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Le mouvement fantôme de Bernie Sanders (Truth Dig)

Bernie Sanders, qui s’est attiré la sympathie de nombreux jeunes universitaires blancs, dans sa candidature à la présidence, prétend créer un mouvement et promet une révolution politique. Cette rhétorique n’est qu’une version mise à jour du « changement » promis en 2008 par la campagne de Barack Obama et, avant cela, par la Coalition National Rainbow de Jesse Jackson. De telles campagnes électorales démocratiques, au mieux, élèvent la conscience politique. Mais elles n’engendrent ni mouvements ni révolutions. La campagne de Sanders ne sera pas différente.

Aucun mouvement ni aucune révolution politique ne se construiront au sein du parti démocrate. L’échec répété de la gauche étasunienne à comprendre la fourberie du jeu des élites politiques, fait d’elle une force politique stérile. L’histoire, après tout, devrait servir à quelque chose.

Les Démocrates, comme les Républicains, n’ont pas intérêt à mettre en place de véritables réformes. Ils sont liés au pouvoir des entreprises. Ils sont dans l’apparence, mais n’ont pas de substance. Ils parlent le langage de la démocratie, et même du réformisme libéral et du populisme, mais empêchent obstinément la réforme sur le financement des campagnes, et font la promotion d’un ensemble de politiques, dont les nouveaux accords commerciaux, qui affaiblissent les ouvriers. Ils truquent les élections, non seulement avec de l’argent, mais aussi avec des soit-disants superdélégués — plus de 700 délégués qui n’ont aucun compte à rendre, parmi plus de 4700 au congrès démocrate. Sanders a peut-être remporté 60% des voix au New Hampshire, mais il a fini avec moins de délégués d’Etat que Clinton. Un avant-goût de la campagne à venir.

Si la nomination de Sanders est rejetée — la machine Clinton et l’establishment du Parti Démocrate, ainsi que leurs maitres marionnettistes de l’entreprise, utiliseront les subterfuges les plus bas pour s’assurer qu’il perde — son prétendu mouvement et sa révolution politique s’évanouiront. Sa base mobilisée, et c’était aussi le cas lors de la campagne d’Obama, sera fossilisée en listes de donateurs et de bénévoles. Le rideau tombera dans un tonnerre d’applaudissements, jusqu’au prochain carnaval électoral.

Le Parti Démocrate est entièrement solidaire de l’Etat-entreprise. Cependant, Sanders, bien que critique vis-à-vis des honoraires de conférences exorbitants d’Hillary Clinton auprès de firmes comme Goldman Sachs, refuse de dénoncer le parti et les Clinton — comme Robert Scheer l’a souligné dans un éditorial en Octobre — pour leur rôle de bonnes à tout faire de Wall Street. Pour Sanders, c’est un mensonge par omission, mais un mensonge tout de même. Et c’est un mensonge qui rend le sénateur du Vermont complice d’une escroquerie orchestrée par l’establishment du Parti Démocrate, et dont l’électorat étasunien est victime.

Les partisans de Sanders pensent-ils pouvoir arracher le pouvoir à l’establishment du Parti Démocrate, et ainsi le transformer ? Pensent-ils que les forces sur lesquelles repose le véritable pouvoir — le complexe militaro-industriel, Wall Street, les grandes entreprises, l’état sécuritaire et de surveillance — peuvent être renversées par la campagne de Bernie Sanders ? Pensent-ils que le Parti Démocrate se permettra d’être régi par des procédures démocratiques ? N’acceptent-ils pas le fait qu’avec la destruction des organisations syndicales, du mouvement anti-guerre, du mouvement pour les droits civiques, et du mouvement progressiste — une destruction souvent orchestrée par les organes de sécurité comme le FBI — ce parti ait brutalement viré à droite au point de n’être aujourd’hui qu’un remake de l’ancien Parti Républicain ?

Les élites utilisent l’argent, ainsi que le contrôle qu’ils ont sur les médias, les tribunaux et le corps législatif, leurs armées de lobbyistes et de « think tanks », pour invalider les élections. Nous avons subi, comme John Ralston Saul l’a écrit, un coup d’Etat des entreprises. Il ne reste aucune institution, au sein de la société civile, qui puisse être qualifiée de démocratique. Nous ne vivons pas dans une démocratie capitaliste. Nous vivons dans ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle un système de « totalitarisme inversé ».

