« {}Mon père chevauchait un chameau, je roule en Cadillac, mon fils vole en jet, son fils chevauchera un chameau{} »{}-Proverbe saoudien
Un problème récurrent et qui a toute sa pertinence est la perception des droits de l’homme dans les pays arabes et musulmans. Il est bien connu que dans les études occidentales, pour relativiser la traite des Noirs, le Code Noir, le sort peu enviable des peuples réduits en esclavage à la suite des grandes découvertes, on renvoie dos à dos l’esclavage mis en oeuvre par les pays occidentaux avec celui des pays arabes. En effet, il est connu qu’au même titre que les musulmans, les juifs géraient cette entreprise lucrative de la traite, que l’Eglise participait à la course, avait ses propres galères et les peuples subjugués étaient souvent traités comme des animaux. A la fin du XIXe siècle, les scientifiques anglais s’interrogeaient s’il fallait classer les pygmées dans l’ordre des animaux ou des hommes.
Tout le monde se souvient en effet de la « disputation » de Bartholoméo de las Casas, ce prêtre dominicain espagnol qui fit de la défense des Indiens réduits en esclavage son bréviaire. Il est vrai que même à l’article de la mort, ils abjuraient leur ancienne foi, rattrapée à temps par l’Eglise... Dans cette affaire d’esclavage, aucun peuple dominant à une époque donnée ne peut se prévaloir d’avoir été propre. Dans les pays occidentaux, on se refait une virginité en oubliant de signaler au passage qu’il y a à peine cinquante ans l’esclavage battait son plein dans les Etats de l’Alabama.. Mieux encore, la révolution française décida de l’abolition de l’esclavage, une vingtaine d’années plus tard Napoléon Bonaparte le remit en selle, provoquant la Révolte qui amena au combat de Toussaint Louverture. Il a fallu attendre 1848 pour que l’esclavage soit aboli - en France- avec le combat de Victor Schœlcher.
L’esclavage eut ses heures de gloire dans les colonies, notamment avec le Code infâmant de l’indigénat, réplique du « Code Noir » de Colbert. Il est vrai, comme n’a cessé de le marteler Jules Ferry« les droits de l’homme ne sont pas valables dans les colonies ».
L’esclavage en terre d’islam
Comme toute société humaine, les sociétés musulmanes n’échappent pas à la tentation de domination des faibles. Dans l’islam, le prisonnier, tenu en esclavage, est dit-on victime d’un malheur passager qui ne peut être définitif comme le proclament les religieux chrétiens à l’instar de Bossuet pour qui, l’esclave, le Noir doit expier ad vitam aeternam la malédiction de Cham, malédiction bien théorisée par l’Eglise. En terre d’islam, à titre d’exemple, pendant la Régence d’Alger (1515-1830) beaucoup de prisonniers occidentaux purent retrouver leur liberté et pour certains demeurer dans la Régence, n’éprouvant pas le besoin de repartir chez eux. Le XXe siècle a vu l’abolition de l’esclavage d’une façon formelle. De nouvelles formes d’esclavage l’ont remplacé, notamment l’exploitation des peuples pour fabriquer des biens de consommation, pour des salaires dérisoires et des conditions de travail déplorables.
Il faut signaler cependant que l’esclavage« au sens classique »a disparu, le dernier pays ayant souscrit à cela à l’abolition en 1980 étant la Maurétanie, bien qu’on dise qu’il existerait près de 100.00 personnes qui seraient encore tenues en esclavage d’après l’encyclopédie Wikipédia.
