ai alterné quelques petits boulots, mais je n’ai plus droit aux allocations chômage depuis 1 an et demi, car les périodes de travail sont trop courtes.


Mon expérience professionnelle

J’avais un CDD à 60 heures par mois pour mon premier travail chez France Loisirs, ma responsable m’avait convaincue (dans ma jeunesse naïve) de réaliser 90 heures payées 60 pour montrer ma motivation et progresser. J’ai attendu 3 ans mais ce fut sans résultat, j’ai donc démissionné, puis France Loisirs m’a contactée pour me muter à Strasbourg avec 70 heures par mois. Chaque jour, je faisais les trajets Colmar-Strasbourg, parfois pour ne travailler que deux heures. Puis j’ai demandé un temps complet, possible uniquement pour les responsables de boutique. J’ai donc été mutée à France Loisirs Sarrebourg, dans une filiale gérée par une Maison de la presse : mon salaire était le SMIC, avec une exception un mois pour un concours gagné.

A Sarrebourg, j’étais seule pour gérer la boutique, je travaillais les soirs et les week-ends, j’avais augmenté le chiffre d’affaires du tiers ; j’attendais une récompense financière qui n’est jamais venue, les gérants de la Maison de la presse pensaient que je n’allais jamais partir : seule, pour aller où ?

Je suis retournée à Colmar où j’ai travaillé chez Manoukian, pour un contrat à 35 heures modifié un mois plus tard en contrat à 31 heures... J’avais une responsable qui pratiquait le harcèlement moral envers moi, reconnu par la direction qui a dû intervenir (cas connu et répété).

J’ai démissionné, et à l’époque je n’avais pas droit au chômage. Je suis restée plusieurs mois sans ressources, heureusement, un ami m’a hébergée. Puis j’ai travaillé en intérim en horaire de nuit dans une usine en Allemagne, je faisais les trajets tous les jours. Le CDD s’est arrêté, un mois après j’ai retrouvé un travail très dur physiquement, j’ai dû rompre le contrat : comme j’avais à nouveau rompu un contrat (dans les 6 mois précédant ma demande de chômage), je n’avais toujours pas droit au chômage.

J’ai donc dû enchaîner des petits travaux le week-end (ménages...) afin de me nourrir. Bien-sûr, je n’avais pas de voiture, et je ne pouvais me payer aucun vêtement, pas plus que le coiffeur... Je ne pouvais pas non plus avoir de vie affective avec des horaires qui m’interdisaient toute relation suivie.

Ces petits boulots enchaînés, dont personne ne voulait, m’ont détruite physiquement et moralement, restant perpétuellement dans l’instabilité, ne sachant pas de quoi demain serait construit, seule et à la merci de certains chefs d’entreprise profiteurs. Je souffrais également d’une hernie discale car je devais porter de lourdes charges.

Puis, un jour, j’ai touché mon chômage, après être allée pendant une semaine tous les jours avec de multiples papiers, après avoir essuyé le jugement de certaines employées des ASSEDIC me signifiant que j’avais gagné suffisamment les mois précédents pour avoir mis de côté sans avoir besoin d’allocation, après avoir mis mes plus vieux vêtements... et après qu’ils m’aient donné une information claire sur le nombre d’heures de travail nécessaires pour toucher mon chômage (je me suis rendu compte que j’y avais droit depuis plusieurs mois). J’ai eu la chance de suivre une formation accessible aux chômeurs : un BTS informatique en un an. C’était intensif mais, passionnée d’informatique depuis une dizaine d’années, je me sentais investie dans quelque chose qui me rapporterait beaucoup. Je me levais à 6 heures et rentrais le soir à 19 heures car j’allais à Strasbourg tous les jours. Et j’ai obtenu mon BTS avec la meilleure note au mémoire (17,5/20).

Depuis cette époque, j’ai déménagé dans le Sud pour suivre mon ami. Je suis au chômage, mais je ne touche plus d’allocations depuis un an et demi, et comme mon mari travaille, je n’ai pas droit au RMI (je trouve cela normal, car je ne suis pas dans le besoin).

Je suis au chômage depuis deux ans car aucune entreprise ne m’a donné ma chance pour commencer mon nouveau métier : des centaines de CV envoyés, une prospection de tous les jours pendant deux ans, une dizaine d’entretiens, quelques petits contrats.

De plus, je ne suis pas difficile car j’accepte bien entendu le SMIC, les CDD, les emplois sans rapport avec ma formation : secrétaire, femme de ménage, commerciale - informatique...

Dans le Sud, j’ai notamment eu une expérience d’un mois comme commerciale informatique, dans une société embauchant trois personnes : le directeur m’a convaincue de réaliser les 15 premiers jours gratuitement, lorsqu’il a eu connaissance de l’existence de mon ami (mari depuis), il a tenté, après les quinze jours, de me dissuader de poursuivre l’expérience de travail chez lui, mais j’ai tenu bon encore 15 jours, cette fois rémunérés. Je travaillais 50 heures dans la semaine, j’étais en déplacement constamment, je devais créer ma propre clientèle, j’avais des objectifs inatteignables, j’utilisais mon propre véhicule, et j’étais rémunérée 450 euros par mois sans la prime objectifs. C’était très motivant !

