Lors de sa campagne électorale en 2007, le candidat Barack Obama avait effectué un constat lucide sur le caractère obsolète de la politique cubaine des Etats-Unis. Une fois élu, il a fait part de sa volonté de chercher « une nouvelle approche avec Cuba ». « Je crois que nous pouvons mener les relations entre les États-Unis et Cuba vers une nouvelle direction et ouvrir un nouveau chapitre de rapprochement qui se poursuivra durant mon mandat », avait-il souligné [1].
Obama avait dénoncé la politique de son prédécesseur à l’égard de Cuba, lequel avait fortement restreint les voyages de la communauté cubaine des Etats-Unis. « Il s’agit à la fois d’une question stratégique et humanitaire. Cette décision a […] un impact profondément négatif sur le bien-être du peuple cubain. J’accorderai aux Cubains-américains des droits illimités pour rendre visite à leurs familles et envoyer de l’argent dans l’àŽle [2] », s’était-il engagé.
Obama a tenu parole. En avril 2009, il a annoncé la levée des restrictions imposées en 2004 par l’administration Bush affectant les Cubains vivant aux États-Unis et ayant de la famille sur l’île, laquelle est devenue effective le 3 septembre 2009. Désormais, les Cubains peuvent se rendre dans leur pays d’origine autant de fois qu’ils le souhaitent pour une durée illimitée (contre quatorze jours tous les trois ans auparavant), et effectuer des transferts de fonds non plafonnés à leurs familles (contre cent dollars par mois auparavant [3]).
Application extraterritoriale des sanctions économiques contre Cuba
Néanmoins, Washington n’a pas hésité à appliquer les sanctions économiques, y compris de manière extraterritoriale, contrevenant ainsi gravement au droit international. En effet, celui-ci stipule que les législations nationales ne peuvent pas être extraterritoriales, c’est-à -dire s’appliquer au-delà du territoire national. Ainsi, la loi brésilienne ne peut pas s’appliquer en Argentine. De la même manière, la législation vénézuélienne ne peut pas s’appliquer en Colombie. Or, la loi étasunienne sur les sanctions économiques contre Cuba s’applique à tous les pays du monde.
En effet, en juin 2012, la Banque néerlandaise ING s’est vue infliger la plus importante sanction jamais dictée depuis le début de l’état de siège économique contre Cuba en 1960. Le Bureau de contrôle des biens étrangers (OFAC) du Département du Trésor a sanctionné l’institution financière d’une amende de 619 millions de dollars pour avoir effectué, entre autres, des transactions en dollars avec Cuba, à travers le système financier étasunien, entre 2002 et 2007 [4].
Le Département du Trésor a également obligé la banque néerlandaise à rompre ses relations commerciales avec Cuba, annonçant qu’ « ING a assuré au Bureau de contrôle des biens étrangers avoir mis fin aux pratiques qui ont conduit à l’accord d’aujourd’hui ». Ainsi, une banque européenne s’est vue interdire, par Washington, toute transaction commerciale avec Cuba [5].
Le gouvernement cubain a dénoncé cette nouvelle application extraterritoriale des sanctions économiques, lesquelles, en plus d’empêcher tout commerce avec les Etats-Unis (à l’exception des matières premières alimentaires), constituent le principal obstacle au développement des relations commerciales de Cuba avec le reste du monde. « Les Etats-Unis ont unilatéralement sanctionné la banque ING pour avoir effectué, avec ses filiales en France, en Belgique, en Hollande et à Curazao, des transactions financières et commerciales avec des entités cubaines, interdites par la politique criminelle de blocus contre Cuba [6] », souligne le communiqué.
Adam Szubin, Directeur de l’OFAC, en a profité pour mettre en garde les entreprises étrangères ayant des relations commerciales avec Cuba. Cette amende « est un avertissement clair à quiconque en profiterait pour violer les sanctions des Etats-Unis », a-t-il déclaré, réaffirmant ainsi que Washington continuerait à appliquer ses mesures extraterritoriales [7].
