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Le CNDH de Mohamed VI reconnaît "la torture et les traitements cruels dans la plupart des prisons marocaines"

Du jamais vu. Et une gifle à tous ces fidèles défenseurs du régime marocain, qui n’arrêtent pas de nous assurer qu’au Maroc «  rien n’est plus comme avant ». Le mardi 30 octobre 2012, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) a démontré le contraire. Lors d’une conférence de presse à Rabat il a présenté son rapport choc, intitulé : "La crise des prisons, une responsabilité partagée : 100 recommandations pour la protection des droits des détenu(e)s" .

Le Conseil national des droits de l’homme (CNDH)

Le CNDH a été créé en mars 2011 par le roi Mohamed VI lui-même. Il en a nommé tous les membres. Après les manifestations de masse du Mouvement du 20 février, qui avaient rassemblé des dizaines de milliers de personnes, réclamant le respect des droits de l’homme, sa création avait été annoncée comme «  une des réformes globales menée par la monarchie  », voulant éviter ainsi une révolution à la tunisienne ou à l’égyptienne. Force est de constater que, depuis lors, cette «  reforme globale » de la justice ou du système carcéral n’a jamais eu lieu.

Ces derniers mois, il y a eu pas moins de trois rapports officiels sur les conditions infernales qui persistent dans les prisons marocaines, et que le nouveau rapport du CNDH ne vient que confirmer.

Des rapports successifs..

En juillet 2012, un rapport sur la prison de Oukacha (Casablanca) de la Commission de la Justice, de la législation et des droits de l’Homme du parlement marocain, dénonçait les conditions carcérales constatées lors d’une visite d’inspection à cette prison : «  4 détenus enfermés dans une espace de 2 m² », «  7.572 prisonniers pour une capacité de 5800 détenus », «  manque d’infrastructure de base », «  absence des "conditions de santé adéquates  », «  qualité de la nourriture qui laisse à désirer  ». Puis, il ya eu le rapport provisoire de Juan Mendez, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture en septembre et en octobre 2012. Suivi le 25 septembre d’une condamnation ferme de la pratique systématique de la torture au Maroc par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (http://www.freeali.eu/2012/10/17/torture-la-cooperation-judiciaire-avec-le-maroc-ne-peut-plus-continuer/)

.. avec toujours le même constat.

Le rapport du CNDH se base sur des visites des membres du Conseil effectuées dans 15 établissements pénitentiaires durant la période allant du 31 janvier au 19 juin 2012. De ce rapport «  un résumé exécutif du rapport sur la situation dans les prisons et des prisonniers » est disponible 1 Bien qu’il ne s ’agit que d’un résumé de 14 pages, l’image de la situation carcérale marocaine y apparaît dans toute sa clarté. On peut y lire que le Conseil «  a voulu s’arrêter, de manière objective et précise, sur les violations qui pourraient porter atteinte aux droits des détenu(e)s ». Chose nouvelle : il s’agit d’exactions commises par le personnel des prisons. Donc survenues après que ces détenus ont déjà subi les interrogations par la police ou la DST : «  C{}es violations (dans les prisons) se manifestent par des coups portés aux moyens de bâtons et de tuyaux, la suspension sur des portes à l’aide de menottes, les coups administrés sur la plante des pieds (FALAQA), les gifles, les pincements à l’aide d’aiguilles, les brûlures, les coups de pied, le déshabillage forcé des détenus au vu et au su des autres prisonniers, les insultes et l’utilisation d’expressions malveillantes et dégradantes portant atteinte à la dignité humaine des détenus. Ces exactions ont été observées dans la plupart des prisons visitées avec une prévalence et une intensité qui diffèrent d’une prison à une autre, à l’exception des prisons d’Inezgane et de Dakhla où seuls des cas isolés ont été enregistrés.  » (page 4).

