Se basant sur une lecture superficielle des classiques un clan d’exégètes soutient que la finalité du capitalisme – y compris à son stade suprême impérialiste – c’est de thésauriser, d’accumuler le plus de capital imaginable. En d’autres termes, ce qui ferait courir les milliardaires ce serait l’accumulation entre leurs mains de la plus grande fortune possible (Bill Gates, 50 milliards de dollars). Selon ces coryphées pseudo socialistes, l’application de cette loi entrainerait la concentration des capitaux entre les mains des privilégiés.
Nul ne peut disconvenir que les 10% les plus riches de la planète détiennent 86% des richesses mondiales. Les 1% les plus fortunés concentrent 46% du patrimoine global. Environ 10 millions de milliardaires dans le monde, représentant à peine 00,15% (soit une fraction de 1% de la population mondiale) possèdent 42,700,000,000,000.$ (42,7 mille milliards de dollars) des richesses totales. Il y a effectivement concentration de la richesse mais y a-t-il valorisation et enrichissement de ce capital et création de plus-value ? [1]
Nous venons d’examiner l’avoir des particuliers, examinons maintenant les statistiques concernant les plus grandes entreprises privées. En France par exemple on observe le même degré de concentration et d’accumulation monopolistique du capital productif : « mille entreprises de plus de mille salariés (3,4 millions de travailleurs) produisent près de 50 % du PIB ; alors qu’en bas de l’échelle industrielle, un million d’entreprises de moins de dix salariés (3,4 millions de travailleurs également) ont une existence précaire. » [2]
Il semblerait que le débat soit clos et que le nœud gordien soit tranché. La finalité du procès de développement économique impérialiste serait bien l’accumulation. Normalement, la contradiction fondamentale du système capitaliste devrait voir s’affronter les forces d’accumulation s’opposant aux différentes forces empêchant l’accumulation du capital. Cette contradiction dialectique fondamentale entraînerait la succession des crises économiques systémiques que l’on connaît présentement et, éventuellement, l’effondrement du mode de production impérialiste incapable de concentrer davantage de capital.
Les faits économiques, financiers, monétaires et bancaires contredisent pourtant cette hypothèse. Si la finalité du système impérialiste est d’accumuler et si l’accumulation et la concentration ne faiblissent pas, alors nous ne devrions subir aucune crise économique systémique de l’impérialisme. Certes, nous pourrions observer beaucoup de détresse sociale, énormément de hargne et de colère ouvrière, l’extension de la pauvreté, mais nous ne devrions observer aucune crise économique d’un régime impérialiste poursuivant inexorablement sa marche en avant en direction de sa vénalité accumulative.
L’accumulation se poursuit et pourtant la crise se répand
Pourtant, à l’instant où l’accumulation et la concentration du capital est la plus phénoménale de l’histoire mondiale, jamais la crise du système n’a été aussi profonde et sévère, au point de menacer d’affecter l’ensemble de l’échafaudage – boursier, banquier, financier – branlant, insécurisant, décadent.
Nombre d’économistes dont Tom Thomas présentent l’hypothèse que le système impérialiste d’accumulation détruira prochainement de grandes quantités de ressources et de moyens de production : « Pour que le capital puisse relever son taux de profit moyen et reprendre son procès de valorisation et d’accumulation, deux conditions complémentaires doivent être réunies au-delà du maintien à flot du système financier : première condition, détruire une grande masse de capitaux, non seulement sous leur formes financières mais aussi sous leurs formes matérialisées pour en réduire « l’excédent » et aussi pour pouvoir reconstruire un système de production qui permette – deuxième condition – d’augmenter le taux d’exploitation (pl/Cv) alors que de réduire la composition organique du capital n’est, aujourd’hui, qu’une possibilité secondaire ». [3]
En un siècle (1913-2013) pas moins de deux guerres mondiales (1914-1918, 1939-1945) et quelques guerres multinationales (1950-1953, 1954-1975, 1991-2001 et 2003-2011) [4], en plus de dizaines de guerres locales ont entrainé d’immenses destructions de ressources, de forces productives et de moyens de production, de destruction de capitaux en définitive. Chacune de ces catastrophes (pour les ouvriers sacrifiés et les peuples immolés) a relancé le processus de valorisation et d’accumulation et stimulé le procès de reproduction élargie du capital en réduisant temporairement la composition organique du capital (Cv/Cc) et en inversant sporadiquement la tendance à la baisse du taux de profit, deux vecteurs qui contrecarrent la reproduction élargie du capital. Marx n’est donc pas mort !
La classe capitaliste monopoliste est présentement incitée à s’aventurer dans un nouvel holocauste ouvrier afin de détruire une grande partie des ressources stockées, des moyens de production engrangés, des forces productives inemployées, du capital accumulé mais paralysé (non productif), afin d’assurer la reprise du procès de reproduction élargie du capital en dopant temporairement les taux de profits. Qu’ils le veuillent ou non les impérialistes devront saccager une grande partie de l’humanité s’ils souhaitent remettre en marche leur mode de production moribond. L’impérialisme c’est la guerre disait un homme célèbre.
Une meilleure distribution pour une meilleure croissance ?