Nous allons traiter d’un esclavage beaucoup plus insidieux, celui en vigueur dans les pays du Golfe grands donneurs de leçons sur les droits de l’homme alors que la condition des immigrés est des plus déplorables. Tout le monde se souvient qu’au Koweït, toute une partie de la population n’a droit à aucun droit. Ce sont les « bidoun » littéralement « sans » droit.Mieux encore, les droits de l’homme sont quelque chose d’inconnu dans les pays arabes du Golfe exception faite naturellement d’individualités qui ont les pires difficultés à se faire entendre, voire même à survivre, puisque les pouvoirs usent allégrement de la peine de mort sans état d’âme comme on vient de le constater en Arabie Saoudite avec la mort de sept personnes
Sous la plume de la journaliste Hayat El-Howayek Attieh du journal Al-Arab Al Youm, on lit : « Tôt ou tard, les travailleurs immigrés asiatiques, qui représentent l’écrasante majorité de la population dans les pays du Golfe, réclameront des droits politiques : cette idée est un excellent terreau pour les théories du complot occidental contre l’arabité de cette région. »
Depuis des années, les esprits libres et indépendants sonnent l’alarme : l’Occident ne permettra pas aux pays du Golfe de conserver leurs spécificités arabes. Les spectateurs de la chaîne satellitaire al-Jazeera n’ont certainement pas oublié une émission, diffusée il y a quelques années, où deux éminents intellectuels du Golfe ont soulevé la question de la destruction de l’esprit d’arabité dans les pays du Golfe par le biais des travailleurs immigrés. L’un d’eux, l’écrivain qatari Mohamed Al-Misfir, a expliqué que le jour arrivera fatalement où l’on soulèvera la question des droits de l’homme et de la naturalisation de ces travailleurs immigrés qui sont dans leur immense majorité d’origine asiatique. (...) Aussi, les habitants d’origine seront réduits au statut d’une minorité, ne dépassant pas les 15% de l’ensemble de la population. Al-Misfir avait donc proposé de remplacer la population immigrée d’origine asiatique par des travailleurs immigrés arabes. » (1)
« Dans ce contexte, Human Rights Watch fait une fixation sur les Emirats. L’organisation a demandé aux Etats-Unis et à l’Union européenne de ne pas signer d’accord de libre-échange avec ce pays« avant que celui-ci ne cesse de maltraiter la main-d’oeuvre étrangère ». En Arabie Saoudite, tout travailleur étranger a besoin d’un parrainage pour pouvoir travailler. Ce système favorise les abus, surtout lorsqu’il s’agit des droits des domestiques. »
Les Arabes du Golfe ont-ils peur de perdre leur identité ? Encore qu’il faille redéfinir ce que c’est que l’arabité dans ce XXIe siècle où la mondialisation achève de dissoudre les identités pour le plus grand bien du Capital. Cependant, chaque pays en occident se définit des quotas à ne pas dépasser sous peine, comme le dit Marine Le Pen ou Philippe de Villiers « de ne plus être chez soi » « entre gaulois à têtes rondes et dont le recensement s’est arrêté à Alésia ».
Cependant, ceci n’exonère pas les Arabes du Golfe qui ont inventé des concepts empruntés à l’islam comme celui de la « kafala », une sorte de tutelle pour être mineur. Cela va de la femme jusqu’à l’immigré tenu en laisse par son employeur.« A l’origine, lit-on sur une contribution de Agoravox, le terme kafala s’apparente à une tutelle ou à une délégation d’autorité parentale qui s’applique à des enfants mineurs abandonnés. Cette tutelle disparait avec la majorité de l’enfant. Dans les pays du Golfe, cette notion s’applique aux émigrés dans ces pays. Des milliers de travailleurs migrants essentiellement originaires du sous-continent indien partent pour les pays du Golfe, avec un permis de travail, obtenu dans leur pays d’origine à travers des agences d’embauche. Mais en vertu de la kafala, les travailleurs doivent être parrainés par un employeur pour pouvoir entrer dans les pays du Conseil de Coopération du Golfe. Cette procédure