On apprend aussi que dans la plupart des prisons «  l’alimentation amenée par les familles est parfois refusée ou détruite (!) ; l’existence d’une pratique de punitions collectives ; des transferts administratifs comme mesure disciplinaire... »
Le rapport insiste sur l’absence total «  de procédures et de mécanismes de contrôle, d’enquêtes au sujet des plaintes déposées à l’encontre du personnel, y compris le personnel sanitaire, ou au sujet des violations relatées par la presse et les associations. Il y a la «  non effectivité du contrôle judiciaire » (page 5). En un mot : l’arbitraire et l’abus du pouvoir règnent dans les prisons marocaines.

Deux (!) libérations conditionnelles en 2011

Je prends à titre d’exemple quelques chiffres et données dans le résumé qui nous donnent une idée de la situation des prisons marocaines : «  le pourcentage de détenus incarcérés pour trafic et/ou consommation de drogues s’élève à 37,25 % du nombre total de détenus  ». C’est-à -dire que presque 1 sur 2 détenus est en prison pour des affaires de drogues. Dans les recommandations du Conseil, on peut lire qu’on doit «  mettre à la disposition des détenus suffisamment de couvertures, de matelas et de vêtements » et qu’il faut «  la distribution juste et équitable des couvertures à l’ensemble des détenu(e)s sans exception. » (page 10). Ce qui veut dire qu’il y a des détenu(e)s qui n’en reçoivent tout simplement pas. A signaler aussi : la nourriture qui est insuffisante, pas de qualité ou trop chère dans les cantines ; les soins médicaux inexistants ou insuffisants. Aussi faut-il, dit le rapport : «  équiper les parloirs de toutes les prisons en chaises et tables en vue d’améliorer les conditions d’accueil des familles.  » (page 10). L’image humiliant de familles assises par terre n’a pas échappé au Conseil.

Et puis, il y a la surpopulation carcérale dramatique qui, selon le Conseil : «  contribue à la survenance des violations graves qui touchent essentiellement les prestations, la santé, l’hygiène, l’alimentation et la sécurité d’un côté et la réhabilitation des détenus d’un autre  ». (page 7).

Pour le Conseil les raisons de la surpopulation sont les suivantes : «  Le surpeuplement est dû en grande partie à la détention provisoire qui concerne 80% des détenus, au retard enregistré dans le jugement des affaires, à la non-application de la liberté conditionnelle et à l’absence de normes objectives dans la procédure de Grâce  ». En langage normal, on peut dire qu’au Maroc la prison est utilisée pour terroriser les pauvres et tous ceux qui dérangent. On peut vous mettre en prison à tout moment et pour tout en n’importe quoi. Si vous avez de la chance, vous bénéficierez d’une peine avec sursis ou un non lieu ou serez reconnu innocents, à moins de bénéficier d’une Grâce Royale, accordée de manière aussi arbitraire que les arrestations. «  Chaque année des milliers (!) de personnes incarcérées bénéficient d’un non-lieu, sont acquittées ou condamnées à des peines avec sursis » (page 11). S’ajoute à cela, la non-application de la libération conditionnelle, pourtant prévue par la loi. Ainsi, on ne compte que «  deux libérations conditionnelles en 2011 ». (page 4) La libération conditionnelle «  est refusée à la majorité des demandes formulées. » Pourtant, parmi ceux qui auraient pu en bénéficier en 2011, se trouvaient «  17939 détenus qui ont purgé les deux-tiers de leur peine, les personnes âgées, les 9228 condamné(e)s à moins de six mois et les personnes atteintes de maladies chroniques » (page 11)

Les femmes détenues et leurs enfants.

Les femmes détenues : «  .. pâtissent davantage... de traitements cruels et comportements dégradants (insultes, humiliations), aussi bien dans les postes de police qu’en prison . » (page 6). Le Conseil constate «  (...) l’exiguïté de l’espace », réservé à ces femmes dans «  plusieurs prisons, l’absence de crèches et de moyens de divertissement pour ces enfants ... Dans les cas où les crèches existent, elles ne sont pas équipées. A l’expiration du délai, qui leur est accordé pour garder leurs enfants, et en l’absence des proches ou devant leur refus de les prendre en charge, les détenues sont contraintes de les abandonner à des tiers qui les exploitent dans certains cas dans la mendicité ou les placent dans des orphelinats ». «  Les détenues incarcérées pour des affaires de moeurs sont particulièrement visées par certaines surveillantes ». (page 6)

Les mineurs.

