RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

L’Union européenne au fond de l’abîme, par Salim Lamrani.








[Que se passerait-il si Cuba finançait les indépendantistes basques ou corses afin d’accélérer la « transition démocratique » en Espagne et en France ? Que se passerait-il si des pays tels que la Chine, la Russie ou l’Iran en faisaient de même ? La presse internationale s’empresserait de condamner, et à raison, de telles ingérences inacceptables. Il doit en être de même vis-à -vis de la politique de l’Union européenne contre Cuba.]






6 juin 2007.


L’Union européenne a atteint le fond de l’abîme politique, stratégique et surtout moral. Au mois d’avril 2007, les instances de Bruxelles ont reçu en grande pompe la visite de Caleb McCarry. Ce sinistre personnage a été nommé en 2005 par l’administration Bush « coordinateur de la Commission d’Assistance à une Cuba libre », dont l’objectif est de renverser le gouvernement de La Havane, dans un délai de 18 mois à partir du 10 juillet 2006, et d’installer un régime au service de Washington. McCarry se décrit lui-même comme « le plus haut fonctionnaire responsable de coordonner les efforts pour soutenir une transition démocratique à Cuba [1] ».

McCarry, dont le but est de maintenir la politique d’agression et d’ingérence dans les affaires internes cubaines jusqu’à ce que « de véritables changements surviennent à Cuba », dispose du soutien de l’Union européenne. Bruxelles se rend complice d’une stratégie visant à renverser un gouvernement souverain, bafouant toutes les normes internationales. Mais elle ne se contente plus d’apporter un soutien passif et tacite à Washington. Désormais, elle a élaboré une manouvre similaire calquée sur les directives de la Maison-Blanche [2].


Le plan secret de l’Union Européenne vis-à -vis de Cuba.

Dans un document confidentiel intitulé « Policy Paper on EU Medium Term Strategy Towards Democracy in Cuba » (Document de politique sur la stratégie à moyen terme de l’UE pour la démocratie à Cuba), Bruxelles confirme son intention de mener une politique parallèle à celle de Washington, afin d’atteindre le même objectif. Cuba est le seul pays latino-américain victime de sanctions politiques et diplomatiques de la part de l’Union européenne qui a adopté une Position commune en 1996, officiellement pour « atteinte aux droits de l’homme ». Seuls quatre autres pays au monde subissent le même sort : la Birmanie, l’Irak, le Nigeria et le Zimbabwe [3].

La rhétorique de l’Union européenne au sujet des droits de l’homme pour justifier la stigmatisation de Cuba est un prétexte peu crédible, comme le démontre le dernier rapport d’Amnesty International de 2007. Sur le continent américain, du Canada à l’Argentine, les violations des droits de l’homme sont terrifiantes et Cuba est de loin le pays le moins accablé par l’organisation. L’objectif est tout autre et il est clairement défini dans le document secret : « L’objectif premier de la Position commune sur Cuba est de promouvoir un processus de transition vers une ’démocratie pluraliste’ », c’est-à -dire remettre en cause l’actuelle structure politique, économique et sociale de l’àŽle des Caraïbes [4].

Bruxelles se montre déterminée dans sa volonté d’atteindre son but commun avec les Etats-Unis : « Aucune normalisation des relations politiques entre l’Union européenne et Cuba n’est à l’ordre de jour avant que de réels et véritables changements surviennent dans l’île ». L’UE démontre ainsi son manque de vision stratégique en persistant à appliquer une politique de contrainte inefficace vis-à -vis de La Havane, qui n’est guère réceptive au langage de la force [5].

Dès le triomphe révolutionnaire en 1959, les Etats-Unis ont élaboré une stratégie visant à organiser, financer et diriger une opposition interne à Cuba. Les documents secrets aujourd’hui partiellement déclassifiés, les lois Torricelli de 1992, Helms-Burton de 1996 ainsi que les rapports du 6 mai 2004 et du 10 juillet 2006 de la Commission d’Assistance à une Cuba libre le démontrent sans aucune équivoque. Des groupes d’opposants, nommément cités par ces documents officiels du gouvernement des Etats-Unis, oeuvrent comme une cinquième colonne au service de la politique étrangère de Washington [6].