Un grand nombre de réformistes pensent, à l’exemple de leurs prédécesseurs utopistes et ainsi que Christine Lagarde du FMI, que le système social et économique capitaliste est un excellent régime économique – performant – mais souffrant d’un grand tourment, qu’il est parfaitement possible de corriger disent-ils. La solution pour relancer l’impérialisme en crise serait « Plus de justice distributive pour plus de croissance » ânonnent-ils tous en chœur : « le Fonds monétaire international (FMI) continuera de faire pression en faveur de biens et de services publics de qualité, la priorité étant la protection et l’augmentation des dépenses sociales visant à réduire la pauvreté et l’exclusion, a assuré Christine Lagarde. ». [5]
Selon ces ploutocrates il revient à l’État démocratique bourgeois, supposément positionnée au-dessus de la mêlée de la lutte des classes, d’assurer une meilleure distribution des fruits de l’accumulation capitaliste. Selon ces marguillers capitalistiques, l’État providence, le Robin des bois des temps modernes, doit chaparder quelques deniers aux financiers pour en donner aux déshérités et en distribuer davantage à leurs plumitifs petits-bourgeois et alors nous vivrons tous au Nirvana. Moins d’accumulation et plus d’équité voilà la panacée. Évidemment, si cette « solution » fonctionnait on le saurait.
Ce postulat utopiste découle logiquement de l’axiome précédent à l’effet que la finalité du système capitaliste serait l’accumulation des capitaux plutôt que leur réinvestissement pour un nouveau cycle de reproduction élargie. Pourtant, s’il y a présentement crise systémique de l’impérialisme ce n’est pas dû à une déficience du processus d’accumulation (qui se porte très bien), mais bien plutôt aux contingences de la reproduction élargie du capital. Le capital ne sait plus produire de plus-value en quantité suffisante voilà la raison de la crise endémique et systémique.
La crise économique n’est pas due aux excès financiers d’une politique néolibérale, mais bien à une baisse du taux de profit engendrée par un phénomène de suraccumulation de provisions et de marchandises et de sous-consommation de ces marchandises stockées ; aggravée par une hyper-profusion de capital financier sans valeur marchande (de la monnaie bidon sans valeur).
À partir de 2008, au-delà du sauvetage du système financier que les États étaient dans l’obligation d’entreprendre de toute urgence il nous faut examiner comment les capitalistes et leurs fonctionnaires étatiques œuvrent à redresser le taux de profit dans la situation concrète de l’impérialisme obsolescent.
« Avec la crise, les lois du marché agissent aveuglément. Le capital constant est dévalorisé. Des entreprises en difficulté peuvent être rachetées à bas prix. Les prix des matières premières s’écroulent. Les salaires sont laminés sous la pression d’un chômage massif. Il y a là des facteurs favorables à un redressement du taux de profit. Néanmoins, ils sont limités car, en même temps que ces phénomènes se produisent, la composition organique (Cc/Cv) reste élevée puisque l’importance du capital fixe reste prépondérante, que la consommation diminue en même temps que la quantité de travail vivant utilisée. Une forte destruction de capitaux marquée par des dettes non remboursées, des faillites, des fermetures d’usines est évidemment beaucoup plus efficace pour relever le taux de profit ». [6]
L’analogie
Ici on nous permettra une analogie. Au cours du procès de reproduction élargie de la vie en société, il est indubitable que la copulation entraînant le coït vaginal ou phallique est gratifiante. La nature et l’évolution en ont ainsi décidé de façon à inciter l’hominidé à poser fréquemment ce geste afin d’assurer la pérennité de son espèce. Il ne fait aucun doute cependant que le Principe de plaisir (Reich, 1986) n’est pas la finalité – la conclusion et la raison d’être de l’activité sexuelle mais seulement une gratification incitant – le Moi sujet – à se reproduire. La finalité est bien la reproduction anthropologique de l’espèce, son stimulant étant le « Principe de plaisir » et sa conséquence l’accroissement des populations.
Poser correctement le diagnostic
Quel est l’intérêt de cette redécouverte de la finalité du mode de production impérialiste ? Pour le Parti Révolutionnaire Ouvrier (PRO), ce principe primordial de l’économie impérialiste est crucial car il indique que ce ne sont pas tant les statistiques à propos de l’accumulation et de la concentration du capital que nous devons observer et analyser avec soin afin de comprendre l’enlisement et l’effondrement imminent du mode de production impérialiste déclinant, mais bien plutôt les indices portant sur le ralentissement et l’essoufflement du procès de reproduction élargie de la plus-value et des profits, et la difficulté, non pas de l’accumulation mais du réinvestissement productif du capital.
Les actions politiques et de résistance économique des partisans du PRO ne doivent pas mener à pleurnicher pour obtenir une redistribution « équitable » du capital et des profits au bénéfice des démunis mais s’orienter vers la paralysie de l’appareil productif. Moins de plus-value et moins de profits signifient moins de capital productif à réinjecter dans le processus de reproduction élargie et en bout de course la faillite inévitable et l’effondrement inéluctable du système impérialiste tout entier.
Bref, le mode de production impérialiste ne peut continuer à se développer de par ces axiomes, ces postulats et ces lois inhérentes de fonctionnement. Il est futile de tenter de le ranimer ou de le réformer. Ce système s’est engagé depuis quelques années dans une spirale catastrophique et nul ne peut l’en réchapper. Il viendra un temps où il faudra lui donner le coup de grâce et achever la bête immonde, ce qui constitue la mission du prolétariat. Marx n’est pas mort.
Robert Bibeau