Pendant que la Chine transformait la province de Hubei en citadelle fortifiée, puis y acheminait des soignants et du matériel de santé de toute la Chine, puis y construisait un hôpital géant en dix jours, L’Occident la regardait avec curiosité, mais sans vraiment se sentir concerné, un peu comme elle avait regardé Haïti, pendant l’épidémie de choléra de 2011. Comme l’écrit Edna Bonhomme, tout cela correspondait à l’idée que se faisaient les Occidentaux, qu’« il s’agissait d’épidémies meurtrières de maladies anciennes qui affectaient des populations étrangères dans des pays exotiques, lointains et pauvres (par nature) ... et quasiment personne n’a vu dans l’épidémie le signe qu’il fallait préparer son propre pays, ou la communauté internationale, à une épidémie ou une pandémie similaire. »
Dans le cadre de la campagne de dénigrement lancée contre la Chine par les Etats-Unis et l’UE pour contrer la montée de son influence dans le monde, les plus malins parmi les technocrates à calculettes qui nous gouvernent si bien et les éditocrates serviles des plateaux TV qui nous endoctrinent si bien, ont immédiatement soupçonné la Chine d’avoir fait tout ça pour nous nuire. C’était sûrement encore un coup du « régime » pour nous faire croire qu’une menace pesait sur l’humanité et en profiter pour rafler la direction du monde à nos loyaux amis d’outre-Atlantique, mais pas si bêtes, nous la communauté internationale réduite aux laquais, on ne s’y laissera pas prendre et on ne bougera pas le petit doigt...
Au mépris habituel des pays colonialistes pour le reste du monde et au complotisme habituel des contempteurs du complotisme, s’est ajoutée la dose habituelle de racisme et de xénophobie. En voilà deux exemples parmi tant d’autres. Mi-février, la Chine a retiré leur carte de presse à trois journalistes du Wall Street Journal (WSJ) qui avaient titré, le 3 février 2020, : La Chine est le véritable homme malade de l’Asie. « L’expression homme malade de l’Asie est un terme apparu en Occident au XIXe siècle pour décrire la Chine à l’époque coloniale. Il est considéré comme très offensant dans ce pays ». Et, le 4 avril, Emmanuel Lechypre, un « meilleur spécialiste » de BFM TV a fait très fort. Pendant que trois minutes de silence étaient observées en Chine, le matin du samedi 4 avril, en hommage aux victimes du coronavirus, il a voulu faire le malin, et, croyant les micros fermés, il a dit tout bas : « Ils enterrent des Pokémons ». En guise de sanction, la chaîne BFM TV a annoncé que l’éditorialiste serait privé d’antenne pendant une semaine. Il doit trembler !!!
Puis l’épidémie est arrivée chez nous, prenant nos arrogants technocrates par surprise, et révélant au grand jour l’état catastrophique de notre système de santé que nos « meilleurs spécialistes » qualifiaient encore la veille de « meilleur du monde ». Mais le pire pour nos « meilleurs spécialistes » a été de devoir admettre du bout des lèvres que la Chine et d’autres pays avait réussi à se tirer d’affaire au moment même où ils étaient obligés de reconnaître à contre cœur l’impuissance totale dans laquelle nous autres Français, nous nous trouvions. Et le pire du pire a été de voir la Chine, Cuba et la Russie venir au secours de l’Italie abandonnée par l’UE...
Pour se dédouaner et nous rassurer, les dirigeants occidentaux se sont vite livrés à leur exercice habituel d’inversion accusatoire. Pendant que Trump, touché à son tour par la pandémie en pleine impréparation, accusait la Chine de ne pas avoir joué franc-jeu, notre secrétaire d’État aux Affaires européennes, la vaillante Amélie de Montchalin, accusait la Chine et la Russie, de “mettre en scène” l’aide qu’elles apportent à d’autres dans la lutte contre le coronavirus : « “C’est parfois plus simple de faire de la propagande, des belles images et parfois d’instrumentaliser ce qui se passe”. Ces gens-là savent de quoi ils parlent !
Un dilemme cornélien
En dehors de la nécessité absolue de « contenir » la Chine que malheureusement le virus n’a pas réussi à mettre à genoux, les dirigeants occidentaux se sont trouvés confrontés à un dilemme cornélien. Comment sauver l’Économie (et donc le système capitaliste) sans donner l’impression qu’on sacrifiait le peuple dont on avait besoin pour... sauver l’Économie.
Jusqu’ici comme le note très justement l’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz, il ne venait à l’idée de personne de mettre un pays à l’arrêt pour cause d’épidémie : « Durant l’hiver 1969-70, une grippe venue de Hong-Kong fait 33 000 morts en France, essentiellement des personnes âgées, dans une indifférence totale. On percevait alors cela comme un phénomène presque naturel. » Pour lui ce qui est « inédit et potentiellement ‘historique’, c’est que la plupart des gouvernements ont choisi d’arrêter l’économie pour sauver des vies ». Et, selon lui, c’est parce qu’on « a désormais les moyens techniques de sauver des vies humaines – des tests, des appareils respiratoires, la possibilité de se confiner... – et qu’émerge en conséquence l’impératif de protéger les populations. »
Eh bien, c’est peut-être vrai pour la Chine, mais, à mon sens, pas pour les autres pays. Aucun autre pays n’a « choisi d’arrêter l’économie » pour sauver des vies humaines. Les pays qui avaient la volonté et les moyens de soigner leurs populations sans la confiner, l’ont, bien sûr, fait : Taiwan l’Allemagne, la Corée du sud, le Vietnam. Mais je suis bien certaine que les autres n’auraient rien fait du tout, si l’Asie, et notamment la Chine qui, elle a été obligé de confiner toute une province, ne les y avaient pas contraints par leur exemple. Tout montre que la plupart des dirigeants occidentaux avaient choisi la stratégie « d’immunité collective », celle qui, à leur décharge, était considérée comme naturelle jusqu’ici. S’il n’avait pas pris l’idée saugrenue à la Chine de mettre la vie de sa population au-dessus de l’Économie, tout aurait été comme sur des roulettes. Les gens seraient morts ici dans l’indifférence générale ; les « meilleurs spécialistes » auraient pu continuer de clamer que notre système de santé est « le meilleur du monde » tout en prônant sa destruction ; le gouvernement aurait pu faire passer sa réforme des retraites avec le 49.3 ; il n’aurait pas été obligé de sacrifier, à son corps défendant, les profits sur l’autel de la vie en nous « confinant » ; bref tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais il a fallu que la Chine gâche tout et donc, à la réflexion, Trump, l’EU et Amélie de Montchallet ont bien raison de lui en vouloir. Et, après tout, peut-être même que les complotistes ont raison, la Chine a tout machiné exprès pour hâter la chute de l’empire Occidental.
