« (...) Je n’arrivais pas à trouver mon fils, alors j’ai ramené un morceau de chair à la maison et je l’ai appelé mon fils. J’ai dit à ma femme que nous l’avions retrouvé, mais je n’ai pas autorisé ses enfants ni personne d’autre à le voir. Nous avons enterré le morceau de chair comme si c’était mon fils. » - Détresse d’un vieillard afghan après la mort de son fils lors d’un bombardement
Un meurtre de plus, un cri de révolte de plus, une bavure de plus et des excuses de plus, voilà comment on peut résumer la guerre faite aux enfants en Afghanistan. On apprend qu’une dizaine d’enfants ont perdu la vie dans un bombardement délibéré pour traquer les talibans ce début avril. Ces morts innocents nous rappellent les 400 enfants de Plomb durci à Ghaza. Un bombardement de l’Otan samedi dans l’est de l’Afghanistan, a tué dix enfants afghans, ont déclaré le 7 avril plusieurs responsables (..) Le bombardement s’est tenu alors qu’un combat intense opposait des troupes afghanes et américaines à des insurgés talibans, ont déclaré deux sources différentes. "Avant le bombardement, un Américain a été tué et quatre membres des forces de sécurité afghanes ont été blessés dans une attaque des insurgés", a commenté Wasifullah Wasifi, le porte-parole du gouvernement provincial du Kunar. (1)
La justification nous est donnée : « On nous tirait dessus depuis plusieurs maisons de la zone. Un Américain a été tué et plusieurs de nos hommes blessés. La force de la coalition a répondu par un bombardement », a expliqué une source sécuritaire afghane présente durant l’opération. "Nous ne savions pas qu’il y avait des femmes et des enfants dans la maison. Les taliban les ont utilisés comme des boucliers". D’après Abdul Zahir, le gouverneur du district de Shigal, où les combats se sont tenus, dix cadavres d’enfants ont été rapportés par les villageois à Asad Abad, capitale du Kunar, alors que six femmes ont été prises en charge à l’hôpital provincial. (...) Abdulqahar Balkhi, un porte-parole des taliban, a regretté sur twitter la mort de "22 civils innocent devenus martyrs à cause d’un bombardement des terroristes américains et de l’Otan", dont "15 membres d’une même famille". » (1)
Gilles Devers pense qu’il y a une dérive du droit, la mission initiale de l’Isaf a été dévoyée. Il écrit : « (...) Les heurts étaient violents, et ont causé la mort de quatre soldats afghans et d’un civil US, venu renforcer le commandement. Le commandement a perdu son sang-froid, et les hélicoptères de l’Otan ont été appelés pour bombarder. (...) De tels faits appellent quelques mises au point. L’Otan a obtenu de l’ONU de débarquer en Afghanistan pour répondre à al Qaîda, mais elle n’a aucun mandat pour éliminer les taliban. (...) Le bombardement est donc une représaille, et les représailles sont interdites par l’article 33 al 3 de la IV° convention de Genève (...) Le bombardement visait une maison d’habitation dans un village, c’est-à -dire que les enfants ont été tués chez eux. La thèse du bouclier humain ne tient pas, car il est interdit de viser des biens civils, surtout dans une zone d’habitation. (...) Aucune nécessité militaire ne l’imposait. Ce fait, à lui seul, qualifie le crime. » (2)
Il conclut en rappelant les articles de la Cour internationale : « Selon le statut de la Cour Pénale internationale, sont des crimes de guerre : notamment le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu ; (...) Cette attaque est donc un crime de guerre, et les criminels sont les commandants de l’Otan. Bien sûr, la justice ne sera pas saisie, et cette impunité est inadmissible. » (2)
Quel est le poids de ces arguments au nom du droit devant l’Empire et ses vassaux ? Le pire est cette accoutumance au crime. Dans l’opinion occidentale, que vaut la vie d’un enfant afghan ? On l’aura compris, nous sommes en présence d’un dommage collatéral- autre mot forgé par la doxa impériale-, les enfants étaient au mauvais endroit et au mauvais moment, Cette litanie constitue le bréviaire pour couvrir leurs actes criminels. Cela nous rappelle aussi les éliminations d’enfants à partir de drones- par erreur nous dit-on. » Un soldat du fin fond d’une salle climatisée appuie sur un bouton, amène le malheur dans une famille en fauchant un printemps et rentre chez lui s’occuper de ses enfants comme un bon père de famille.
Le conflit afghan
C’est l’un des tragiques conflits qui a duré et qui dure depuis que Bush a décidé, fin 2001, de s’en prendre à Bin Laden dans les montagnes de Bora Bora. Le conflit muta ensuite pour devenir celui de virer les taliban au pouvoir. Ces mêmes taliban qui étaient en grâce au point d’avoir un bureau de représentation à New York pour recruter des combattants de Dieu. Bin Laden mort, les Américains sont toujours là pour mettre en coupe réglée ce pays qui regorge de matières premières et de pétrole.