Désormais, l’UE a emboîté le pas aux Etats-Unis et envisage elle aussi financer une opposition interne à Cuba afin de promouvoir ses propres intérêts :

« L’Union européenne doit accroître son influence auprès de l’opposition pacifique et des secteurs indépendants de la société civile dans son ensemble à Cuba et à l’étranger, avec un accent particulier sur leurs plans pour la future transition. L’Union européenne doit mobiliser tout son poids (politique et financier) pour encourager les dissidents à élaborer ensemble une plateforme politique commune opérationnelle, incluant toutes les personnalités, les groupes, les initiatives et les programmes dans leur ensemble. Comme première étape, les groupes d’opposition doivent s’abstenir de déclarations et de comportements polarisés. Ensuite, ils doivent se mettre d’accord autour d’un consensus minimum sur les procédures et les substances afin d’accroître leur impact commun et se préparer pour une véritable démocratie pluraliste [7] ».

Ainsi, Bruxelles, violant les principes les plus élémentaires de la non-ingérence, s’immisce dans les affaires internes cubaines et envisage de recruter des individus afin de mettre en ouvre son propre agenda politique. Les groupes de dissidents, dont beaucoup sont susceptibles d’accepter l’aide de l’Union européenne, tomberaient immédiatement sous le coup de la loi cubaine. En effet, comme toutes les législations du reste du monde, le code pénal cubain punit sévèrement toute alliance ou collaboration avec une puissance étrangère dans le but de renverser l’ordre constitutionnel établi. Le gouvernement cubain ne restera sûrement impassible face à cette nouvelle tentative de déstabilisation.

L’Union européenne a mis en place des mesures très concrètes pour « promouvoir une société civile plus démocratique et mieux organisée » et mener à bien sa politique d’ingérence. Elle a prévu « de donner la priorité à des projets économiques et socioculturels », d’approuver et de « financer les initiatives culturelles du secteur indépendant cubain telle que la création de librairies indépendantes ». Bruxelles a également prévu d’inviter « les membres de l’opposition à des évènements politiques et culturels de l’Union européenne [8] ».

Que se passerait-il si Cuba finançait les indépendantistes basques ou corses afin d’accélérer la « transition démocratique » en Espagne et en France ? Que se passerait-il si des pays tels que la Chine, la Russie ou l’Iran en faisaient de même ? La presse internationale s’empresserait de condamner, et à raison, de telles ingérences inacceptables. Il doit en être de même vis-à -vis de la politique de l’Union européenne contre Cuba.


La politique irrationnelle de Washington atteint l’Autriche.

Les sanctions économiques inhumaines que les Etats-Unis imposent aux Cubains frappent de plein fouet l’Europe. En avril 2007, une banque autrichienne rachetée par un fond étasunien a fermé tous les comptes tenus par près d’une centaine de clients d’origine cubaine résidant dans la république alpine, appliquant ainsi de manière extraterritoriale - et donc illégale - la législation étasunienne dans un pays tiers. La banque Bawag vendue au fond financier Cerberus a, du jour au lendemain, annoncé à ses clients cubains qu’ils devaient clôturer leurs comptes en raison de leur nationalité [9].

Thomas Heimhofer, porte-parole de Bawag, a affirmé de manière catégorique que la décision était « irrévocable ». Miriam Vargas, l’une des clientes affectées par la mesure, a regretté cette discrimination et avoue avoir été offensée par « le ton dénigrant de la lettre envoyée par la banque ». Le député vert Karl à–llinger, également client de l’institution, s’est insurgé contre cette décision : « Fermer les comptes de quelqu’un en raison de sa nationalité viole la loi autrichienne et si le directeur de Bawag ne rectifie pas cette mesure d’ici dix jours, je vais fermer tous mes comptes ». Quant au ministre des Affaires sociales, Erwin Buchinger, il a lancé un appel au boycott de Bawag : « Les entreprises comprennent mieux quand leurs intérêts sont affectés [10] ».

