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Colombie : assassinat du dirigeant des FARC

L’Odyssée d’Alfonso Cano

« Cet homme ne va jamais se rendre. Si tu avais l’occasion de le voir face à face, tu verrais dans son regard qu’il ne vacillera pas. C’est un ermite, il a tout abandonné pour lutter aujourd’hui dans la jungle, avec 15 000 soldats à ses trousses. Ils ne l’auront pas » m’a confié mon interlocutrice colombienne sur le balcon d’un immeuble, une nuit d’août 2011 à Bogota.

Ce matin du 5 novembre je ne peux m’empêcher de penser à cette militante communiste lorsque j’apprends la mort au combat, survenu la veille, du commandant en chef des FARC. « Echec et mat » titre en une le célèbre hebdomadaire colombien SEMANA [1], affichant comme l’ensemble des grands médias du pays sa satisfaction à l’annonce du décès de l’ennemi n°1. « Je veux féliciter le Ministre de la Défense Juan Carlos Pinzon, l’armée, la Force Aérienne, la Marine Nationale, la police, tous les soldats et policiers de Colombie, car grâce à votre persévérance et à votre courage, ce grand coup, ce coup historique, à été possible » a annoncé Juan Manuel Santos dans une intervention suite à l’annonce du succès de l’opération. Il a également envoyé « un message à tous les membres de cette organisation (les FARC) : démobilisez-vous ! car sinon, comme nous l’avons annoncé et comme nous l’avons démontré, vous finirez dans une cellule ou dans une tombe » [2].

Né en 1948 dans la capitale, Guillermo Leon Saenz de son vrai nom, intègre la guérilla marxiste au début des années 80 Enfant d’une famille de classe moyenne, fils d’une pédagogue et d’un agronome, il étudie l’archéologie à l’Université Nationale de Bogota sans pour autant terminer son cursus. Militant au Parti Communiste Colombien, il se montre très radical dans ses idées et finit par rejoindre les rangs de la guérilla vers l’année 1984. Reconnaissable par sa barbe noire fournie et ses épaisses lunettes, celui qui était considéré comme "l’intellectuel" du groupe insurgé se démarque rapidement au sein du secrétariat comme l’un des plus fidèles bras droit des dirigeants Jacobo Arenas et Manuel Marulanda. A la mort de ce dernier en mars 2008, Cano devient celui chargé de remplacer le chef historique à la tête de la plus vieille guérilla du continent.

Traqué depuis plus de trois ans, le commandant guérillero a vu l’encerclement militaire se renforcer sérieusement ces derniers mois. Le vendredi 4 novembre, à 7 heures du matin, des avions des Forces Aériennes bombardent le campement insurgé localisé près de Suarez, dans le Cauca (Sud Ouest du pays). Suite à la décharge de bombes, une douzaine d’hélicoptères Black Hawk déposent des unités des Forces Spéciales dans la zone afin de poursuivre les opérations au sol. La résistance des combattants des FARC oblige l’armée à renouveler un bombardement afin de faciliter l’avancée des troupes sur terre. Une fois dans le campement, parmi les divers cadavres présents sur place, le corps d’Alfonso Cano est retrouvé. Méconnaissable (il ne portait plus sa barbe ni ses lunettes) il a fallu attendre l’expertise médicale pour identifier le chef rebelle, rapporte en détail le site semana.com [3].

« Les héros de la Colombie » fêtent leur victoire. Acclamées par les grands journaux, les Forces Spéciales de l’armée colombienne se sentent pousser des lauriers autour des oreilles. « A mes enfants je leur dirait que c’est cette équipe de héros qui a réalisé l’une des opérations les plus importantes du pays (...) je suis fier d’avoir fait l’Histoire » témoigne le major Raul Rodriguez, pilote de l’armée de l’air qui a participé à cette action [4]. Sur la chaîne de télévision Radio Caracol Nacional, annonçant la nouvelle, la journaliste rend à son tour hommage aux soldats : « on a parlé ces derniers mois d’une baisse de morale des forces militaires mais cela démontre une nouvelle fois l’appui et l’amour pour le travail des soldats, des policiers qui au quotidien combattent ces groupes guérilleros » [5].

L’Opération "Odyssée" (du nom d’" Odiseo" ou Ulysse selon la Mythologie grecque) met donc un terme à une « partie de chasse de trois ans » qui a « obsédée » les Forces Armées colombiennes, mobilisant 7.000 hommes pour traquer le chef insurgé [6]. Homme de lettres, "Cano" comme l’appellent ses compatriotes, laisse l’image, malgré de récents appels à la négociation, d’un homme intransigeant qui ne craignait pas la guerre contre Bogota. Hector Riveros Serrato, présent lors de négociations avec la guérilla au début des années 90, dit de lui qu’il était « un communiste convaincu, dans le sens le plus classique du terme. Il identifiait le capitalisme comme la racine de tous les maux et ne doutait pas un instant que le système politique n’était rien d’autre qu’une parodie de la démocratie qui se limitait a générer les conditions favorables aux propriétaires des moyens de production pour qu’ils s’approprient la plus-value que générait le travail. L’Orthodoxie pure. Cette croyance lui donnait le sang froid nécessaire pour percevoir l’enlèvement comme une façon de récupérer pour le peuple ce que les riches s’appropriaient injustement (...) Alfonso Cano était un délirant convaincu » [7].

Dès l’annonce de sa mort les observateurs et les spécialistes du conflit se bousculent pour pronostiquer la fin des FARC, maintes fois annoncée auparavant et ce à chaque victoire militaire de Bogota. Dans un communiqué officiel, la guérilla laisse claire que pour elle ce revers ne signifie pas la fin de son combat : « La seule réalité que symbolise la mort au combat du camarade Alfonso Cano, c’est l’immortelle résistance du peuple colombien qui préfère mourir debout plutôt que vivre à genoux en train de mendier (...) Ce n’est pas la première fois que les opprimés et exploités de Colombie pleurent à l’un de ses dirigeants. Non plus la première fois qu’ils le remplaceront avec courage et confiance absolue dans la victoire. La paix en Colombie ne naîtra pas d’une démobilisation, mais de l’abolition définitive des causes qui donnèrent naissance au soulèvement » [8]. La question est désormais de savoir qui est celui qui succédera à Cano et quelle stratégie envisagera de poursuivre le secrétariat des FARC.

En voyage en Colombie lors du mois d’août, je me suis entretenu avec des militantes du parti communiste, des femmes très âgées m’ayant offert l’occasion d’être témoin de leurs souvenirs de militantisme à travers plus d’un demi siècle d’histoire colombienne. Autour d’une table au siège du parti à Bogota, elles me racontent leurs anecdotes sur ces "camaradas del monte" (camarades des montagnes) qui ont choisi le fusil. Elles parlent d’eux comme une grand-mère parle de son petit-fils, avec beaucoup de tendresse et d’inquiétude, et toujours un peu de fierté. Aujourd’hui, alors que la majorité des médias sabrent le champagne à l’idée d’enterrer au plus vite le « terroriste » je sais qu’elles doivent être tristes. Je sais qu’elles pleurent sûrement Alfonso Cano comme on pleure un fils un peu imprudent et dont on savait à quel avenir lui prédestinaient ses choix.

Loïc Ramirez


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