Le gouvernement Sarkozy a décidé de faire le moins de bruit possible autour de cette transposition et a renoncé à faire voter une loi-cadre pour la transposer en droit français. Il se souvient, en effet, du scandale qui avait éclaté lorsque, en plein débat sur le référendum de 2005, le projet de directive Bolkestein était apparu en plein lumière. Il compte également profiter au mieux de cette directive qui va exactement dans le même sens que sa politique de marchandisation généralisée.
Sarkozy avait d’ailleurs déjà commencé à transposer, en catimini, cette directive « services » lors de la création du « guichet unique » pour les entreprises ou lors de l’assouplissement des conditions d’installation des grandes surfaces, adoptés dans la Loi de Modernisation de l’Economie (LME) de juillet 2008. Le plus gros reste cependant à faire. La transposition devait être terminée pour le 28 décembre 2009 mais ne le sera qu’en 2010.
Respectant en cela les voeux de Sarkozy, les grands médias ne s’attardent guère sur le sujet. C’est pourtant une directive cruciale pour notre avenir. Mais c’est sans doute aussi ce qui explique leur silence assourdissant.
Le projet de directive « Bolkestein »
L’objectif de ce projet de directive, rédigée dès 2003, était l’instauration d’un marché unique des services dans l’Union européenne, non en harmonisant par le haut les législations sociales des Etats-membres mais en les nivelant vers le bas, sous les coups de boutoir de la concurrence « libre et non faussée ».
Le champ d’application de la directive était considérable il concernait tous les services faisant l’objet d’une « contrepartie économique » : des sociétés d’intérim aux services liés à la santé et en passant par les plombiers… C’était la concurrence généralisée et la remise en cause du droit d’un Etat-membre à des services publics puisqu’ils étaient, pour l’essentiel, soumis à la concurrence.
Le principe de base de cette directive était celui du « pays d’origine ». Selon ce principe, un prestataire de services était uniquement soumis à la loi de son pays d’origine. C’était une attaque incroyable contre les droits du travail les plus avancés. En effet, la directive prévoyait les modalités de détachement de salariés dans un autre pays de l’Union. Ainsi, un salarié polonais pouvait être envoyé travailler en France par son entreprise et dépendre, pour l’essentiel, des lois sociales du pays d’origine de la société qui l’employait et non du droit du travail et du droit social (sécurité sociale, retraite…) du pays destinataire, la France en l’occurrence.
C’était la mise en place du « dumping social » dans toute sa splendeur. Au lieu d’instaurer un Smic européen de haut niveau, le projet de directive mettait directement en concurrence les salariés européens pour faire baisser les salaires et les prestations sociales. En 2005 et au début 2006, les libéraux européens ont opéré un repli tactique.
Ce repli tactique était du à la peur que le « non » l’emporte, en particulier lors du référendum français du 29 mais 2005, puis à la mobilisation des salariés à l’appel de la Confédération européenne des syndicats. En février 2006, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestaient à Strasbourg à l’appel de la CES et d’organisations comme Attac. Sous cette double pression, le Parlement européen adoptait le 16 avril 2006 un texte qui entérinait un double recul des libéraux.
En premier lieu, le champ d’application de la directive service était restreint. La totalité des services du secteur de la santé était exclue, de même que les agences d’intérim, les services sociaux, l’ensemble du droit du travail et de la Sécurité sociale. En deuxième lieu, le principe du pays d’origine disparaissait du texte.
Ces reculs des libéraux étaient incontestables. Mais le refus explicite (un amendement en se sens a été rejeté) de remplacer le principe du pays d’origine par celui du pays destinataire était lourd de conséquences. Il laissait, en effet, à la Cour de Justice européenne la possibilité de décider au cas par cas du droit applicable. Or, les arrêts de cette Cour vont très largement dans le sens de l’application du principe du pays d’origine.
2006 : une nouvelle version de la directive « Bolkestein »
Le 24 juillet 2006, le Conseil des Ministres (qui est le principal législateur de l’Union européenne) adoptait une version modifiée de la proposition de directive votée en première lecture par le Parlement européen. Ces nouvelles dispositions étaient approuvées par la Commission européenne qui a le monopole de l’initiative des directives.
L’offensive néolibérale du Conseil des Ministres et de la Commission se déroulait, essentiellement, selon deux axes. Premier axe : le refus de définir des termes comme « obligation de service public », « travailleurs » ou « service d’intérêt économique général » afin de laisser la plus grande marge d’interprétation possible à la Cour de Justice de Luxembourg. Deuxième axe : la diminution du nombre des services exclus du champ de la directive. L’eau, certains services liés à l’éducation, la culture, certains services sociaux étaient de nouveaux soumis à la directive et donc à la concurrence de prestataires de services d’autres Etats-membres.
