La rentrée, pas encore effectuée, a déjà apporté son premier film "d’intervention culturelle" (pour ne pas dire : de propagande). La Vierge, les Coptes et moi, de Namir Abdel Messeeh, n’est pas un film agressif, méprisant et grotesque (comme le sinistre Cochon de Gaza, dont le titre était déjà tout un programme) ; mais il s’inscrit dans un véritable projet de contrôle des images et des représentations concernant l’Egypte : il s’agit de fournir une grille de lecture pré-digérée où la réalité égyptienne apparaît déformée, avec comme problématique obsessionnelle le péril musulman. Dans ce cadre, les Coptes sont un sujet de choix (pourquoi tant d’intérêt pour les Coptes, alors que les médias ne se sont jamais émus du sort des chrétiens palestiniens victimes de la colonisation israélienne au même titre que les musulmans ou les laïques palestiniens ?).
Quel est donc le sujet du film ? Un cinéaste franco-égyptien, parti faire un reportage sur une apparition de la Vierge, finit par tourner une apparition fictive dont les acteurs sont les membres de sa famille, qui appartient à la communauté copte d’Assiout (ville située sur le Nil, à quelque 400 km au sud du Caire).Le livret fourni à l’entrée de la salle (et réalisé par l’Acid, Association du cinéma indépendant pour sa diffusion), nous indique l’itinéraire "critique" à suivre : admirer le personnage "truculent" de la mère du réalisateur, vraie "mère copte" (synonyme ici de "mère juive") ; s’extasier sur le jeu sur les genres cinématographiques et la virtuosité avec laquelle le réalisateur brouille les pistes : documentaire ou fiction, comédie ou making of ; s’interroger sur le phénomène de la croyance pour finalement conclure, oecuméniquement, aux pouvoirs magiques du cinéma.
Mais tout cela est cousu de fil blanc : les personnages de "mères juives" (modèle : la Mère de La Promesse de l’aube, de Romain Gary) sont toujours aussi convenus et histrionesques ; le "jeu sur les codes" est une tarte à la crème qui sert à faire passer les pires navets (voir l’inepte Copie conforme de Kiarostami) ; et le cinéma, depuis au moins Cinema Paradiso, de Tornatore, en 1989, a abusé, jusqu’à la nausée, de l’auto-célébration sur le thème de "l’invitation à l’émerveillement" (formule d’un critique de Première sur Hugo Cabret, film où Scorsese hollywoodise Méliès).
Ce programme ne prouve donc qu’une chose, c’est que Messeeh recycle les clichés les plus usés pour arriver à boucler un film au sujet indigent (ce qui explique l’insistance de l’auteur à critiquer la richesse de ses idées "qui partent dans tous les sens" !) : il n’a en fait rien à dire sur les apparitions de la Vierge (dont il s’acharne à chercher une preuve matérielle, façon grossièrement voltairienne d’envisager le problème). C’est dommage, car cela pourrait être un beau sujet s’il était traité avec sérieux et empathie (ainsi, dans la Dolce Vita, le journaliste Marcello, parti couvrir, dans un esprit blasé et cynique, une apparition mariale, voit sa fiancée, qu’il a emmenée avec lui, tomber à genoux, offrir ses chagrins à la Vierge, et trouver une consolation dans la communion avec l’élan de ferveur qui emporte tous les assistants).
Que reste-t-il donc ? un film à la gloire de la communauté copte, et un vrai faux documentaire, puisque, au lieu de nous apporter des connaissances (on apprendra en tout et pour tout que les Coptes se font tatouer des croix et des figures de la Vierge ou de Saint Georges, "Girgis"), le film idéalise niaisement les Coptes (souvent réduits à des ravis de la crèche) et même en donne un tableau déformé suivant les valeurs personnelles de l’auteur : de même que, dans l’Encyclopédie, pour faire plaisir à Voltaire, les sociniens sont présentés comme des déistes, ici Messeeh, dans la scène finale où il projette son film aux acteurs villageois, convertit les coptes à la religion du cinéma , du moins le cinéma du merveilleux, dans la ligne Méliès (opposée à la ligne Lumière, qui est le cinéma du réel).
En effet, de façon paradoxale, chez les Coptes, une seule chose dérange Messeeh : leurs croyances religieuses, à l’égard desquelles il affiche, dès le début, un scepticisme narquois, qui cherche (et, bien sûr, trouve) la complicité du public laïque français. Quant au reste, les Coptes forment une communauté sympathique et solidaire de gens souriants, vivant dans un cadre idyllique (images de maisons typiques, en bois et argile cuite, avec des jarres dans les coins, et des chèvres dans la cour centrale), et idéalement vert (bien sûr le Nil permet l’irrigation, selon des techniques que les Arabes ont apportées jusqu’en Espagne, où elles se sont perpétuées jusqu’à la fin du XXe siècle, et où j’ai pu les voir mettre en oeuvre, dans mon propre village natal ; la séquence de la mise en eau de l’acequia vaut du reste largement tout le reste du film ; on peut en voir une autre version, développée à une échelle épique, dans un film italien de 1949, Riz amer, de De Santis). Enfin, ce sont tous des gens modestes, des braves gens (l’auteur oublie que la communauté copte est surreprésentée dans les classes privilégiées, celle des financiers et riches propriétaires, comme celle des intellectuels et artistes). Le village d’origine de l’auteur apparaît ainsi comme un véritable Paradis terrestre et ses gens font penser au petit monde de Don Camillo, ou, plutôt, de Don Chenouda.
