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Le capitalisme libéralisé brûle ses vaisseaux

Les classes dirigeantes se sentent si puissantes et inattaquables qu'elles n'hésitent plus à tomber le masque et à révéler leur hypocrisie. Au risque de sous-estimer la rage de ceux qui ne sont rien et de ceux qui "foutent le bordel"...

Voici des temps révélateurs où éclatent au grand jour, au hasard de faits fortuits ou de la publication de longues enquêtes, la perversité incurable du « système » économico-politique et la collusion entre toutes les strates des possédants et profiteurs.

On y apprend sans surprise la tolérance bienveillante des puissants à l’égard des divers aspects de la domination, dont le harcèlement sexuel n’est qu’une des facettes, puis on découvre toujours sans surprise les noms des entreprises et des dirigeants qui grâce à des montages aussi invraisemblables dans leurs détails que limpides dans leurs objectifs, dissimulent au cœur même de l’Europe leurs milliards, leurs villas provocantes et leurs yachts inmanœuvrables.

L’apogée est évidemment atteinte avec la découverte des acrobaties de l’entreprise Whirlpool, déjà rendue célèbre pas ses récents plans sociaux qui ont fourni à E. Macron une des premières occasions de se mettre en avant. Des ouvriers découvrent ainsi qu’après – ou avant, ou pendant – qu’elle délocalisait en Pologne, « leur » entreprise n’oubliait pas non plus le volet financier et « optimisait » aux Pays-bas.

Le coup était si gros, et permettait si peu d’accuser la Chine, la Russie ou les éruptions solaires que les instances européennes jugèrent nécessaire de monter au créneau. Et l’on eut un joli numéro d’hypocrisie mielleuse du cher Moscovici nous expliquant que pas du tout, tout ça était parfaitement légal, et que oui c’est vrai ce n’était pas très moral, et que donc c’est sûr on allait y mettre bon ordre, mais qu’il fallait être raisonnable et comprendre que c’est très compliqué car tout le monde n’est pas d’accord (la Pologne ? Les Pays-bas ?) et que ça allait prendre du temps...

Moscovici n’a pas expliqué pourquoi ces questions là n’avaient pas fait partie des prémisses de la construction de l’Europe. Pourquoi on avait très bien su faire pour définir de rigoureux « critères de convergence » dont le fameux taux d’endettement, mais pas su faire pour prévoir le dumping social, le dumping fiscal, l’utilisation des différentiels d’impositions...

Il n’a pas dit si c’était par incompétence, par amateurisme, par distraction, ou si dès fois il y aurait eu quelques pressions lobbyistes voire quelques conflits d’intérêts. Il ne savait peut-être pas ? Il n’a pas dit si on allait se dépêcher de modifier les législations qui permettent d’inquiéter voire de sanctionner les lanceurs d’alerte qui révèlent ces turpitudes (Denis Robert, Jon Palais, Antoine Deltour, Raphael Halet...) au lieu de se tourner vers ceux qui les perpètrent.

Pas un instant il n’a suggéré que si il apparaissait aussi évident que la « morale » et la loi se trouvaient en contradiction, cela signifiait tout simplement que la loi n’était pas ou plus adaptée. Et il n’a pas semblé effleuré par l’idée que cette contradiction pourrait fort bien ne pas être un pur effet du hasard. Que les fameuses lois avaient bien été conçues par des hommes, et pourraient, qui sait, l’avoir été pour favoriser certains d’entre eux. Non, ça ne lui est pas venu à l’idée à Moscovici. Pourtant il est intelligent et cultivé, Moscovici. Et il connaît bien les rouages de l’Europe. Pas aussi intelligent et omniscient que Macron, c’est sûr, mais tout de même.

Tout ça tombe assez mal car dans le même temps, il y a cette sale affaire catalane, et ce Puigdemont qui rue dans les brancards européens. Comme si il y avait besoin de ça ! Mais ce séditieux trouve le moyen de se réfugier au beau milieu de l’Europe, de la mettre en demeure, par le fait, de se prononcer sur le cas, et d’en rajouter une couche en interpellant directement les dirigeants avec les gros mots de : « est-ce là l’Europe que vous nous proposez ? »

Alors, quelle que soit l’opinion ou le manque d’opinion des « citoyens » européen sur l’opportunité d’une indépendance de la Catalogne, beaucoup auraient un peu de mal à comprendre que des dirigeants élus, représentant une bonne moitié de la dite Catalogne soient sans vergogne extradés vers l’Espagne pour y encourir de lourdes peines de prison(1). Un fois de plus il apparaîtrait que la sacro-sainte « liberté des peuples à disposer d’eux mêmes vaudrait lorsque ça se passe loin, mais pas au cœur de l’Europe...

Et en effet, quelle confiance peut-on garder dans la construction européenne en voyant se succéder de telles avanies ? Nous feront-ils encore le coup de la surprise, feront-ils encore semblant de ne pas comprendre l’origine du désamour des peuples ? Feront-ils appel à B. Guetta pour nous ramener dans le droit chemin ?

Mais suis-je naïf ! Non, ils ne sont pas surpris. Ils sont juste dominateurs, certains de leur position de force, certains de leur arsenal juridique, de leurs forces répressives si besoin est. Et surtout, ils comptent sur notre passivité, sur notre indolence, sur notre sidération. En France même, E. Macron pense pouvoir tabler sur sa rapidité légendaire, appuyée sur la majorité imprévue dont le pays l’a accidentellement doté. Il croit pouvoir compter sur son génie politique et sur sa bonne étoile, pus accessoirement sur nos divisions.

Et comme en a pris acte J. L. Mélenchon lui même, les faits semblent pour l’heure lui donner raison ; ni les concerts de casseroles ni les millions de manifestants sur les Champs Élysées ne semblent à l’ordre du jour...

Cependant.

Cependant, il n’est pas impossible que ces devins se trompent. Il n’est pas exclu qu’ils ne comprennent rien, ils ne seraient pas les premiers. Il n’est pas inimaginable qu’ils soient incapables de comprendre à quel point la révolte gronde, à quel point les classes dominantes et le système qu’elles ont savamment construit est discrédité et parfois haï. Peut-être même ont-ils oublié que l’impuissance politique dans laquelle se trouvent les victimes de la mondialisation triomphante ne fait qu’aggraver le ressentiment et rendre imprévisibles les réactions.

Tous devraient méditer les mots d’un syndicaliste de Whirlpool récemment interviewé, dont la colère faisait trembler la voix. « Ça va péter », disait-il, « un de ces jours ça va péter, et il y a des têtes qui vont tomber ». Retrouvant spontanément la rage des révolutionnaires.

Or ce syndicaliste émargeait à la CFDT, la centrale sur laquelle E. Macron, comme ses prédécesseurs, compte tant pour désamorcer les luttes pour une bouchée de pain, compte tant pour briser les unités d’action.

Oui, ils devraient méditer le signal qu’envoie la rage d’un syndicaliste « modéré » ayant longtemps, peut-être trop longtemps, joué le jeu des compromis négociés.

Les classes dominantes seraient-elles en train de passer les bornes de l’admissible, de la mystification, seraient-elles en train de brûler leurs vaisseaux ?

Gérard Collet

1. « Lorsqu’il y a contradiction entre la Constitution d’un État et la volonté démocratique, cette seconde prévaut » (arrêt du 20 juillet 2010 du tribunal de La Haye, Cour de justice internationale)

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Wayne Smith, ancien chef de la Section des Intérêts Américains à La Havane (SINA) sous l’administration Reagan

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