Le vote de la directive McCreevy par le Parlement en novembre 2006
Le Parlement européen avait la possibilité de refuser de voter, en deuxième lecture, la proposition du Conseil des Ministres et de la Commission. La directive aurait alors cessé d’exister. Ce n’est pas la voie qu’avaient choisie les libéraux majoritaires au Parlement européen. Au contraire, le 15 novembre 2006, ils avaient adopté la proposition du Conseil et de la Commission qui devient la directive McCreevy, du nom du nouveau Commissaire en charge du « marché intérieur ». La motion de rejet de cette directive avait été repoussée par 105 voix pour (dont les Socialistes français, le PCF et les Verts), 405 voix contre (dont les parlementaires européens de l’UMP et de l’UDF) et 12 abstentions.
Les États membres avaient alors trois ans (jusqu’à décembre 2009) pour transposer cette directive dans leur législation nationale.
2006-2009 : la Commission européenne transforme la directive McCreevy en clone de la directive Bolkestein
La Commission européenne a mis à profit les trois ans qui séparaient le vote de la directive McCreevy de sa transposition dans les législations des pays membres pour encore gagner du terrain et faire de cette directive un véritable clone de la directive Bolkestein.
Le « principe du pays d’origine » avait disparu du texte de la directive McCreevy. Le règlement européen du 17 juin 2008 sur « la loi applicable aux obligations contractuelles » (Rome I) le fait rentrer par la fenêtre. Ce règlement prévoit, en effet, que « les parties contractantes sont libres de choisir la loi applicable au contrat ». Ainsi, un travailleur letton envoyé travailler en France par son entreprise pourra, « librement », choisir que lui soit appliqué le droit social letton.
Le champ des services épargnés par l’application de la directive McCreevy se réduit comme peau de chagrin. Les néolibéraux n’avaient pas accepté de gaîté de coeur qu’une bonne partie des services sociaux (plus de 100 milliards d’euros annuels) soient exclus du champ de la directive. En s’appuyant sur les articles 43 à 49 du traité de Lisbonne, la Commission européenne a repris l’offensive contre ces services en rappelant que « les services exclus du champ d’application de la directive relative aux services dans le marché intérieur continueront de relever de ces règles et principes ». Et ces règles et principes se résument en un seul commandement, celui d’une « concurrence libre et non faussée ».
Le sénateur français, Jean Bizet, rapporteur « sur l’état de la transposition de la directive services » souligne, avec un certain cynisme, que les exemptions prévues par la directive McCreevy ne sont que provisoires. En effet, en 2011 (et tous les trois ans, par la suite) un point sera fait par la Commission et à ces occasions, des modifications du champ d’application de la directive pourront être adoptées.
Sarkozy ne paraît pas pressé de protéger les services sociaux de notre pays
Les gouvernements des pays membres ont la possibilité d’exclure leurs Services Sociaux d’Intérêt Général (SSIG) du champ d’application de la directive. Mais ce n’est pas, à l’évidence, l’orientation du gouvernement Sarkozy qui ne semble pas du tout pressé de sortir du champ de la concurrence ce secteur d’activités sociales majoritairement composé d’associations (petite enfance, aide familiale, services à la personne…) Ainsi, le Ministère de l’Economie et des Finances estime que les conditions d’exclusion du champ de la directive seront très difficile à remplir « dans la plupart des secteurs où interviennent des opérateurs « sociaux » car ces secteurs sont des secteurs concurrentiels où sont susceptibles d’intervenir des acteurs de types différents (privés, commerciaux, associatifs, publics, etc. »
Quant au secrétaire d’État chargé de l’emploi, Laurent Wauquiez, il affirme que les SSIG sont une notion « totalement vides » et que seule, donc, s’applique la concurrence « libre et non faussée ».
Cette orientation signifie, à terme, la disparition du secteur social et médico-social associatif (900 000 emplois) qui ne pourra plus recevoir de subventions ou de financements publics (Etat, mais surtout Régions, Municipalités, Conseils généraux…) Ces subventions seraient, en effet, contradictoires avec le principe de la concurrence « libre et non faussée » puisqu’elles apporteraient un avantage concurrentiel aux associations qui les percevraient, face aux entreprises privées du secteur qui n’en bénéficieraient pas. Une crèche associative pourrait ainsi concurrencer « déloyalement » une crèche mise en place par une entreprise privée à but lucratif.
La gauche toute entière devrait se mobiliser dans l’unité pour faire barrage à l’application de cette directive assassine, pour refuser la subordination de l’ordre public social à la « liberté » contractuelle et pour exiger du président de la République qu’il fasse voter une loi qui exclut du champ d’application de la directive la totalité du secteur social et médico-social.
Jean-Jacques Chavigné
Source : Démocratie et socialisme