qui vise a priori à prévenir l’entrée sur leur territoire de migrants sans papiers à la recherche d’un emploi, finit en réalité, par se retourner contre un grand nombre de travailleurs étrangers une fois en place. En effet, l’immigré se trouve sous la coupe du « kafile ». Ce tuteur lui retire son passeport et lui fournit une carte de travail qui fait fonction de pièce d’identité. Il n’a droit à aucune activité à caractère syndical ou autre visant à défendre ses droits. Le kafile a tous les pouvoirs sur son salarié et les deux parties ne bénéficient pas du même traitement devantla loi du pays d’accueil. » (2)
En mars, écrit Laurent Stephan du Monde, le Koweït, où résident près de deux millions d’étrangers, a annoncé son intention de réduire leur nombre d’un million d’ici à dix ans. Et, depuis quelques jours, l’Arabie Saoudite s’attelle également à limiter la présence des immigrés dans le royaume. Déterminé à renvoyer les travailleurs en situation illégale, Riyadh vient par ailleurs d’introduire une nouvelle régulation en matière d’emploi. Dorénavant, un étranger ne peut travailler que pour son kafil (employeur et garant) et se voit interdit de mener sa propre activité commerciale. Le système du kafalat, qui prévaut dans de nombreux pays arabes en matière d’immigration, peut être contourné au moyen d’arrangements entre le garant et son employé, pour permettre à ce dernier de rejoindre un autre employeur. Mais ces accommodements sont désormais bannis par les autorités saoudiennes, qui ont entamé une campagne d’expulsion. » (3)
« La kafala »dans les pays du Golfe ou l’esclavage des temps modernes
C’est un fait, l’esclavage existe encore bien- hypocrisie mise à part- dans les pays du Golfe.
« Lorsqu’en août 2010, écrit Abeer Allam, une domestique originaire du Sri Lanka, L.T. Ariyawathi, a accusé son employeur saoudien de lui avoir enfoncé des clous et des aiguilles dans le corps, nombreux sont les Saoudiens et les responsables du gouvernement qui ont mis en doute son récit. (...) Qu’ils soient banquiers, avocats, chauffeurs ou domestiques, les neuf millions d’expatriés qui travaillent dans ce pays sont sous l’autorité d’un kafeel, ou « parrain ».« C’est le système qui favorise les abus », affirme Christoph Wilcke, de Human Rights Watch. « En général, l’impunité ne fait qu’alimenter la violence, quelle que soit la culture. Il est déjà arrivé que des Occidentaux qui habitent dans le Golfe trouvent normal de sous-payer et d’enfermer leurs employés de maison, ce qu’ils n’auraient jamais fait dans leur pays d’origine. » (...) « Il existe un marché noir des visas contrôlé par des personnes influentes. Personne ne peut s’y attaquer », explique Waleed Abu Al-Khair, avocat spécialiste des droits de l’homme.« Nous avons affaire à une codification de l’esclavage. De nombreuses personnes vivent sans travailler grâce aux revenus que leur apporte le parrainage et à l’argent que des travailleurs pauvres leur versent tous les mois. » » (4)
« Tout travailleur étranger, mais aussi toute entreprise étrangère, est ainsi sous tutelle, comme un enfant. La « kafala » permet aux citoyens nationaux de jouir des gains d’une entreprise implantée sur son sol (en possédant la majorité des parts capital) ou d’exercer un pouvoir sur les travailleurs immigrés. » Ce système de gouvernance moyenâgeux porte donc en lui toutes sortes de dérives y compris une sorte d’esclavage des temps modernes pour les travailleurs étrangers vivant dans ces pays. Que ce système puisse exister est une aberration en soi, mais que la « muerta » qui l’entoure, notamment par les organismes concernés comme la commission des droits de l’homme de l’ONU est scandaleux. » (4)