En Europe, le Parti Démocrate étasunien serait un parti d’extrême droite. Le Parti Républicain serait un parti extémiste. Il n’y a pas de classe politique libérale – et encore moins de gauche ou progressiste – aux États-Unis. La croissance des groupes protofascistes ne prendra fin que lorsqu’un mouvement de gauche soutiendra une action militante sans équivoque pour défendre les droits des ouvriers et entreprendre la destruction du pouvoir des entreprises. Tant que la gauche se soumet à un Parti Démocrate qui professe de valeurs libérales tout en obéissant aux intérêts des entreprises, elle se détruira elle-même ainsi que les valeurs qu’elle prétend représenter. Elle attisera la rage justifiable du sous-prolétariat, et particulièrement du sous-prolétariat blanc, et renforcera les forces politiques les plus rétrogrades et racistes du pays. Le fascisme prospère non seulement grâce au désespoir, à la trahison et la colère, mais aussi au libéralisme en faillite.

Le système politique, comme nombre de supporters de Sanders vont le découvrir, est immunisé contre les réformes. La seule résistance efficace sera le fait d’actes massifs et prolongés de désobéissance civile. Les Démocrates comme les Républicains ont l’intention de continuer l’assaut contre nos libertés civiles, l’expansion des guerres impérialistes, le pouponnage de Wall Street, la destruction de l’écosystème par l’industrie des combustibles fossiles et la paupérisation des ouvriers. Tant que les Démocrates et les Républicains resterontnt au pouvoir, nous sommes condamnés.

La réponse de l’establishment démocrate contre toute insurrection interne, c’est de l’écraser, de la récupérer et de réécrire les règles afin d’empêcher une nouvelle insurrection. Ce fut le cas en 1948 avec Henry Wallace, en 1972 avec George McGovern — deux hommes politiques qui, contrairement à Sanders, défièrent l’industrie militaire — et en 1984 et 1988 avec les insurrections menées par Jackson.

Corey Robin, du site web Salon, explique comment les Clinton ont pris le pouvoir à l’aide de cet ordre du jour réactionnaire. Les Clinton, et l’establishment démocrate, écrit-il, ont rejeté le programme progressiste de la campagne de Jackson et ont usé de langage codé, particulièrement en ce qui concerne la loi et l’ordre, pour complaire au racisme des électeurs blancs. Les Clinton et les mandarins du parti ont impitoyablement privé de droit de vote ceux que Jackson avait mobilisés.

Les supporters de Sanders peuvent s’attendre à un accueil similaire. Qu’Hillary Clinton puisse mener une campagne qui doit un défi à son long et sordide bilan politique est l’un des miracles de la propagande de masse moderne, et une preuve de l’efficacité de notre théâtre politique.

Sanders a dit que s’il n’était pas nominé, il soutiendrait le candidat du parti ; il ne “ gâchera pas la fête ”. Si cela se produit, Sanders deviendra un obstacle au changement. Il récitera le mantra du « moins pire ». Il fera alors partie de la campagne de l’establishment démocrate visant à neutraliser la gauche.

Sanders est un démocrate en tout point, sauf en titre. Il fait partie du caucus démocrate. Il vote 98% du temps pour les Démocrates. Il soutient régulièrement les guerres impérialistes, l’arnaque affairiste de l’Obamacare, la surveillance de masse et les budgets de défense excessifs. Il a fait campagne pour Bill Clinton lors de la course présidentielle de 1992, et lors de celle de 1996 — après que Clinton eut précipitament fait adopté l’ALENA (Accord de libre échange nord-américain), grandement étendu le système d’incarcération de masse et détruit les aides sociales — et pour John Kerry en 2004. Il a appelé à ce que Ralph Nader abandonne sa campagne présidentielle en 2004. Les Démocrates reconnaissent sa valeur. Ils récompensent Sanders pour son rôle de gardien du troupeau depuis déjà longtemps.

Kshama Sawant et moi-même avons demandé à Sanders, en privé, lors d’une réunion à New York où nous faisions une apparition en sa compagnie, le soir précédant la marche pour le climat de 2014, pourquoi il ne se présentait pas en tant qu’indépendant à la présidence. « Je ne veux pas finir comme Ralph Nader », nous a-t-il répondu.

Sanders avait raison. La structure de pouvoir démocratique a passé un arrangement donnant donnant avec lui. Elle ne présente pas de candidat sérieux contre lui dans le Vermont pour son siège de sénateur. Sanders, dans cet accord Faustien, constitue le principal obstacle à la création d’un troisième parti viable dans le Vermont. Si Sanders défie le parti démocrate, il se verra privé de son ancienneté au Sénat. Il perdra sa présidence de commissions. Le parti machine le transformera, à l’instar de Nader, en paria. Il l’expulsera hors de l’establishment politique. Sanders a probablement considéré sa réponse comme une réponse pratique à la réalité politique. Mais il a aussi admis sa lâcheté. Nader a payé le prix fort pour son courage et son honnêteté, mais il ne fut pas un raté.

