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« Le Grand Soir » au Tibet.

Sur invitation, Maxime Vivas est au Tibet avec un groupe de journalistes (Le Figaro, Le Monde et deux journalistes free-lance). Il nous livre ici une première approche de la question tibétaine en la replaçant dans le contexte qui la projeta sous les feux de l’actualité lors du passage de la flamme olympique à Paris en avril 2008.

Dans un autre article à venir, il dira ce qu’il a vu et qui rompt avec le discours ambiant.

LGS.

Le rude et haut pays des monastères, de la sérénité, de l’amour du prochain, de l’harmonie, le pays annexé, appauvri, privé de sa culture, victime d’un « génocide ethnique », martyrisé par la puissance coloniale, tel est, en quelques mots, l’image du Tibet, si répandue que quiconque se hasarde à en dessiner une autre, ou même simplement à la nuancer, s’expose à un collage dorsal d’étiquettes infamantes.

C’est le risque qu’il me plaît de prendre pour Le Grand Soir à l’occasion d’un voyage journalistique au Tibet.

Tout d’abord, un résumé des épisodes précédents.

En 2008, Reporters sans frontières, « ONG » subventionnée par les USA et Taïwan (1) a déployé un activisme forcené (qui a culminé au mois d’avril lors du passage de la flamme olympique à Paris) contre les J.O. de Pékin.

On se souvient qu’il s’ensuivit une brouille qui se traduisit par des suspensions de signatures de contrats ainsi que par la montée d’un sentiment anti-français en Chine, pays où la France était très aimée depuis que le général De Gaulle avait avancé une idée alors saugrenue : la Chine représentée à l’ONU ne devait plus être Formose (Taïwan) mais la Chine continentale, dont la capitale est Pékin.

Pour réparer les dégâts, le gouvernement français dut dépêcher d’urgence plusieurs émissaires de hauts rangs, dont Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre. Pour l’anecdote, l’interprète (remarquable) qui nous est affectée fut celle de J.P. Raffarin, lors de sa mission de pompier volant.

La campagne « pour la liberté du Tibet » et pour la promotion du dalaï lama (et non plus pour la liberté de la presse stricto sensu) fut allègrement menée par un Robert Ménard qui obtint un résultat inattendu : l’opinion publique étant chauffée à blanc pour la défense des moines, le président de la république française hésita à participer à la cérémonie d’ouverture des jeux, tergiversa, se décida au dernier moment, ne fit qu’un rapide aller-retour tandis que nos grands amis (et concurrents sur cet immense marché) états-uniens y étaient présents, avant, pendant et après, en la personne de George W. Bush. Présence prolongée qui ne suscita aucune vague de réprobation chez RSF et dans les médias qui popularisaient ses indignations à géométrie variable.

Ce que le public (celui qui croyait défendre la liberté de la presse en achetant les agendas, calendriers, albums photos, sacs à dos, DVD, tee-shirts, etc. de l’épicerie ménardienne) ne sait pas, c’est que quelques mois auparavant, Robert Ménard avait été invité en Chine par le gouvernement chinois, qu’il y fut reçu quasiment comme un chef d’Etat et que des choses lui avaient été dites et montrées qui, sans être assez convaincantes sans doute pour faire adhérer cet ancien trotskiste au Parti communiste chinois, auraient pu sans doute édulcorer son manichéisme habituel dont on ne voit pas toujours bien en quoi il est utile à la liberté de la presse, ni à celle des journalistes qui sont morts en trop grand nombre ces dernières années sur des champs de bataille sans émouvoir aux larmes RSF, ni même utile à la démocratie (surtout s’il s’agit de promouvoir une théocratie), mais dont il est facile de constater qu’il nuit souvent aux intérêts de notre pays (qui le subventionne, hélas !).

Bref, les autorités chinoises n’ayant pas été en mesure de promettre la dissolution du PCC et l’adoption d’une démocratie « à la française » avant l’ouverture des jeux, Ménard s’employa à prôner le boycott par le président français (pas par le président états-unien. Ceux qui ont lu mon livre : « La face cachée de reporters sans frontières » savent pourquoi).

Ce préambule, pour dire que les Chinois, ayant lu mon livre, ont pensé que je pourrais faire partie d’une délégation de journalistes français invités en juillet 2010 à venir voir à Llassa, au Tibet. Je n’ignore pas la suspicion qui naîtra à mon égard pour avoir répondu favorablement. Mes amis et mon entourage m’ont prévenu contre les risques d’instrumentalisation : « Ils » vont te bourrer le mou, « ils » te montreront ce qu’ils veulent, « ils » t’empêcheront de parler avec les tibétains (en tibétain ?), etc.