Richard Morin nous rapporte la mésaventure - à titre d’exemple- du parcours du combattant pour décrocher un emploi. Nous l’écoutons : « En 2012, Theresa M.Dantes a signé un contrat avec une agence de recrutement des Philippines pour venir travailler au Qatar comme domestique. Elle devait être logée, nourrie et payée 400 dollars [305 euros] par mois. Pourtant, lorsqu’elle est arrivée, son employeur l’a informée qu’il ne lui verserait que 250 dollars [190 euros]. Elle a accepté car sa famille, restée à Quezon City, comptait sur ce salaire. (...) Environ 1,2 million de travailleurs étrangers - qui sont en majorité des personnes pauvres originaires d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh, du Népal, d’Indonésie et des Philippines - représentent 94% de la main d’oeuvre au Qatar, une monarchie absolue qui fait à peu près la taille de l’Île-de-France. Un grand nombre de ces personnes travailleront dans desconditions dignes du Moyen Age, que l’ONG Human Rights Watch a déjà comparées au « travail forcé ». (..) Un employé de peut pas changer de travail, quitter le pays, obtenir un permis de conduire, louer un logement ou ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son sponsor, dit kafil, qui peut de son côté mettre fin à son parrainage quasiment à tout moment et renvoyer la personne dans son pays d’origine. » (5)
« Et les victimes ne sont pas uniquement des domestiques et des ouvriers peu qualifiés : Nasser Beydoun, un homme d’affaires arabo-américain, affirme qu’il a été« otage économique »à Doha pendant 685 jours avant d’être libéré en octobre 2011. Après qu’il ait démissionné du poste de gérant d’une chaîne locale de restaurants, son ancien employeur a refusé de lui accorder un permis pour quitter le Qatar.« Les travailleurs étrangers sont les esclaves modernes de leurs patrons qataris, explique Nasser Beydoun, qui vit désormais à Détroit, aux Etats-Unis.Ils sont leur propriété. » » (5)
En plus de toutes ces avanies, les immigrés servent de variable d’ajustement, d’un exutoire savamment entretenu par le pouvoir mais aussi d’une plaie qui nous vient du fond des âges ; le racisme, dont il faut croire, que les Arabes, n’ont pas encore été délivrés, malgré l’apport transcendant de l’Islam. En effet, dans la presse saoudienne, les propos racistes contre les immigrés abondent. Les Noirs volent et pillent. Nous avons en décalage, les mêmes réflexes des Arabes que ceux qui existent toujours en Europe ou aux Etats Unis. C’est notamment la thèse du complot contre l’allogène venu troubler l’entre soi-, c’est aussi la peur du chiisme, ce qui explique dans une grande mesure la mise au pas des Bahreinis en majorité chiites et donc« alliés naturel de l’Iran honni ».
Cependant, la prise de conscience qui commence à se faire jour, notamment à travers l’Internet et les réseaux sociaux, inquiète sérieusement les pouvoirs. Après la théorie du complot, on déverse une manne imméritée pour calmer les classes dangereuses De plus, la capacité de nuisance du Qatar n’est plus à démontrer. De Londres à Paris, en passant par les îles grecques où il a acheté une vingtaine pour ses vingt-quatre enfants, l’émir est partout. En parallèle, l’émir finance aussi les islamistes au Maghreb, les jihadistes en Syrie, sans oublier les Frères musulmans égyptiens. Le minuscule Qatar va-t-il pouvoir garder longtemps son influence ou s’effondrera-t-il tel un château de cartes ? Les Arabes, notamment du Golfe, sont à des années lumière des principes des droits de l’homme. Pour le moment, ils intéressent l’Occident tant qu’ils ont encore du pétrole et du gaz. Cependant, sous la pression des organisations humanitaires, on commence à prendre conscience de leurs méfaits quant à la condition humaine. Ils auront aussi à rendre compte à leurs sujets, qui émancipation aidant, deviendront, il faut l’espérer, des citoyens à part entière.
Il est à espérer qu’il ne faille pas attendre la fin du pétrole et du gaz pour voir enfin, la fin de la capacité de nuisance de ces roitelets qui se sont installés définitivement dans les temps morts pour le plus grand malheur de leur peuple condamnés de ce fait à renouer définitivement avec la tente et le chameau…
Chems Eddine Chitour