D’autres entreprises étrangères ont également été sanctionnées en raison de leurs rapports commerciaux avec Cuba. Ainsi, la multinationale suédoise Ericsson, spécialisée dans le domaine des télécommunications, a dû s’acquitter d’une amende de 1,75 millions de dollars pour avoir fait réparer, par le biais de sa filiale basée au Panama, des équipements cubains d’une valeur de 320 000 dollars, aux Etats-Unis. Trois employés, impliqués dans cette affaire, ont également été licenciés [8].
Le 10 juillet 2012, le Département du Trésor a infligé une amende de 1,35 millions de dollars à l’entreprise étasunienne Great Western Malting Co. pour avoir vendu de l’orge à Cuba, par le biais de l’une de ses filiales étrangères entre août 2006 et mars 2009. Pourtant, le droit international humanitaire interdit tout type d’embargo sur les matières premières alimentaires et les médicaments, y compris en temps de guerre. Or, officiellement, Cuba et les Etats-Unis n’ont jamais été en conflit [9].
En France, Mano Giardini et Valérie Adilly, deux directeurs de l’agence de voyages étasunienne Carlson Wagonlit Travel (CWT), ont été limogés pour avoir vendu des packs touristiques à destination de Cuba. L’entreprise risque une amende de 38 000 dollars par séjour vendu, suscitant l’ire de certains salariés qui comprennent difficilement la situation. « Pourquoi Carlson n’a-t-il pas retiré du système de réservation les produits Cuba puisqu’on n’avait pas le droit de les vendre ? », s’est interrogé un employé [10].
De la même manière, CWT risque de ne plus être autorisée à répondre aux appels d’offre pour les voyages de l’administration étasunienne, lesquels représentent une part substantielle de leur chiffre d’affaire. La direction de CWT s’est exprimée à ce sujet : « Nous sommes tenus, dans ces conditions, d’appliquer la règle américaine qui interdit d’envoyer des voyageurs à Cuba, [y compris] pour les filiales ». Ainsi, une filiale étasunienne basée en France se voit contrainte d’appliquer la loi américaine sur les sanctions économiques contre Cuba, bafouant la législation nationale en vigueur [11].
Google censuré et un budget de 20 millions de dollars pour la « démocratie digitale »
Plus insolite, les sanctions économiques interdisent aux Cubains d’utiliser certaines fonctions du moteur de recherche Google, telles que Google Analytics (qui permet de calculer le nombre de visites sur un site web ainsi que leur origine), Google Earth, Google Destktop Search, Google Toolbar, Google Code Search, Google AdSense ou Google AdWords, privant ainsi Cuba d’accès à ces nouvelles technologies et à de nombreux produits téléchargeables. L’entreprise étasunienne s’en est expliquée par le biais de sa représentante Christine Chen : « Cela était stipulé dans nos termes et conditions d’utilisation. On ne peut pas utiliser Google Analytics dans les pays soumis à des embargos [12] ».
Dans le même temps, alors que Washington impose à Google de restreindre l’utilisation de ses services digitaux à Cuba et interdit à La Havane de se connecter à son câble à fibre optique pour Internet, le Département d’Etat a annoncé qu’il allait allouer, par le biais de l’Agence des Etats-Unis pour le Développement international (USAID), la somme de 20 millions de dollars « aux militants des droits de l’homme, journalistes indépendants et aux bibliothèques indépendantes dans l’île », afin de répandre, entre autres, la « démocratie digitale [13] ».
L’administration Obama, loin d’avoir adopté « une nouvelle approche avec Cuba », continue d’imposer des sanctions économiques qui affectent toutes les catégories de la population cubaine à commencer par les plus vulnérables à savoir les femmes, les enfants et les personnes âgées. Elle n’hésite pas à sanctionner des entreprises étrangères au mépris du droit international en appliquant des mesures extraterritoriales. Elle refuse également d’entendre l’appel unanime de la communauté internationale qui a condamné en 2011, pour la vingtième année consécutive, l’imposition d’un état de siège anachronique, cruel et inefficace, qui constitue le principal obstacle au développement de la nation.
Salim Lamrani
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/conteudo/opiniao/23237/as+sancoes+economicas+a+cuba+sob+o+governo+obama.shtml
Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule "État de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba", Paris, Éditions Estrella, 2011 (prologue de Wayne S. Smith et préface de Paul Estrade).
Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
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