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La «  fillette » et le vautour

Toute photo ment. Je ne parle même pas de ces logiciels qui rajeunissent les mannequins de dix ans ou qui suppriment les pustules et les rides des visages des hommes politiques. Toute photo ment par ce qu’elle ne montre pas. Le cadrage exclut (raison pour laquelle, peut-être, Fritz Lang voulait que chacun de ses plans contienne tout son monde). Il y a un avant et un après de la photo que nous ne connaissons pas. Pas plus que son contexte spatial. Il y a un photographe dont nous ne savons, en général, rien.

Il y a une quinzaine d’années, la photo de la fillette et du vautour fit le tour du monde et valut à son auteur le Prix Pulitzer. Elle suscita un débat insensé. Le charognard n’était-il pas le photographe, Kevin Carter ? Celui-ci se suicida peu de temps après. S’était-il donné la mort parce que, au milieu de cette misère effroyable, il n’avait rien fait pour sauver cette petite, à bout de force, le front posé sur le sol ?

Dans les faits, la fillette était un garçon qui survivra au photographe.

Quand Carter prend la photo, l’enfant est à quelques mètres des siens qui font la queue pour obtenir de la nourriture auprès de volontaires de Médecins du monde. Dans les pays sahéliens, vautours et aigles sont des oiseaux presque familiers. L’enfant ne risque rien même si, comme sa famille, il est dans un état de détresse extrême.

A l’occasion d’un débat en Espagne sur une photo montrant prétendument une Haïtienne mourant du choléra alors qu’elle n’était pas malade, le journaliste espagnol Alberto Rojas décida d’aller à la source de la photo de Carter. Il découvrit que le petit garçon était mort de fièvres à près de vingt ans, que Carter était un homme profondément dépressif qui avait déjà tenté de se suicider, et dont un collègue proche venait d’être assassiné par des miliciens de l’apartheid en Afrique du Sud.

Dans son livre sur la photographie, Roland Barthes expliquait que, dans toute photo, il y a un point qui attire inexorablement notre regard. Dans la photo de Carter, ce sont les trois mètres séparant le volatile de la " fillette " . Ce point, qui donnait tout son sens à la photo, n’avait en fait aucune signification dans la vraie vie.

Voir la page Wikipédia de Kevin Carter http://fr.wikipedia.org/wiki/Kevin_Carter

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