Au Maroc on peut être mis en prison à partir de 12 ans. Le Conseil propose d’élever cet age à 15 ans. Et de commencer à prendre des mesures pour remédier à  : "la non existence d’une police des mineurs et de lieux de garde à vue ad hoc, la non existence de substituts du procureur du Roi spécialisés dans la justice des mineurs, le manque de moyens humains et matériels à même de garantir qu’aucun préjudice ne soit causé aux mineurs en garde à vue ou la non information des parents dans certains cas des dispositions prises."

100 recommandations, mais aucune sanction.

Le rapport dénonce aussi le racisme et l’isolement total dont sont victimes les détenus étrangers de la part des autres détenus et du personnel «  à cause de leur couleur ». Souvent personne n’est mise au courant de leur présence en prison.
Mais après tout cela, on se demande à quoi va servir ce rapport ? Quel sera la suite ? Bien qu’il ose dénoncer des situations accablantes dans le monde carcéral, il y a raison d’être particulièrement méfiant par rapport à la suite de ce rapport du CNDH. S’agit-il d’une nouvelle manoeuvre du régime pour prouver à l’opinion publique et internationale «  qu’il y a un esprit d’ouverture au Maroc », que le Maroc «  travaille au changement positif  », «  qu’il est en train de développer une culture de respect des droits de l’homme en vue de l’élimination de la torture dans un futur proche » ? Bref, ce rapport sera -t-il l’occasion pour répéter les formules et les promesses qu’on entend depuis trop longtemps ? Et qui pourraient ouvrir au Maroc la porte au Comité des droits de l’homme de l’ONU pour y occuper un siège permanent, que le Maroc veut obtenir à tout prix.

Le rapport fait état de tout...

Sauf des prisonniers politiques et de leur torture systématique, surtout quand il s’agit de «  terrorisme » et de la «  sécurité nationale ». Comment ne pas mentionner l’état dans lequel ces détenus, comme Ali Aarrass et tant d’autres, arrivent en prison, après leur passage par les mains de la DST et la brigade BNPJ ? Comment nier qu’il n’y a aucune reconnaissance de ces faits, pas de suite aux plaintes des torturés, pas d’examens médicaux impartiaux et objectifs.., comme le dit Juan Mendez ?

Le rapport parle du «  personnel » dans les prisons, responsable pour les tortures. Une demande de démission immédiate et de punition par la justice de ses auteurs ne se retrouve pas parmi les 100 recommandations. Le rapport évite aussi soigneusement de citer ne fût-ce qu’un des responsables au plus haut niveau, qui portent pourtant la responsabilité finale pour la torture. Or, sans nettoyer à fond le sommet de l’appareil de l’état, toute idée de changement restera une illusion.

Le Conseil se limite dans sa «  conclusion générale » à la nécessité «  d’accélérer le processus de ratification du protocole facultatif à la Convention internationale contre la torture  », « de la mise sur pied d’un mécanisme national et indépendant pour la prévention de la torture », et «  de l’élaboration un plan d’action pour l’éradication de la torture  ». Mais la torture n’est-elle pas déjà considérée comme un crime dans la nouvelle constitution marocaine sans que cela a changé quoi que ce soit ?

Quand on fait 100 recommandations, c’est souvent pour noyer le poisson. Donnez-nous cinq recommandations et surtout cinq mesures concrètes qui visent l’essentiel, au lieu de 100 qui parlent de tout et de rien, et qui permettront de dire, en 2013, qu’on a quand même obtenu quelque chose (une crèche par ici, un matelas par là ), sans toucher au coeur du problème. Réclamer la punition des responsables serait un signe clair. Exiger la libération immédiate des prisonniers politiques et de toutes les victimes de la torture, avant et pendant leur incarcération, en serait un autre.

Luk Vervaet

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