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Les FARC après la mort d’Alfonso Cano

La mort d’Alfonso Cano, le successeur de Manuel Marulanda, lui-même décédé en 2008, à la tête des FARC, est venue rappeler au grand-public français que l’histoire de cette guérilla « marxiste », et plus largement de la Colombie, ne s’est pas arrêtée avec la libération d’Ingrid Betancourt. La tragédie colombienne, marquée par une guerre civile quasi ininterrompue depuis les années cinquante lors de la période dite de La Violencia, a continué de suivre son cours avec son cortège de morts − 200 000 depuis quarante ans − et de déplacés − quatre millions −, qui font de ce pays le Soudan de l’Amérique latine.

Cette mort vient aussi rappeler l’impasse dans laquelle se trouvent les FARC aujourd’hui, confrontée à une descente aux enfers qui les a fait passer en l’espace de dix ans du statut de quasi armée, susceptible de négocier d’égal à égal avec l’Etat colombien, à celui de colonnes dispersées, traquées par l’aviation colombienne, réduites à se terrer dans les espaces les plus désolés du pays ou à trouver refuge au Venezuela et en Equateur.

La fin des années 1990 semble loin, où fortes de 20 000 soldats disciplinés implantés dans le tiers des municipalités du pays, dotées de milices « bolivariennes » évoluant aux portes de Bogota ou de Medellin, les FARC pouvaient imposer des négociations à un pouvoir aux abois et se voir concéder le monopole de la violence dans un territoire grand comme la Suisse. Le Plan Colombie, accord de coopération entre les Etats-Unis et le gouvernement conservateur d’Andrés Pastrana signé en juillet 2000, est en effet passé par là . S’il n’a rien résolu des problèmes régionaux liés au trafic de cocaïne, il aura permis grâce aux milliards de dollars déversés sur l’armée de donner à l’Etat colombien un avantage stratégique décisif, et probablement définitif, sur la plus ancienne guérilla d’Amérique latine.

Depuis 1998, les FARC ont perdu, que ce soit au titre des morts au combat, des désertions voire des purges internes, plus de la moitié de leurs effectifs. En outre, alors que depuis leur création en 1964, aucun dirigeant majeur de l’organisation n’avait été tué au combat, en l’espace de trois ans, quatre de leurs chefs historiques ont été liquidés par l’armée : Raul Reyes, Ivan Rios, Jorge Briceno et Alfonso Cano.

Mais le pire pour les FARC n’est peut être pas là . Les FARC ont en effet perdu la bataille de l’opinion. Aujourd’hui, elles sont seules. Alors qu’elles avaient bénéficié tout au long de leur histoire de relais important dans l’opinion via le Parti communiste et les syndicats, et d’une base sociale au sein de certaines fractions de la paysannerie pauvre, elles sont aujourd’hui coupées de toute espèce de soutien populaire. Le PC officiel, dont elles constituaient à l’origine le bras armé, les a reniées ; le Pôle démocratique, qui rassemble toute la gauche « radicale » du pays, ne cesse de les dénoncer de manière de plus en plus virulente. Gustavo Petro, le nouveau maire de Bogota issu de ce parti et ancien de la guérilla urbaine du M-19, a même, l’année dernière, exigé que leurs chefs soient traînés devant la justice internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Hugo Chavez, qui soutenait les FARC au nom de la « solidarité bolivarienne », les abandonne aussi en livrant à son « ami » Juan Manuel Santos certains des dirigeants de la guérilla réfugiés à Caracas. Pire même, dans le sud-ouest du pays (Narino, Cauca), certaines fractions de la paysannerie, notamment d’origine indienne, lasses des méthodes totalitaires de la guérilla, s’organisent en groupe d’autodéfense pour défendre leurs communautés et leurs resguardos.

Les FARC paient là le prix cumulé de leurs méthodes politiques staliniennes, de leurs compromissions croissantes avec le crime organisé et leur intégration croissante dans le trafic de cocaïne. Ainsi pour les populations, leur combat revendiqué pour une Colombie bolivarienne, fondée sur les aspirations - légitimes compte tenu de la concentration sans précédent des terres en Colombie − à la justice agraire, est devenu purement et simplement le paravent de pratiques mafieuses où les idéaux politiques disparaissent dans les « eaux glacées du calcul égoïste ».

Les FARC, à l’avenir, risquent d’offrir de plus en plus une image similaire à celle de leur ennemi juré : les bandes de paramilitaires qui continuent de sévir dans le pays pour le compte de l’oligarchie agraire. Comme l’écrivait Gabriel Garcia Marquez de manière prémonitoire dans Cent ans de solitude : « Ce qui me préoccupe, c’est qu’à force de tellement haïr les militaires, de tant les combattre, de tant songer à eux, tu as fini par leur ressembler en tout point. »

Michel Gandilhon

chargé d’études à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.

Auteur en 2011 de La Guerre des paysans en Colombie, de l’autodéfense agraire à la guérilla des FARC, aux éditions Les Nuits rouges

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