J’ai aussi le souvenir d’un entretien, un homme d’une cinquantaine d’années, avec qui j’étais allée en déplacement gratuitement pour me familiariser et décider mutuellement de mon embauche future : cet homme m’a parlé de la vie privée de ses employés toute la journée, il voulait que je remplace son épouse à l’accueil, il m’a ensuite dit de me renseigner, qu’il existait des stages de trois mois (rémunérés par l’ASSEDIC) ; puis, à la fin de la journée, il m’a annoncé qu’il m’embauchait au SMIC. J’étais très heureuse, j’ai prévenu ma famille, mes amis. J’avais un rendez-vous chez son comptable : ce rendez-vous a été annulé, et une semaine après ce monsieur me laissait un message pour m’annoncer qu’il avait changé d’avis, et que, finalement, il embauchait un ami dans le besoin... Quelle ne fut pas ma surprise lorsque trois mois après l’ASSEDIC me proposait un stage de trois mois, payé par l’organisme dans l’entreprise de ce monsieur (sans que celui-ci ait connaissance de mon identité) !

Lors des entretiens, j’ai également constaté que j’intéressais certains recruteurs, jusqu’à ce qu’ils découvrent que je ne touchais plus mon allocation de chômage et que donc je n’avais plus droit au stage de trois mois rémunéré par les ASSEDIC.

J’ai aussi fait du ménage à temps complet dans une collectivité : c’était très dur et le soir je me suis retrouvée aux urgences pour une intoxication aux produits ménagers ! Cette entreprise, le jour même, m’avait proposé un CDI. Et, bien sûr, avec un CDI, si on rompt le contrat, on ne touche plus le chômage. Cette entreprise proposait un travail si éprouvant qu’ils n’arrivaient pas à garder leurs employés et donc proposaient le CDI.

Les autres propositions que j’ai eues (après six mois de recherches) étaient : un job d’été avec les week-ends et les soirées incluses (je ne suis pas partie en vacances avec mon mari), un contrat de vendeuse à 12 heures par semaine avec les horaires qui coïncidaient avec le temps libre de mon mari.

Tous ces petits contrats sont trop courts pour que le chômeur ait droit à l’allocation chômage, et, s’il y a droit, ce n’est pas pour longtemps.

Cela est un témoignage véridique parmi des millions d’autres. Beaucoup de chômeurs ont honte de leur condition et n’osent pas témoigner. Portez-leur plus d’attention, faites preuve d’empathie, car si vous les aidez vous vous aidez.

Je vous remercie de m’avoir lue, s’il vous plaît, ne généralisez pas un cas particulier, ne jugez pas les chômeurs sans savoir, et peut-être ils ne vous jugeront pas aussi sévèrement.

Je rappelle que les chômeurs sont aussi des électeurs, et que le gouvernement devrait les respecter un peu plus.

On nous prône le modèle anglais avec des gens qui cumulent les petits contrats et travaillent intensivement, sans s’arrêter jusqu’à 60 heures par semaine, et pour gagner juste de quoi avoir une vie décente. Ils sont tellement éreintés qu’ils n’ont plus l’énergie pour le moindre loisir : quelle vie peuvent-ils avoir ?

Quel nom donner à cela si ce n’est « esclavagisme moderne » ?

Si, eux, ils peuvent encore accepter cela, moi, je ne le peux plus. Et vous, le pourriez-vous ?


Post scriptum. Je trouve scandaleuse la mauvaise foi de nos gouvernants face au chômage. Les dernières mesures sur le chômage (la circulaire punissant les chômeurs - NDLR) ne sont que de la poudre aux yeux destinée à masquer les réalités à l’opinion publique. Ces mesures sont stériles et n’apportent rien - sauf au gouvernement pour remonter sa cote de popularité car les chômeurs concernés (ceux à qui l’ANPE fait trois propositions et qui refusent) sont généralement des chômeurs en fin de droits et qui ne touchent plus les - ASSEDIC ; ils seront juste rayés de la liste des demandeurs d’emplois, ce qui fera baisser le nombre de chômeurs sur le papier mais pas dans la réalité ; d’autres devront accepter l’inacceptable. Peut-on empêcher les chômeurs de tenter de trouver un travail décent ? Doivent-ils perdre l’espoir d’une vie meilleure ?

On nous dit qu’il y a plusieurs milliers d’offres d’emploi non abouties : ce que l’on oublie de nous dire, c’est que ces demandes sont souvent provisoires, aboutissent et sont renouvelées. De plus, beaucoup sont très spécifiques et demandent des compétences techniques (plombier...) précises et rares actuellement ; d’autres n’aboutiront jamais car certaines situations au travail sont difficiles et connues : harcèlement moral, petits contrats sans issue, travail physique pénible, objectifs irréalisables donc sous payés ; voilà pourquoi elles n’aboutissent pas toutes, c’est normal.

Le gouvernement est forcément bien renseigné, il sait très bien où cela va l’amener, pour un gain d’argent dérisoire (baisse plus rapide des allocations chômage) au regard du budget de l’État.

Pour l’impôt sur les grandes fortunes, là , il ne cherche pas à faire des économies car cet impôt diminue...

Bravo, les pauvres seront encore plus pauvres et les très riches encore plus riches ! »

Karine Vaxelaire

- Source : L’ Humanité
www.humanite.presse.fr/journal/2005-09-25/2005-09-25-814618


Témoignage : chômeur avec 420€ pour survivre. Combien de temps vais je encore pouvoir tenir ... Résistance. Par Patrick Briand.


Traque des chômeurs, par Sébastien Crépel, L’ Humanité.

La terrible réalité du « modèle » Blair, par Paul Falzon, L’ Humanité.


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