Le gouvernement autrichien a annoncé des sanctions contre l’entreprise viennoise, pour application illégale de sanctions étrangères. La ministre des Affaires étrangères, Ursula Plassnik, a signalé que l’Autriche n’était pas « le 51ème état fédéral des Etats-Unis », et que les lois autrichiennes et européennes devaient être respectées. Bruxelles a observé un assourdissant silence au sujet de cette affaire [11].

Suite aux pressions populaire et juridique et face à la détermination des autorités autrichiennes de ne pas subir cette humiliation, le groupe financier a dû faire marche arrière le 4 mai 2007. « Le conseil d’administration de Bawag PSK révoque la décision de mettre un terme aux relations commerciales avec les ressortissants cubains avec effet immédiat. Le conseil d’administration présente ses excuses pour les problèmes et les irritations causés par les précédentes mesures », a annoncé l’entité viennoise [12].


Le Royaume-Uni n’est pas épargné.

En avril 2007 également, la banque Barclays a ordonné à ses filiales de Londres de fermer les comptes de deux entreprises cubaines : Havana International Bank et Cubanacán, suite aux pressions exercées par le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (Office of Foreign Assets Control, OFAC) du Département du Trésor. Plusieurs députés britanniques scandalisés par cette intromission étrangère ont décidé de porter l’affaire devant la Chambre des Communes. Le député Ian Gibson a fustigé cette nouvelle atteinte : « Cette décision de Barclays non seulement représente une offense répugnante contre un pays caribéen mais constitue également une contravention à nos propres règles et lois. [.] Nous soutenons le droit de Cuba à être libre de l’agression nord-américaine ». Peu de temps auparavant, la chaîne hôtelière Hilton avait décidé arbitrairement de ne plus héberger de ressortissants cubains. Désormais, les entreprises du Royaume-Uni doivent se plier aux lois étasuniennes, faisant fi de la souveraineté de cette nation. L’Union européenne ne s’est toujours pas prononcé sur ces outrages [13].


Une hypocrisie insupportable.

L’hypocrisie de Bruxelles dépasse toutes les limites. Sans même parler de l’évidente absence d’autorité morale de l’UE, la rhétorique des droits de l’homme est fallacieuse ; les véritables objectifs étant moins avouables. La complicité de l’UE avec les Etats-Unis est incontestable à tel point que lors du sommet bilatéral Etats-Unis/Union européenne en mai 2007, le nom de Cuba a été cité dans la déclaration finale. L’Europe accepterait-elle de recevoir un proconsul cubain dont le but officiel et avoué serait de renverser l’administration Bush, comme elle l’a fait avec Caleb McCarry ? Au nom de quel droit l’UE déciderait-elle de l’avenir des Cubains [14] ?

Censée prendre une part active dans la lutte contre le terrorisme, l’UE ne s’est toujours pas prononcée sur la libération définitive, le 8 mai 2007, de Luis Posada Carriles, le pire terroriste du continent américain et ancien agent de la CIA. Washington, qui protège ce criminel, refuse de l’extrader au Venezuela, en flagrante violation de la législation internationale. Cet acte de connivence n’est pas acceptable tout comme la doctrine du « bon et du mauvais terroriste ».

