Ces dernières années, l’Union européenne était presque parvenue à se construire une image de premier de la classe dans le domaine de la protection de l’environnement. Face à une position inflexible des Etats-Unis et de pays en développement qui refusent toujours la moindre contrainte de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, les négociateurs européens étalaient sommet après sommet leurs bonnes intentions. Le plan d’action de l’Union, appelé « paquet climat-énergie », prévoit d’atteindre un triple objectif d’ici 2020 : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20%, gagner 20% d’efficacité énergétique et faire passer la part des renouvelables à 20% de la consommation totale. Applaudie par les médias, cette apparente conversion à l’écologie constituait un véritable tour de force : celui de masquer aux yeux du grand public la liste interminable des choix politiques de l’Union européenne contribuant à détruire la planète, qu’il s’agisse d’agriculture, de transport ou de commerce(1). Elle possédait par ailleurs l’immense avantage de redorer à peu de frais son blason. Le Président de la Commission en personne avouait en mars 2007 qu’il était possible ainsi de « réconcilier l’Europe avec les nouvelles générations qui parfois ne se reconnaissent pas dans notre action »(2). Autrement dit, nous étions les témoins d’un « green washing » digne des meilleures multinationales.
Mais, en dépit de ses atouts, cette imposture écologique a fait long feu. Il aura suffit que le système financier international tremble sur ses fondations pour que le climat redevienne le cadet des soucis de nos dirigeants européens. Même l’Allemagne, pays « vert » par excellence dans l’imaginaire collectif, préfère sauver la compétitivité de ses entreprises plutôt que réduire son empreinte écologique. Dès la fin septembre, Angela Merkel annonçait qu’elle ne cautionnerait pas « la destruction d’emplois allemands du fait d’une politique inappropriée sur le climat ». On appréciera que le programme de lutte contre le changement climatique soit d’un coup relégué au rang de « politique inappropriée » sous l’effet de la crise financière... Les polonais ont commencé par considéré qu’il n’y avait plus d’urgence à conclure un accord sur le paquet climat-énergie, avant de hausser le ton et de menacer d’opposer leur véto à ce plan. Ce chantage est particulièrement gênant, puisque la Pologne est le pays d’accueil du prochain sommet de l’ONU sur le climat, qui aura lieu en décembre à Poznan, et qui est censé permettre d’aboutir à un accord post-Kyoto dès la fin 2009. A la veille de la réunion des ministres de l’environnement des 20 et 21 octobre, les dernières discussions s’orientaient, sous la pression de l’Italie et des pays de l’Est, vers l’ajout d’une clause de révision permettant de revenir sur le paquet climat-énergie dès la fin 2009, et vers un vote à l’unanimité pour finaliser la position européenne. Des changements de nature à vider la proposition initiale du peu de substance qu’elle possédait, voire à l’enterrer si la « compétitivité européenne sur le marché mondial » se trouve menacée. Quant aux Etats qui demeurent plutôt discrets, il suffit d’observer l’actualité pour comprendre où se situent leurs vraies priorités.
Pour scandaleuse qu’elle soit, cette volte-face n’en était pas moins prévisible. Trente ans de dérégulation et de promotion du libre-échange ont organisé la mise en concurrence de pays aux niveaux de protection sociale et environnementale radicalement différents. Les grandes firmes ont pu délocaliser leurs activités, au point que 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont aujourd’hui le fait de produits fabriqués dans les pays en développement mais consommés dans les pays riches. La perte de pouvoir politique sur l’économie est très exactement proportionnelle à la progression de la « libre concurrence ». Dans ces conditions, toute contrainte environnementale au Nord devient une incitation supplémentaire à délocaliser. Angela Merkell ne dit pas autre chose lorsqu’elle oppose défense de l’emploi et protection de l’environnement.
Alors, que reste-t-il à faire, si ce n’est attendre les prochaines catastrophes ? Les événements que nous vivons ces dernières semaines rappellent à quel point il est urgent de traiter le mal à la racine. La finance, qui prétendait gérer jusqu’à la crise écologique au travers du marché des droits à polluer, montre une nouvelle fois toute sa capacité de nuisance(3). Le libre-échange apparaît chaque jour un peu plus comme une stratégie délétère, qui place les peuples en situation de concurrence permanente afin de permettre aux pouvoirs économiques de s’affranchir d’une démocratie trop encombrante. Enfin, en oubliant ses promesses écologique à la première occasion, l’Union européenne prouve que la protection de l’environnement ne résiste pas, elle non plus, à l’argument de la concurrence internationale. Le constat est clair. Il faut maintenant en tirer les conclusions politiques. La sortie du néolibéralisme est plus que jamais une priorité, et l’arrêt du libre-échange est la première des batailles à mener pour y parvenir.
Aurélien Bernier
Auteur du livre « Le climat otage de la finance », 2008, éd. Mille-et-une-Nuits.
Co-auteur du livre « En finir avec l’eurolibéralisme », sous la direction de Bernard Cassen, 2008, éd. Mille-et-une-Nuits.
Secrétaire national du Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP)
http://abernier.vefblog.net
(1)Lire « En finir avec l’eurolibéralisme », sous la direction de Bernard Cassen, éd. Mille-et-une-Nuits.
(2)Le plan d’action de la Commission européenne, 13 mars 2007, http://www.touteleurope.fr
(3)Lire « Le climat otage de la finance », Aurélien Bernier, éd. Mille-et-une-Nuits.