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premier débat Obama-Mc Cain

Les sombres réalités absentes du débat

Peut-être est-il illusoire d’espérer qu’un débat entre candidats à la présidence des Etats-Unis aborde concrètement, et honnêtement, les actes répréhensibles du gouvernement des Etats-Unis, même à la fin des huit ans de règne de George W. Bush en tant qu’un des principaux agents « voyous » de la planète.

Dans le cadre des limites acceptables du débat politique, certains désaccords d’ordre tactique sont tolérés (Barack Obama a dit que la guerre en Irak « a détourné notre attention de l’essentiel ») et même certaines critiques d’ordre moral (John McCain a dit qu’il s’opposait à Bush sur « sur la torture des prisonniers »).

Mais il n’y a aucune discussion sérieuse possible sur les crimes de guerres ouvertement commises par les Etats-Unis, tel la décision prise par Bush de lancer une guerre sous de faux prétextes, un comportement que le Tribunal de Nuremberg au lendemain de la deuxième guerre mondiale qualifia de crime international « suprême ».

Dans une démocratie bien portante, on aurait pu s’attendre à voir l’animateur du débat, Jim Lehrer, demander à Obama et Mc Cain s’ils pensaient que Bush devrait être expédié à la Haye pour être jugé pour crimes de guerres ou s’il devrait passer devant les tribunaux états-uniens pour de graves crimes tels que la violation des lois contre l’usage de la torture.

On aurait pu poser aussi une question sur l’hypocrisie : comment Obama et Mc Cain osent-ils condamner la Russie pour sa soi-disant agression contre la Géorgie (après que la Géorgie ait attaqué la province pro-russe de l’Ossétie du sud) alors que les Etats-Unis ont affirmé leur droit non seulement d’envahir l’Irak (sous la présidence de Bush) mais aussi d’attaquer la Yougoslavie lorsque cette dernière avait affaire à un mouvement séparatiste au Kosovo (sous la présidence de Clinton) ?

D’accord, le « deux poids deux mesures » fait partie intégrante du paysage politique des Etats-Unis. De nombreux journalistes et politiciens ont évité de critiquer l’illégalité et l’immoralité des interventions étrangères des Etats-Unis depuis qu’en 1984 l’ambassadrice US à l’ONU, Jeane Kirkpatrick, a lancé sa fameuse diatribe contre tous ceux qui oseraient « accuser d’abord l’Amérique ».

Depuis cette époque, toutes les questions sur la conduite des Etats-Unis ont été mises en sourdine par crainte d’être accusé d’antipatriotisme ou de déloyauté. Les politiciens et les journalistes des grands médias ont appris à taire leurs préoccupations sur la politique étrangère des Etats-Unis et à ne soulever que des questions sur la tactique employée ou sur son efficacité.

Cette timidité a certainement contribué à renforcer la fréquence, la brutalité et la criminalité des actions militaires US. Par exemple, il est difficile d’expliquer la Guerre en Irak sans penser que Bush et ses conseillers néoconservateurs avaient la certitude que le Congrès et la Presse se coucheraient devant cette décision.

Sachant que peu de gens de conscience oseraient s’y opposer, Bush et les néocons ont vendu la guerre sous de fausses accusations d’Armes de Destruction Massive et l’affirmation du droit - sans précédent historique - des Etats-Unis d’intervenir de manière « préventive » n’importe où dans le monde s’ils y voyaient une éventuelle menace future à leur sécurité.

Le dénommé Doctrine Bush signifiait que les Etats-Unis et ses dirigeants avaient outrepassé les limites du droit international. Et tandis que le Président Bush radotait sur la nécessité d’éliminer les régimes « voyous », les Etats-Unis devenaient l’état « voyou » par excellence.

(Il est intéressant de noter que le présentateur d’ABC News, Charles Gibson, a demandé à Sarah Palin ce qu’elle pensait du Doctrine Bush, au cours du premier débat à une heure de grande écoute de la candidate à la vice-présidence, et celle-ci a esquivé la question et paraissait ne pas savoir ce qu’était la Doctrine Bush.)

Ne Sera pas Mentionné

Cependant, en ce qui concerne Lehrer, cette étonnante doctrine ne fut jamais mentionnée lors du débat entre deux candidats à la succession du Président Bush. Il était évident, mais uniquement de manière implicite, que Mc Cain adhérait à cette idée d’intervenir agressivement dans le monde tandis qu’Obama était moins enthousiaste à l’idée d’envoyer des troupes en mission à l’étranger.