Résultat des courses : pris dans un étau entre protéger les profits du CAC 40 comme d’habitude ou sauver la population comme les Chinois, les comptables qui nous gouvernent se sont figés dans l’attente d’un miracle, mais le miracle n’est pas venu, la pression populaire a augmenté, ils ont dû se résoudre à faire quelque chose, et la seule chose qu’ils pouvaient faire, c’était de confiner la population, vu qu’ils n’avaient prévu aucune mesure de protection. A la différence de la Corée du Sud, Taïwan, le Japon, l’Allemagne et même le pauvre Vietnam, nous n’avions rien, ni masques, ni tests, ni appareils respiratoires, rien !
Il faut lire, à ce propos, le témoignage de Michael Sibony, un consultant indépendant en investissement immobilier en mission longue durée à Hanoï, qui débute par ces mots : « Vue d’Extrême-Orient, la situation européenne face à la pandémie ferait presque sourire si elle n’était pas si tragique. Les pays progressistes imposent à leur population de se confiner et, en France, on enrobe cette privation de libertés d’un champ lexical martial et guerrier anachronique. ... La gestion de la crise n’a pas besoin d’être guerrière (d’ailleurs, par respect pour les rescapés des guerres, la décence devrait nous empêcher d’utiliser ce mot), mais simplement d’être organisée, d’être préparée. Au Vietnam, les dépistages sont maîtrisés et utilisés en grand nombre ... La population entière porte le masque ».
Les pays qui ont réussi à venir à bout du virus sans enfermer leur population ont remporté le gros lot. Leurs dirigeants ont sauvé à la fois leur population et leur Économie parce qu’ils étaient prêts à faire leur devoir de protection de la population. Les Chinois vont surmonter, sans problème, les conséquences du mois de confinement de la région de Hubei. Mais ceux qui comme la France, l’Italie, l’Espagne, les Etats-Unis ont préféré l’Économie à la Vie ont tout perdu. En France, L’Économie est très mal en point, la précarité va augmenter dans des conditions terribles, et les Français, enfermés ou exposés sans protection au virus depuis trois semaines, du fait de l’incurie de la Macronie, sont furieux, malades ou pas. Comme dit Annie Ernaux dans sa lettre ouverte : "Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un Nouveau Monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du ‘travailler plus’, jusqu’à 60 heures par semaine".
Il y a une morale à tout ça...
Un homme adorait faire la cuisine. Il passait son temps à inventer et mijoter des petits plats et il était devenu un vrai chef. Un jour il décida de faire profiter plus de monde de ses talents et ouvrit un restaurant. Il loua une auberge sympathique et chaleureuse, acheta des produits de première qualité et concocta, pour un prix raisonnable, un menu délicieux qu’il améliorait sans cesse. Bientôt le bouche à oreille fit son effet, et son restaurant ne désemplit plus. Il gagna beaucoup d’argent sans presque l’avoir voulu. Voyant cela, son cousin, qu’il avait formé et qui travaillait avec lui, décida d’ouvrir, lui aussi, un restaurant de l’autre côté de la ville. Au début, il imita en tout son mentor et son restaurant se remplit, mais, gagné par l’appât du gain, il se mit à acheter des produits de moindre qualité, à rogner sur les portions, à mettre moins de soin à la préparation des plats pour aller plus vite. Son restaurant se vida peu à peu et il dut finalement mettre la clé sous la porte.
Eh bien c’est exactement ce qui arrive à notre classe dirigeante. A force de ne penser qu’au pognon, comme dit élégamment notre petit roi, elle est en train de tout perdre, et le pognon et le peuple qui le fabrique, ce pognon...
Pour le moment, les technocrates immatures et robotisés qui nous gouvernent nous tiennent encore enfermés sur haute surveillance policière, mais ils vont bien être obligés de nous relâcher un jour. Nous sommes infiniment plus nombreux qu’eux. Il faudra cette fois nous unir et sortir tous dans la rue, comme en Tunisie, en Algérie ou au Liban, pour renverser le rapport de force et exproprier les propriétaires privés capitalistes des moyens de production. Il faut en finir avec les parasites que sont les prêteurs, les actionnaires et les employeurs. La production doit être décidée par tous, les entreprises doivent être autogérées, et chacun doit bénéficier d’un salaire qui lui permette de vivre décemment de la naissance à la mort.
Si nous ne bougeons pas, ils se relèveront et, croyez-moi, ce sera pire qu’avant...