On se demande pourquoi ces mises en garde ne sont jamais faites aux journalistes qui se font inviter par charters entier par le roi du Maroc ou autres potentats qui leur donnent matière à ne pas les blâmer et leur laissent le loisir de braquer le canon de leur stylo vers d’autres pays sur qui ça tombe comme à Gravelotte avec une régularité de métronome.

Bref, je me suis dit que le paradoxe serait qu’un ennemi juré de ce pays y ait paradé alors que moi, qui jamais ne fus « maoïste » à l’époque où c’était la mode et où j’avais l’âge idéal pour m’enflammer à la lecture du petit livre rouge, devrais m’en tenir éloigné, lesté que je serais d’une tardive naïveté propice à tous les endoctrinements. Par ailleurs, il se trouve que les Chinois connaissent le site Le Grand Soir, qu’ils ont pu y noter la rareté des informations sur leur pays et que mon implication dans ce site m’interdisait, sauf par douillette lâcheté, de fuir le sujet, de me taire et de laisser d’autres écrire seuls sur une nation qui regroupe presque le cinquième des habitants de la planète.

Et c’est ainsi qu’en ce mois de juillet, j’ai atterri à l’aéroport de Beijing. Terminal flambant neuf : plafond en voûte, d’une hauteur de cathédrale et d’une beauté architecturale qui sidère. A peine sorti de la passerelle de son avion, le touriste est cueilli par cette démonstration de la puissance, du modernisme et du raffinement de la Chine. D’emblée, elle montre ses muscles huilés et souples et elle ne cessera de la faire avec son fameux sourire (forcément énigmatique).

Formalités de douane rapides et minimales. Je constaterai plus tard que les contrôles tatillons s’exercent pour les vols intérieurs et qu’on n’entre pas au Tibet avec un dangereux briquet en poche.

J’étais déjà venu en Chine en avril 2008 pour y rendre visite à un de mes fils qui y travaillait. Informée de ce voyage par mon éditeur, une journaliste du Figaro s’employa à me dénoncer à ses lecteurs en ces termes « Un écrivain toulousain, en villégiature en Chine, cela ne s’invente pas... » (comprendre : alors que le peuple tibétain vient de se faire massacrer par l’armée chinoise... ). Elle pourra ajouter aujourd’hui que j’ai récidivé, sur les lieux même du crime, et avec un de ses confrères. En tout cas, cette petite phrase a sans doute pesé dans ma décision d’aller y voir quand l’occasion m’en fut donnée.

J’ai déjà raconté ici que, via Internet (mal bridé dans l’Empire du Milieu par des filtres... vendus par une entreprise française) j’avais visionné dans un hôtel chinois l’émission violemment anti-chinoise de France 2 « Compléments d’enquête » à laquelle je devais participer en avril 2008. La veille de mon départ, 3 journalistes étaient en effet descendus me voir chez moi à Toulouse. Je leur avais consacré presque 5 heures dont 2 pour le filmage. Il en était resté 15 secondes où je n’apparaissais pas et où l’on voyait en tout et pour tout la couverture de mon livre deux titres de chapitres et deux lignes sur la National Endowment for Democracy (NED). Par contre, Robert Ménard s’y exprimait à loisir (2). Dure, la censure made in France !

N’avais-je pas là une troisième raison (rancunière ?) d’aller sur place et de voir, de mes yeux ?

Pendant le séjour d’avril 2008, je m’étais rendu au Centre Culturel français, où j’appris qu’il y avait de petites manifestations anti-françaises dans le pays. Il nous était recommandé d’être discrets et prudents. On n’imagine pas, en France, l’importance du mot chinois « mianzi ». Perdre « mianzi », c’est perdre la face, subir un affront. C’est ainsi que les Chinois ont perçu les péripéties autour de la flamme olympique à Paris. Je note que les guides de voyage et un excellent polar (« Meurtres à Pékin » Peter May, éditions Actes Sud, Babel noir) insistent sur cet aspect de la susceptibilité des citoyens chinois. Il eut fallu que les manifestants anti-flamme le sachent. En l’ignorant, ils ont créé un problème avec la légèreté d’un troupeau d’éléphants incultes dans un magasin de porcelaine de l’époque Ming.

Je suis arrivé il y peu à Llassa. Dans les jours qui viennent, je confronterai ce qu’on m’a dit en France du Tibet à ce que je verrai durant mon séjour.

Parmi mes compagnons de voyage, un journaliste du Figaro, un ancien journaliste du Figaro aujourd’hui indépendant et sa femme, journaliste-écrivain et un journaliste du Monde.

Je ne suis pas sûr que mes compagnons, (au demeurant de fort bonne compagnie), verront la même chose que moi. A quoi bon voyager, disait Sénèque, si tu t’emportes avec toi ? Certes, mais il est probable que chacun de nous a emporté un bout de ce qu’il est en France et une partie du média dans lequel il s’exprime.