C’est là qu’est la supercherie et la manipulation du spectateur : ce Candide au pays des Coptes suggère justement qu’il y aurait un pays des Coptes, idée qui pourrait bien être exploitée au cas où l’Egypte chercherait à secouer le carcan de Camp David : depuis l’invasion de l’Irak, on a vu qu’il est toujours possible de démembrer un pays "voyou" selon des critères ethnico-religieux. Et c’est bien cette grille de lecture qui permet de donner au film sa plus grande cohérence : dès l’arrivée au Caire, l’auteur prend soin de "préciser" que les Coptes forment de 6 à 20 % de la population égyptienne ! L’énormité de la fourchette a de quoi étonner : en fait, elle constitue une erreur de 100 %, les sources sérieuses donnant comme proportion maximum 10% , ce qui donne une idée de la fiabilité du film. Poursuivons : les Coptes seraient les "vrais" Egyptiens, descendant en ligne directe des Pharaons (quelqu’un pourrait un jour en conclure qu’il serait légitime d’expulser les "faux" !). Vrais ou faux, en tout cas, le film s’attache à isoler les Egyptiens de tous les autres peuples arabo- musulmans : Coptes et Musulmans égyptiens seraient en effet caractérisés par une commune dévotion à la Vierge (que Messeeh explique par les ressemblances entre la Vierge et Isis) ; il oublie que tous les Musulmans respectent (mais sans lui vouer de culte) Marie, qu’ils considèrent comme une femme parfaite, selon la sourate 66 du Coran, L’Interdiction : "Elle sut fortifier son sexe (...). Elle avéra les paroles de Son Seigneur et des Ecritures. Dévote fut-elle entre toutes". Cette volonté de présenter les Egyptiens comme un peuple à part est tout sauf anodine quand on sait que le serment prononcé sur la tombe de Nasser lors de son enterrement disait : "Nous jurons de travailler à la puissance et à l’unité du peuple arabe" ; et le film de Samir Abdallah, Au Caire de la Révolution, insistait sur cette vocation de l’Egypte à assurer le lien entre tous les pays arabo-musulmans.
Mais, pourrait-on dire, si Coptes et Musulmans ont les mêmes manies (dévotion ou respect pour la Vierge), qu’est-ce qui les sépare ? Aux Coptes souriants, ouverts et bons vivants, le film oppose constamment des Musulmans fermés et sectaires, hypocrites ou revêches, visiblement incapables de s’adapter à l’esprit de tolérance occidental qu’irradie dans sa communauté copte le cinéaste franco-égyptien.
C’est donc une vraie lecture politique (sous une apparence de légèreté apolitique) que distille le film : tandis que la caméra s’attarde avec insistance sur le nom des stations du métro cairote "Sadate" et "Moubarak" (depuis rebaptisée "Martyrs"), Messeeh n’évoque Nasser (qui a pourtant, lui aussi, une station de métro, la plus importante) que pour lui attribuer la mise en scène de l’apparition de la Vierge à Zeitoun, en 1968 (c’est d’ailleurs la seule qui intéresse l’auteur) : ce serait un stratagème pour unir Coptes et Musulmans après la lourde défaite de la guerre de 1967 contre Israël. Ce sera la seule mention explicite d’un événement politique : le film se conclut sur une boutade (d’un humour douteux quand on pense à toutes les victimes des années 2010-2011) : "La Révolution ? Quelle révolution ?" Le "pays des Coptes" est en effet censé vivre à l’abri des vicissitudes politiques des autres Egyptiens, comme le Sage turc du dénouement du Candide.
On pourrait aussi, avant de terminer, évoquer une autre piste de lecture, symbolique (et assez prétentieuse) : dans ce film sur les apparitions mariales, le casting réalisé pour trouver, parmi les jeunes villageoises, une Vierge, dégénère en défilé grotesque : en fait, la seule "vraie" Vierge, c’est la mère du cinéaste, qui joue son propre rôle (comme dans L’Evangile selon Matthieu de Pasolini !), et qui, comme la Vierge, ne croit pas d’abord à la vocation de son fils, mais se tient à ses côtés lors de la Passion (lorsque le producteur retire son appui au cinéaste). Ce qui suggère que Messeeh (coïncidence du nom !) est le Christ : c’est lui, en effet, qui, à la fin, opère le vrai miracle, celui du cinéma (c’est seulement dans son film que la Vierge apparaît "en vrai").
Encore une fois, devant un film frivole et mineur (qui effleure des sujets importants sans jamais les traiter), et un film de propagande, les médias s’extasient : c’est un chef-d’oeuvre d’humanisme et d’humour", réalisé selon une "démarche intellectuelle dépourvue de préjugés". Une dose minime d’esprit critique pourrait pourtant les induire à s’étonner qu’un tel film soit financé par le Doha Institute (on connaît bien le Qatar comme un modèle de tolérance et de démocratie !). La loi exige sans doute qu’un film indique de façon véridique ses producteurs ; on ne pouvait donc pas évacuer le Qatar du générique ; mais l’auteur l’a évacué du film lui-même, où il ne cesse d’évoquer ses problèmes d’argent et ses relations difficiles avec "Grégoire", son producteur ; on est moins porté à le plaindre quand on sait que "Grégoire" est qatari. Mais il y a une conclusion plus sérieuse à tirer : les monarchies pétrolières vont sans doute jouer un rôle de plus en plus important, non seulement dans le sport, mais aussi dans le paysage culturel français. Le Qatar a peut-être déjà en projet un film, avec scénario de B-HL, sur la "révolution" syrienne.
Rosa Llorens
EN COMPLEMENT :
Le jour où Jean Daniel (entre autres) palpa 10.000 euros de la dictature du Qatar
http://www.legrandsoir.info/le-jour-ou-jean-daniel-entre-autres-palpa-10-000-euros-de-la-dictature-du-qatar.html