C’est ainsi qu’Obama, pourtant diplômé en droit constitutionnel, ignora tout argument moral ou légal contre l’interventionnisme style- Bush. Au lieu, il positionna son opposition à la guerre en Irak sur le terrain de l’efficacité.

« Il y a six ans, je me suis opposé à cette guerre, » a dit Obama, « parce que j’ai dit que non seulement nous ne savions pas combien elle allait nous coûter, ni quelle serait notre stratégie de retrait, ni comment elle allait affecter nos relations dans la monde ou si nos renseignements étaient précis mais aussi parce que nous n’avions pas encore fini le travail en Afghanistan. Nous n’avions pas attrapé Ben Laden. Nous n’avions pas démantelé Al Qaeda. Par conséquent, je pensais que (la guerre en Irak) détournerait notre attention. ».

Obama a aussi parlé du coût extraordinaire de cette guerre (plus de 600 milliards de dollars qui dépasseront très certainement les 1000 milliards), du sang versé par les soldats US (plus de 4.000 morts et 30.000 blessés), et de la « résurrection d’Al Qaeda » dans les camps le long de le frontière Afghano-pakistanaise.

Obama a conclu en disant « nous n’avons pas employé notre armée à bon escient en Irak. »

On ne peut pas dire qu’il avait tort sur tous ces points, mais Obama a esquivé la question plus générale sur la légalité ou la moralité du Doctrine Bush, et il n’a pas mentionné non plus les centaines de milliers d’Irakiens morts ni l’inutilité de l’invasion qui a transformé leur pays en un enfer sur terre.

Si Obama s’était aventuré sur ce terrain, il se serait très certainement attiré des critiques « d’accuser d’abord l’Amérique ». Ou s’il avait comparé les actions russes en Ossétie du sud à l’intervention de l’OTAN au Kosovo, il aurait été accusé de pratiquer « une équivalence morale » - une attaque prisée par les néocons et dont le raisonnement est que les Etats-Unis ne peuvent être jugés sur les mêmes critères que les autres nations.

Alors Obama s’est replié derrière les lignes défensives pour ne parler que d’efficacité.

La Contre-attaque de Mc Cain

Ce qui a ouvert la voie à McCain, qui a affirmé que malgré les erreurs initiales commises en Irak, la vraie question était quoi faire maintenant.

« Le prochain président des Etats-Unis n’aura pas à décider d’aller en Irak ou pas, » a dit Mc Cain. « Le prochain président des Etats-Unis devra décider de comment partir, quand partir, et de ce que nous allons laisser derrière nous ». [ ndt - on remarquera ici la logique du « ne parlons pas du passé - donc pas de coupables » qui prévaut aussi dans la crise financière en cours... ]

Mc Cain à raillé la proposition d’Obama de dresser un agenda de retrait et a insisté pour dire que la seule issue envisageable était la victoire.

Face aux attaques de Mc Cain, Obama n’a même pas riposté en faisant remarquer que c’est le gouvernement irakien lui-même qui insiste pour dresser un agenda du retrait des troupes US et que la Maison Blanche elle-même avait globalement accepté l’idée.

Certes, le résultat final de toutes ces vies sacrifiées et tout cet argent dilapidé en Irak pourrait être d’entendre les Irakiens nous répondre « merci, mais non merci » à une présence prolongée des troupes US - ou de voir Washington afficher crûment ses visées impérialistes en refusant de partir malgré la volonté des Irakiens.

Obama a aussi choisi de ne pas débattre pour savoir si l’argument de Mc Cain sur « l’offensive victorieuse » était une réalité ou un mythe. Au cours des derniers mois, interview après interview, Obama a été harcelé pour ne pas avoir totalement accepté l’idée dominante selon laquelle « l’offensive » avait été un succès et que Mc Cain en avait le mérite.

Par exemple, le 7 septembre, l’animateur de l’émission This Week sur ABC, George Stephanopoulos, a demandé à Obama : « Comment pouvez-vous nier que... John Mc Cain a eu raison concernant l’offensive, » et l’envoi de 30.000 soldats supplémentaires en Irak.