Je veux conclure pour aujourd’hui en ajoutant ceci : s’il est permis de relater un voyage à New York sans évoquer les centaines de milliers de civils tués en Irak depuis que les USA ont choisi de porter le fer et le feu dans ce pays, où de rappeler le génocide des indiens, je compte user du même droit pour le Tibet. J’en parlerai sans doute sans traiter de la Révolution culturelle et de la place Tian’an men. Tant pis pour ceux qui en déduiront que cette prétention exorbitante s’apparente à l’apologie de Mao. J’aimerais parler du sujet pour lequel je suis là , à 3600 mètres d’altitude, sur « le toit du monde ».

Pour l’instant j’ai pu visiter avec mes confrères le palais de Potala, ex-lieu de résidence principal des dalaï-lama, le temple de Jokhang, (deux monuments protégés et visités par une foule serrée de fidèles et de moines avec une ferveur religieuse qui s’apparente à du fanatisme et qui m’a rendu malade mieux que le mal des montagnes), des entreprises modernes et en plein essor, une université où des chercheurs ont réussi à créer des programmes informatiques en langue tibétaine dont l’écriture vient (et ressemble à ) du sanscrit, un musée où la culture tibétaine est mise en avant, un hôpital où les médecins appliquent et enseignent la médecine traditionnelle tibétaine, fabriquent des médicaments selon des recettes ancestrales du Tibet. J’ai vu les enseignes des magasins, les noms des rues, les panneaux indicateurs, écrits en mandarin et en tibétain ainsi que des journaux.

Je me dis qu’il y a chez nous des cultures régionales qui aimeraient être brimées de la sorte, en bénéficiant de surcroît d’un enseignement obligatoire de leur langue dans les écoles dès les premières classes et de programmes de radios et de télévisons.

Je me dis aussi que les Français sont bizarres avec leur poutre dans l’oeil et leur logique peu cartésienne qui les fait chérir la laïcité et rêver d’une province chinoise qui rétablirait la confusion entre l’Eglise et l’Etat, qui les fait approuver l’idée d’une partition dont ils ne voudraient certes pas chez nous (les Corses, les Basques et les Bretons me comprendront).

Bref, de même que le bon sens interdit de militer pour l’importation en France du système politique chinois, le militantisme à Paris pour un « Tibet libre » dirigé par le dalaï-lama n’a d’excuse que le manque d’information. J’apporterai bientôt ici des éléments dont j’espère qu’ils seront recevables par ceux de nos lecteurs qui trouvent des vertus à la loi de 1905 et à quelques autres dispositions de notre Constitution.

Depuis Llassa
Maxime Vivas
pour Le Grand Soir.

à suivre...

Les trois parties :

 « Le Grand Soir » au Tibet : http://www.legrandsoir.info/Le-Grand-Soir-au-Tibet.html

 Choses vues au Tibet : http://www.legrandsoir.info/Choses-vues-au-Tibet-2.html

 Tibet : un pacifiste chez les bouddhistes : http://www.legrandsoir.info/Tibet-un-pacifiste-chez-les-bouddhistes-3.html

Notes

(1) La même semaine, Le Parisien du 13 avril 2008 nous avait appris que Ménard est « un brin faux-cul », qu’il s’avoue « colérique et caractériel ». Cet « obscur journaliste de Radio France Hérault » qui « a failli devenir prêtre », respecte « l’engagement » de son père dans l’OAS.

Et la démocratie, alors ? Et le « Tu ne plastiqueras point » ? Passons...

(2) D’après Jean-Guy Allard, journaliste canadien en poste à La Havane, RSF a reçu un chèque de 100 000 dollars de Taïwan : « Ménard a voyagé le 28 janvier 2007 au pays de Tchang Kaï-chek pour recevoir son prix des mains du président Chen Shui-bian qui agissait au nom de la Fondation taïwanaise pour la démocratie, un organisme para-gouvernemental… » En acceptant le chèque, affirme le journaliste, Ménard s’est engagé à créer un site web pour attaquer la République populaire de Chine. RSF est donc payée (je l’ai démontré et j’ai donné les chiffres au dollar près) par des officines US écran de la CIA dont l’une se nomme la Fondation nationale pour la démocratie ( NED : National endowment for democracy). S’y ajoute la Fondation taïwanaise pour la démocratie. Quelle originalité dans le choix des noms ! A mon accusation étayée d’être ion subventionné par des paravents de la CIA, Robert Ménard rétorque « Et pourquoi pas par le KGB ? » Parce que ce n’est pas établi, Bob.

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Noam Chomsky, in "What Uncle Sam Really Wants"

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