L’Union européenne - tout comme les Etats-Unis - se trouve dans l’incapacité de reconnaître et d’admettre que Cuba est un pays souverain et indépendant. C’est la raison pour laquelle Javier Solana, le haut représentant pour la politique étrangère de l’UE, persiste à parler de « transition [.] rapide » à Cuba et choisit d’ignorer une réalité immuable : le processus révolutionnaire cubain est profondément ancré au sein de la société cubaine et ne dépend aucunement de la survie de son leader historique, politique, spirituel et constitutionnel. En un mot, il est irréversible et toute analyse sérieuse portant sur la situation actuelle ou le futur de Cuba doit commencer par ce postulat. Encore imprégnée de sa culture coloniale, l’UE conteste le droit des Cubains à l’autodétermination. Elle s’obstine à mener une politique arbitraire qui, de toute façon, a échoué depuis longtemps et ne fait que plonger le Vieux continent dans un discrédit international [15].

Salim Lamrani




Pourquoi les arrestations à Cuba ? <BR>
par Wayne Smith, ancien responsable la section des intérêts US à la Havane.

Sur les conséquences humaine de l’ embrago Cuba :<BR>
Le Mur d’Eau, par Jens Glüsing.


Reporters Sans Frontières et Cuba : L’ art de se tirer une balle dans le pied, par Viktor Dedaj.

Sur John Lennon, Cuba et les années 60, par José Perez.






[1Caleb McCarry, « Caleb McCarry Discussion with European Journalists at the Foreign Press Center », 25 janvier 2007, www.cafc.gov (site consulté le 28 mai 2007).

[2Ibid.

[3« Policy Paper on EU Medium Term Strategy Towards Democracy in Cuba ». Document fourni par une source confidentielle à l’auteur.

[4Ibid., point 3.5.

[5Ibid., point 4.3.

[6Salim Lamrani, Fidel Castro, Cuba et les Etats-Unis (Pantin : Le Temps des Cerises, 2006), pp. 173-196.

[7« Policy Paper on EU Medium Term Strategy Towards Democracy in Cuba », op. cit., point 4.4.1.

[8Ibid., point 4.4.2.

[9EFE, « El embargo a Cuba salpica a Austria. La cancelación de cuentas de cubanos en un banco adquirido por un fondo de EE UU abre un encendido debate », 18 avril 2007.

[1010 Ibid.

[11World Data Service, « Anuncia gobierno de Austria medidas contra banco que se unió a bloqueo anticubano », 20 avril 2007.

[12Reuters, « BAWAG Restores Cuban Accounts After Public Uproar », 4 mai 2007 ; Associated Press, « Banco austrà­aca reanuda transacciones con ciudadanos cubanos », 4 mai 2007.

[13Gabriel Molina, « Austria apuesta por la soberanà­a », Granma, 7 mai 2007.

[14Agence France Presse, « Aluden a Cuba en cumbre de EEUU y Cuba », 1 mai 2007 ; EFE, « UE acuerda incluir en mención a Cuba en declaración con EEUU », 1 mai 2007.

[15Associated Press, « Solona dice le gustarà­a transición rápida en Cuba », 18 avril 2007.


URL de cet article 5129
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Auteur
Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme
Salim LAMRANI
En juin 2003, sous l’impulsion de l’ancien Premier ministre espagnol, José Marà­a Aznar, l’Union européenne décide d’imposer des sanctions politiques et diplomatiques à Cuba. Cette décision se justifie, officiellement, en raison de la « situation des droits de l’homme » et suite à l’arrestation de 75 personnes considérées comme des « agents au service d’une puissance étrangère » par la justice cubaine et comme des « dissidents » par Bruxelles. Le seul pays du continent américain condamné par l’Union européenne (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Je pense que l’un des grands défis des Occidentaux, c’est d’être capables de mettre le curseur sur des forces politiques que l’on va considérer comme fréquentables, ou dont on va accepter qu’elles font partie de ce lot de forces politiques parmi lesquelles les Syriennes et les Syriens choisiront, le jour venu. Et je pense que oui, l’ex-Front al-Nosra [Al-Qaeda en Syrie - NDR] devrait faire partie des forces politiques considérées comme fréquentables »

François Burgat sur RFI le 9 août 2016.

La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.