Je soupçonne Sanders d’avoir parfaitement conscience que la gauche est brisée et désorganisée. Les deux partis ont créé d’innombrables obstacles à la naissance de partis tiers, en commençant par les évincer des débats, puis en défiant leurs listes électorales pour les empêcher de participer aux votes. Le parti Vert est mutilé de l’intérieur par des dissensions et des dysfonctions endémiques. Dans de nombreux Etats, il est représenté majoritairement par une population blanche vieillissante, prisonnière de cette nostalgie narcissique autoréférentielle des années 1960.

J’ai discuté, il y a trois ans, au maigre rassemblement d’Etat du parti Vert dans le New Jersey. Je me suis senti comme un personnage du roman de Mario Varga Llosa La Vraie Vie d’Alejandro Mayta. Dans ce roman, Mata, un idéaliste naïf, subit les affronts des petites sectes belligérantes dénuées de pertinence de la gauche péruvienne. Il en est réduit à organiser des réunions dans un garage avec sept révolutionnaires autoproclamés qui composent le RWP(T) — le parti des travailleurs révolutionnaires (trotskiste) — un groupe dissident du parti marginal des Travailleurs Révolutionnaires. « Empilés contre les murs », écrit Llosa, « il y avait des piles de La Voix des Travailleurs » et de prospectus, de manifestes et de déclarations incitant à la grève ou la condamnant, qu’ils n’étaient jamais parvenus à distribuer ».

Je suis tout à fait pour une révolution, un mot que Sanders aime marteler, mais je suis pour une révolution véritablement socialiste, qui détruise les structures de domination, y compris le parti Démocrate. Je suis pour une révolution qui exige le retour de la régulation par les lois, et pas juste pour Wall Street, mais pour ceux qui mènent des guerres préventives, qui ordonnent l’assassinat de citoyens étasuniens, qui permettent à l’armée d’établir un contrôle intérieur et de détenir indéfiniment des citoyens sans aucune forme de procès, et qui favorisent la surveillance totale des citoyens par le gouvernement. Je suis pour une révolution qui place l’armée, ainsi que l’appareil de sécurité et de surveillance, y compris la CIA, le FBI, le département de Sécurité intérieure et la police, sous le contrôle strict de la société civile, et qui réduise drastiquement leurs budgets et pouvoirs. Je suis pour une révolution qui abandonne l’expansion impérialiste, en particulier au Moyen-Orient, et qui rende impossible le profit par la guerre. Je suis pour une révolution qui nationalise les banques, l’industrie de l’armement, les compagnies et services d’énergie, qui brise les monopoles, détruise l’industrie des combustibles fossiles, finance les arts et la radiodiffusion publique, fournisse le plein emploi et l’éducation gratuite, y compris universitaire, annule toutes les dettes étudiantes, bloque les saisies bancaires et celles des maisons, garantisse la gratuité et l’universalité des soins publics et un revenu minimum pour ceux qui ne peuvent travailler, en particulier les parents seuls, les handicapés et les personnes âgées. La moitié du pays, après tout, vit maintenant dans la pauvreté. Aucun de nous n’est libre.

La lutte sera longue et acharnée. Elle exigera une confrontation ouverte. La classe des milliardaires et les oligarques corporatistes ne peuvent être domptés. Ils doivent être renversés. Ils seront renversés dans les rues, pas dans une salle des congrès. Les salles de congrès, c’est là où la gauche va mourir.

Traduction : Nicolas Casaux, révisée par Bernard Gensane

Article original publié en anglais sur le site de truthdig.com, le 14 février 2016.

Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur étasunien. Récipiendaire d’un prix Pulitzer, Chris Hedges fut correspondant de guerre pour le New York Times pendant 15 ans. Reconnu pour ses articles d’analyse sociale et politique de la société étasunienne, ses écrits paraissent maintenant dans la presse indépendante, dont Harper’s, The New York Review of Books, Mother Jones et The Nation. Il a également enseigné aux universités Columbia et Princeton. Il publie chaque lundi un éditorial sur le site Truthdig.com.

»» http://www.truthdig.com/report/item/bernie_sanders_phantom_movement_20160214
URL de cet article 30081
  

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