Lorsque Obama a répondu qu’il ne comprenait pas pourquoi « les gens étaient focalisés sur les 18 derniers mois et pas sur les cinq dernières années, » Stephanopoulos le coupa et dit « c’est bien noté, vous pensez que vous avez pris la bonne décision en ce qui concerne le déclenchement de la guerre, mais que pensez-vous de l’offensive ? »

Une fois encore, il s’agit là d’une limite imposée au cadre du débat par les grands média US, ce qui donne un net avantage à Mc Cain. Il est désormais largement admis à Washington - malgré tous les éléments qui indiquent le contraire - que « l’offensive » a été la cause unique de la baisse de violence en Irak.

Cette pensée unique s’est imposée malgré ces officiels militaires interviewés dans le nouveau livre de Bob Woodward, The War Within (« la guerre intérieure » et double sens avec « la guerre vue de l’intérieure » - NDT . Certains interlocuteurs de Woodward pensaient que « l’offensive » ne constituait qu’un facteur secondaire.

Selon Woodward, « A Washington, l’idée dominante a transformé les événements en un scénario simple : l’offensive a été un succès. Mais la véritable histoire est plus complexe. Au moins trois facteurs ont joué un rôle aussi important, sinon plus, que l’offensive ».

Woodward, dont le livre doit beaucoup à des sources internes au Pentagone, explique que le rejet des extrémistes d’Al Qaeda par les Sunnites dans la province d’Anbar (qui a précédé l’offensive) et la décision surprise du dirigeant radical Chiite Moqtada al-Sadr de décréter un cessez-le-feu unilatéral ont été deux facteurs importants.

Un troisième facteur, probablement le plus important selon Woodward, a été le recours à de nouvelles techniques hautement classifiées de renseignement US qui ont permis le repérage et l’élimination rapide des dirigeants de l’insurrection. Woodward ne donne pas plus de détails sur ces techniques dans son livre afin de ne pas les divulguer et amoindrir leur efficacité.

Mais il nous a déjà été donné d’entre apercevoir la nature des programmes classifiés des Etats-Unis qui combinent de la haute technologie pour identifier les insurgés - comme des mesures biométriques sophistiquées ou des drones capables de voler de nuit - et de bonnes vieilles brutalités sur le terrain, dont l’exécution sommaire des suspects. [voir "Bush’s Global Dirty War" et "Iraq’s Laboratory of Repression" ]

Une Répression efficace

Mais comme nous l’avons déjà écrit, d’autres mesures brutales - que la grande presse ne mentionne presque jamais - expliquent en partie la baisse de la violence en Irak :

 des opérations radicales de nettoyage ethnique qui ont réussi à séparer les Sunnites des Chiites à tel point qu’il y a moins de cibles à tuer. On estime que plusieurs millions d’Irakiens sont réfugiés soit dans les pays voisins dans à l’intérieur même de l’Irak.

 les murs en béton construits entre quartiers Sunnites et Chiites ont rendu les opérations de type « escadrons de la mort » plus compliquées et ont aussi « ghettoisé » une bonne partie de Bagdad et autres villes irakiennes, rendant la vie quotidienne encore plus épuisante pour les Irakiens qui cherchent à se ravitailler ou à se rendre au travail.

 Pendant « l’offensive », les forces US ont étendu leur politique de rafles et ont arrêté et emprisonné des dizaines de milliers de soi-disant « mâles en age de combattre ».

 une puissance de feu US inouïe, concentrée sur les insurgés et les civils avoisinants depuis plus de cinq ans, a massacré d’innombrables milliers d’irakiens et intimidé de nombreux autres qui ne cherchent plus qu’à survivre.

 avec un nombre total de morts irakiens estimé à plusieurs centaines de milliers et encore plus qui sont ceux horriblement estropiés, la société irakienne a été profondément traumatisée. Les tyrans l’ont appris tout au long de l’histoire : appliqué à un niveau suffisant, la répression féroce se révèle efficace.

Mais le côté sombre de « l’offensive victorieuse » est exclu du débat politique aux Etats-Unis, tout comme le caractère illégal de l’invasion initiale par Bush.

Cet aveuglement face à ce qui pourrait constituer la question géopolitique la plus importante de notre ère - a savoir la droit autoproclamé de la Doctrine Bush d’envahir n’importe quel pays selon notre volonté - affecte aussi les débats présidentiels.

Traduction VD pour Le Grand Soir http://www.legrandsoir.info

Article original
http://www.consortiumnews.com/2008/092708.html

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