« Tanja Nijmeijer n’est pas seulement un joli visage chez les FARC » titre le journal la Vanguardia sur son site internet. Selon le quotidien elle est également à l’origine de « planifications et exécutions d’attaques sanguinaires » ! (1)
Attendue impatiemment par les médias colombiens, la jeune combattante est arrivée à la Havane le lundi 5 novembre 2012. Silhouette athlétique, béret noir marqué de l’écusson de la guérilla, elle est rapidement redevenue sujet de débats dans la presse nationale. « Joyau de la couronne » de l’équipe négociatrice des FARC selon elpais.com.co (2), Tanja Nijmeijer « ne représente rien pour les FARC » selon "l’analyste" Rafael Nieto Loaiza, « elle est seulement un élément de caractère symbolique. Mais les FARC vont profiter du fait qu’elle est étrangère, jeune et belle et bien dressée, pour montrer à l’Europe qu’elle a sacrifié son futur pour venir se battre en Colombie. Tanja est un élément de propagande très fort » (3). Sous la plume de la journaliste Salud Hernandez Mora, Tanja est bien plus : « Derrière la souriante image de gentille petite fille qu’elle exhibe à la Havane se cache une femme cruelle. Tanja Nijmeijer, qui insulte ses victimes avec ses mensonges aux médias internationaux, devrait plutôt expliquer comment ses jeux d’européenne colonialiste et idiote ont coûté la vie à des innocents et ont frustré des rêves » (4). Bien décidée à déboulonner l’image de la jeune femme, Salud Hernandez accuse Tanja d’avoir profiter des cours d’anglais qu’elle donnait à Pereira pour scruter les élèves et y déceler des candidats potentiels à l’enlèvement. De même elle la rend responsable de la mort d’un jeune garçon de 10 ans (Daniel Beltran) dans un attentat à la bombe contre des autobus de Bogota. Puis, revenant sur l’affaire des trois soldats américains détenus prisonniers par la guérilla en 2003 elle suggère à Tanja « d’éclairer ses compatriotes sur les différentes formes de torture qu’elle appliquait si bien au nom de la lutte révolutionnaire » (5). Des accusations reprises en partie par certains journaux en ligne sous forme de vérités partagées par tous. L’exemple du journal espagnol La Voz de Galicia : « Durant ses débuts dans les FARC, Nijmeijer a donné des cours d’anglais à Pereira, utilisant ses élèves pour les trahir. Le but n’était pas d’apprendre une langue mais de trouver des candidats à l’enlèvement, peu importe l’âge qu’ils avaient » (6). Il en va de même pour Elmundo.es pour qui « derrière le joli visage » se cache « un esprit froid » coupable des crimes exposés plus haut (7).
Une criminelle donc, mais également « une étrangère (...) qui donne des interviews aux journalistes comme si elle était une star de cinéma », « la star de la Havane » ironise un certain Jorge Alberto Caicedo dans un édito de Eltiempo.com (8). « Protagoniste de la télévision mondiale, se comparant au Che Guevara, se prononçant sur les problèmes agraires colombiens, qui doivent être réglés entre colombiens » (9) ; pour l’éditorialiste cela ne fait pas de doute que la jeune combattante n’est pas à sa place, et qu’elle s’immisce dans des affaires qui ne sont pas (ou ne devraient pas) être les siennes. A tout cela s’ajoute à nouveau les critiques autour de ses écrits dans un journal intime découvert lors d’une incursion militaire en 2007. Les passages traitant des désillusions ou des états de fatigue de la jeune femme avaient été utilisés pour décrédibiliser la guérilla et avaient alimenté les rumeurs selon lesquelles la jeune femme aurait échappé à un peloton d’exécution. « Dans un hypothétique triomphe de la subversion, Tanja, voulant émuler le Che, présidera les fusillements avec l’expérience d’en avoir échappé, lors de la découverte de son journal » fabule M.Caicedo (10).
« Comment te sens-tu Alexandra ? » (11) demande le journaliste suédois Erik Emanuelsson. Celui-ci a publié sur le site Anncol une vidéo dans laquelle il interviewe la jeune combattante, à la Havane, début novembre 2012. Alexandra.... Alexandra Nariño, nom de guerre de Tanja Nijmeijer. Un entretien de plus d’une demi-heure dans lequel elle répond à grand nombre de questions autour de sa présence dans la guérilla. « J’ai choisi la Colombie presque par hasard (...) mais je crois que de toute façon, si je n’avais pas fini par me battre en Colombie, j’aurais combattu en Hollande, en Espagne, ou dans n’importe quel pays du monde (...) Je ne pense pas être une exception, même si les médias veulent faire croire l’inverse, dans le fait d’aller combattre dans un autre pays. Peu importe là où on vit ou là où on meurt, ce qui importe c’est là où on lutte » (12). Sur l’affaire de son journal elle explique, très lucide, sa prise de conscience d’une réalité humaine à l’intérieur de l’organisation : « j’ai commis l’erreur de croire que la guérilla était parfaite (...) et il se trouve que vous y débarquez et vous y trouvez du peuple. Ce qu’il y a c’est du peuple ! Des paysans colombiens qui viennent dans la guérilla et y apportent tous les défauts de la société civile, et ça, ça choque (...) il faut du temps pour comprendre le parcours de ceux qui s’y intègrent (...) Vous imaginez bien que le processus d’adaptation d’une personne qui vient d’Hollande et intègre la guérilla n’est pas facile, et tout cela je l’écrivais dans un journal, en hollandais. Ce journal a six ou sept phrases négatives. Négatives dans lesquelles je parlais de personnes qui ne me plaisaient pas. Ces six ou sept phrases les médias les ont utilisées pour faire toute une manipulation médiatique, il faut le dire ». Sur le supposé conseil de guerre Alexandra s’était déjà prononcé auprès du journaliste Jorge Enrique Botero : « Ce sont de pures inventions (...) les grands médias, le gouvernement et l’armée ont oublié qu’ ici les camarades du Secrétariat et les commandants supérieurs sont des marxistes-léninistes. Ce ne sont pas des imbéciles qui gobent n’importe quoi. Jamais personne au sein des FARC ne m’a exigé des comptes sur ce journal » (13).
Tanja Nijmeijer... "parce qu’à prononcer ton nom est difficile y cherchait un effet de peur sur les passants" aurait pu écrire le poète Louis Aragon. La bourgeoisie colombienne peut feindre ne pas comprendre qu’un individu puisse lutter dans un pays qui n’est pas le sien alors que tant d’exemples de ce type jalonnent l’histoire humaine. Ou bien ne le comprend-elle vraiment pas ?
Gabriel Angel, la plume de la guérilla, disait d’Alexandra : « Holanda, comme on l’appelle affectueusement, est une combattante de plus des FARC (...) elle sait qu’elle n’a pas gagné la nationalité colombienne dans les couloirs et sous les fenêtres de la Chancellerie, mais qu’elle l’a obtenue de droit de la façon la plus noble : dans les tranchées, fusil à l’épaule, luttant pour le peuple humble de ce pays » (14).
Il faut se faire à l’évidence, « l’hollandaise » est une combattante colombienne.
Loïc Ramirez