Selon un rapport de l’ONU publié le 9 mars 2011, l’année 2010 aura été la plus meurtrière pour les civils afghans dans le conflit qui oppose depuis neuf ans les forces internationales et nationales et les taliban. Avec 2777 civils tués, le nombre de morts dans les affrontements a fait un bond de 15% l’année dernière par rapport à 2009, selon un rapport de la Mission d’assistance de l’ONU en Afghanistan (Manua). Deux attentats suicides ont eu lieu ce samedi 6 avril 2013 en Afghanistan, en pleine visite du nouveau secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, arrivé la veille. Une explosion revendiquée par les taliban s’est produite à Kaboul, tuant neuf civils. Un deuxième attentat a été perpétré dans l’est du pays. Au moins huit enfants ont été tués. A Kaboul, les taliban ont prouvé que, malgré le renforcement du dispositif de sécurité lié à la venue d’un officiel américain, leurs attaques pouvaient toujours atteindre leur cible. (...) La rébellion menée par les taliban n’a toujours pas été matée malgré onze années de présence internationale et plus de 130.000 soldats étrangers sur le terrain. Dans l’est de l’Afghanistan, une deuxième attaque a tué huit enfants ainsi qu’un policier. » (3)
La « coalition » commence à s’effiloche r ; des sons de cloche différents se font entendre : « Le retrait anticipé entre dans la logique de l’illogisme qui a poussé à l’entrée en guerre contre l’Afghanistan. Les Américains, pour leurs intérêts exclusivement, impliquent toujours leurs alliés dans l’absurde. Un ex-conseiller militaire de François Mitterrand, Jean Fleury, avait expliqué que les Français ne combattaient plus et qu’il y avait encore des solutions, mais les Américains avaient anéanti toute solution de paix : « Ils ont uriné sur les cadavres des taliban, ils ont brûlé des Coran et ils se sont rapprochés de l’Inde à la grande colère des talibans. » (4)
Pour Manlio Dinucci, malgré leurs déclarations de départ fin 2014, les Américains ne sont pas prêts de partir, ils s’installent confortablement : « L’aviation a effectué en 2010 plus de 30.000 opérations d’« appui aérien rapproché » et, au second semestre, le nombre des attaques avec bombes et missiles a doublé à environ 1.000 par mois. On a aussi intensifié l’usage des avions sans équipages, en particulier les MQ-9 Reaper armés de missiles et de bombes à direction laser, contrôlés par un pilote et un technicien de senseurs installés à une console à 12.000 km de distance, au Nevada. Le parachutage de matériel de guerre pour les troupes a quasiment redoublé, atteignant environ les 250.000 quintaux annuels. (...) On continue à potentialiser la base aérienne de Bagram : avec un personnel de plus de 30.000 militaires. Il en va de même dans la base aérienne de Kandahar. » (5)
Quelques prouesses de l’Otan (Isaf) en Afghanistan
Il nous est impossible de lister tous les « dommages collatéraux » de ce terrible drame que subissent les Afghans. Nous allons citer chronologiquement quelques faits Souvenons- nous du bombardement d’Azizabad » effectué par les forces armées des États-Unis contre des taliban, qui a eu lieu le vendredi 22 août 2008 sur le village d’Azizabad situé dans la province d’Hérât, en Afghanistan. Un commandant taliban était la cible de cette opération qui a été réalisée par un Lockheed AC-130. Il a été estimé qu’entre 7 et 90 civils ont été tués pendant l’attaque, provoquant de nombreuses réactions internationales. » (6)
Dans le même ordre, le bombardement de Baba Buluk a fait 90 morts civils dont 60 enfants selon les Nations unies. « Le massacre de Bala Buluk est un massacre effectué par les forces de l’Isaf ; il a eu lieu le lundi 4 mai 2009 dans le district de Bala Buluk, Des insurgés talibans étaient la cible de cette opération. Plus de 100 personnes, insurgés ou civils incluant femmes et enfants, auraient été tuées dans cette attaque, ce qui en ferait le bombardement le plus meurtrier pour les civils depuis le début de l’intervention internationale en 2001. » (7)
Par la suite, le record de l’horreur a été dépassé. Le bombardement de Kunduz a eu lieu le 4 septembre 2009 effectué par un F-15E américain à la demande de la Bundeswehr allemande, il visait deux camions d’essence pris par des taliban et a fait 142 morts, dont plus de 100 civils. Les familles des victimes racontent : « Aux premières lueurs de l’aube, vendredi dernier, dans le district de Chardarah de la province de Kunduz dans le nord de l’Afghanistan, les villageois s’étaient rassemblés autour des carcasses de deux camions citernes qui avaient été bombardés par l’Otan. Ils se sont frayés un chemin à travers prés de cent cadavres calcinés et de membres enchevêtrés mélangés aux cendres, à la boue et au plastic fondu des jerrycans, à la recherche d’un parent, d’un frère ou d’un cousin. (...) A l’heure qu’il était, il n’y avait plus de survivants. (...) Les parents en deuil ont commencé à se quereller et à se disputer les restes de ceux qui, quelques heures auparavant, cherchaient du carburant dans les carcasses des camions citernes. (...) « Nous n’avons reconnu aucun corps lorsque nous sommes arrivés, » a dit Omar Khan, le chef enturbanné du village d’Eissa Khail ». (8)
« C’est comme si une bombe chimique avait explosé, tout était brûlé » « Ils étaient comme des troncs d’arbres calcinés, comme du charbon. (...). Alors les anciens du village sont intervenus. Ils ont ramassé tous les corps qu’ils ont pu et ils ont demandé aux gens de leur indiquer combien de proches ils avaient perdus. Une queue s’est formée. Un par un, les personnes endeuillées ont donné les noms des frères, cousins, fils et neveux disparus, et chacun a reçu en retour son quota de cadavres. Leurs identités n’avaient pas d’importance, de toute façon ils étaient entremêlés au-delà de toute reconnaissance. La seule chose qui importait était d’avoir un corps à enterrer et de pouvoir prononcer les prières. « Un autre disait qu’il avait perdu cinq membres de sa famille, alors on lui donnait cinq corps qu’il pouvait ramener et enterrer. Puis lorsqu’il n’y avait plus de corps, nous avons commencé à distribuer des membres, des jambes, des bras, des troncs. » A la fin, il ne restait que cinq familles qui sont reparties (...) Jan Mohammad, un vieillard avec une barbe blanche et des yeux verts, dit avec colère : « J’ai couru, j’ai couru pour retrouver mon fils parce que personne ne voulait m’emmener. Je n’arrivais pas à le trouver. » (8)
Dans le même ordre du livre noir de l’horreur, l’hebdomadaire Der Spiegel a publié des clichés de dépouilles à côté desquelles des soldats américains posent fièrement : « L’armée américaine s’est excusée officiellement (...) Ces clichés « nous répugnent en tant qu’êtres humains et sont contraires aux principes et aux valeurs de l’armée des Etats-Unis », affirme l’armée dans un communiqué. Der Spiegel affirme que le Pentagone a tout fait pour éviter la publication des photos. Le magazine allemand précise en outre avoir enquêté pendant cinq mois sur l’affaire des tortures en Afghanistan « Nous n’en publions qu’une infime partie, trois sur quelque 4 000 photos et vidéos, juste ce qui est indispensable pour raconter l’histoire d’une guerre qui a commencé avec les meilleures intentions, qui devait chasser les terroristes d’al Qaîda d’Afghanistan, qui était autorisée par un mandat de l’ONU, mais qui est depuis longtemps devenue une autre guerre », écrit Der Spiegel. (9)
Theophraste R. du Grand Soir ; nous parle d’une de ces bavures : « 4 mars 2011. Une frappe aérienne de l’Otan (lire : USA) a tué 9 enfants sans armes qui ramassaient du bois, près de leur village, en Afghanistan, à environ 12.000 km des USA. Moins de dix jours plus tôt, une attaque similaire avait tué 65 civils dans le même coin. Les génies du Pentagone ont élaboré des plans complexes (...) Dans Le Grand Soir, un auteur féru d’humour noir (qu’il se dénonce !) a écrit naguère qu’il faudrait que les Afghans évitent de se marier le jour de leur enterrement. Ce qui suppose qu’ils attendent au moins leur puberté avant d’éparpiller leurs entrailles dans la poussière. Certains s’étonnent de la sauvagerie avec laquelle les USA installent et défendent la démocratie en Afghanistan. Pour comprendre, il suffit de remplacer "démocratie" par "pipeline" et de regarder une carte sur l’acheminement du pétrole. » (10).
Ou va ce monde qui permet ces horreurs et que vaut la vie des damnés de la Terre face à celle de ceux qui se croient investis d’une mission divine, voire d’une « destinée manifeste » ? Qu’est ce que la démocratie pour ce vieillard qui enterre un morceau de chair à la place de son fils tant aimé ?
Saint Paul parlant de ces taghouts (tyrans) disait : « Dans les derniers jours, il y aura des temps difficiles. Car les hommes seront égoïstes, amis de l’argent, fanfarons, hautains [...] insensibles [...] aimant le plaisir plus que Dieu. » (11)
C’est peut-être cela la fin des temps que, les spiritualités et notamment religions révélées n’ont cessé d’annoncer. La fin des temps ne sera pas brutale, c’est un long délitement des valeurs et de ce qui fait la dignité et la valeur d’une vie quelle que soit sa latitude.
Chems Eddine Chitour