Il est vrai que ce n’est qu’une monnaie et que sa chute doit être interprétée dans un contexte spécifique, si on souhaite obtenir des conclusions spécifiques, et il est idiot de dire que c’est bon parce que par exemple ceci est bon pour les exportations. (Au passage, aucun média ne parle des actions économiques couvertes par le Traité Transatlantique….).
L’échec de l’euro c’est la fin de l’Europe, dit Merkel qui se montre ainsi prête à tourner le dos à l’Europe et à poursuivre son destin, cette fois selon le drang nach der osten. (Il s’agit de la Pologne, de l’Ukraine et de la Russie dans une certaine mesure). C’est sa pression politique sur une Europe affaiblie par la crise de 2009, dite « crise de l’euro ».
De telles ambitions ne s’affichent jamais clairement, pas en tout cas dans un espace de communication européen où le populisme règne en maître.
A quoi bon se soucier de l’euro quand on ne l’a pas ? C’est la question que les habitants du Sud de l’Europe se posent, prenant conscience que la gestion de leur propre monnaie ne devait pas être confiée à quelqu’un qui n’est Européen que sous certaines conditions. La monnaie unique, asservie de la sorte, a appauvri les pays européens sauf l’Allemagne. Avec l’euro ou sans l’euro, avec l’Europe ou sans l’Europe, l’Allemagne, attelée par le capital international sera toujours gagnante. « Si l’euro me convient je reste, s’il ne me convient pas je m’en vais ». C’est le décodage qui convient pour « lire » Merkel et ses proches quand ils disent « pas d’euro, alors pas d’Europe ». Quiconque pourrait faire pareil, y compris la Grèce.
En Grèce le peuple a compris. Non seulement il a élu un petit parti d’extrême gauche mais il continue à le soutenir pour qu’il soit encore plus fort et encore plus ferme aux négociations avec l’Eurogroupe. Avec le même regard, on décode aussi la position de la Grèce qui est bien claire : Une autre Europe. Ceci vise directement l’Allemagne et ses alliés économiques qui n’acceptent pas qu’un petit pays leur donne des leçons de démocratie et de solidarité européenne. Pourtant, l’Europe, en soutenant un pays oligarchique et fasciste en Ukraine, a montré ses préférences et son vrai visage lorsqu’elle a été sourde aux appels des Grecs.
Si les prêts forcés, ou « aides » comme certains persistent à dire, ont permis aux grandes puissances de poser les verrous nécessaires autour de leurs stratégies économiques, cependant, par le biais de la dette ainsi créée et des difficultés imposées aux pays pour qu’ils puissent s’en défaire, elles empêchent qu’un pays membre quitte l’Europe, retardant ainsi toute déconstruction de l’édifice européen. La dette est le ciment de l’édifice européen et elle sert au maintien des anciennes relations néocoloniales.
La Grèce n’est pas un enjeu pour l’Europe. L’enjeu c’est l’Italie, où la ligue du Nord est malmenée à cause de la crise, et l’Espagne, où le parti d’extrême gauche est en progression. Sans l’Italie l’Europe ressemblera à un paysage économique lunaire, Allemagne comprise.
Punir la Grèce est une priorité, l’humilier, c’est montrer à tous les peuples européens un exemple à ne pas suivre. Tous les qualificatifs sont permis car marquer les esprits jusqu’aux prochaines élections c’est l’objectif à atteindre. Pourquoi ?
L’explication est dans les obligations des uns et des autres. Ce que la Grèce percevra après négociations, il faut le donner aussi aux autres. La Grèce se bat pour tous et tous ceux qui désirent aussi ce qu’elle peut obtenir le demanderont.
Il reste les fractures entre pays du Nord et pays du Sud ; même si elles sont dues à la crise il faut s’en occuper. Le deal pour les uns et de saboter ou retarder toute échéance de redistribution, tandis que pour les autres c’est de demander ces redistributions directement ou par pourcentage de croissance, ce qui nécessiterait un transfert d’activités d’un pays vers un autre en cas de stagnation économique comme celle à laquelle on assiste.
Nous savions que l’Allemagne serait aidée lors de l’établissement des parités à la date de la création de la monnaie unique, mais pas au point de la laisser se comporter en maître, car il y a bien une Europe politique, malgré le fait qu’elle est muselée par son propre fonctionnement, pas au point de plonger les pays du Sud dans une misère économique et sociale, pas au point de supporter les cris injurieux que ces derniers se voient adressés par la vielle garde des médias nationalistes allemands.
Nous savions aussi, cela a été dit, qu’il y aurait de nombreuse mises en garde concernant les inégalités une fois les réformes économiques imposées. Il a été dit alors que l’Europe bienveillante prendrait ses mesures de compensation et de redistribution, en « bon père de famille ». C’est le moment de le prouver !
La décristallisation des modèles économiques nationaux, tantôt progressivement, tantôt brutalement, ont créé les fractures que l’on connaît et aussi les divisions politiques, en modifiant les modèles socio-économiques de chaque pays-membre. Cette décristallisation, conçue à Bruxelles devait uniformiser, rendre cohérent et dynamiser l’espace économique intérieur au profit de tous. Ce ne fut pas le cas, alors qu’on exige des pays comme la Grèce, d’implémenter rapidement des réformes, juste pour que l’Italie et l’Espagne n’en demandent pas autant. On pourrait se poser des questions sur ces urgences car encore une fois, et il est temps d’en prendre conscience, le problème économique européen n’est pas la Grèce car elle ne pèse pas lourd économiquement. La décristallisation par contre, en faisant tomber les barrières, a permis aux grandes entreprises de pénétrer les marchés intérieurs de chacun des pays ainsi déstructurés et de s’y installer. On peut observer les mouvements, achats d’entreprises et de concessions par exemple. Cela a été toléré au nom d’une gestion commune en « bon père de famille » et des ajustements - compensations ou réformes-contre-sauvetage. Hélas nous n’en sommes pas là.
La souffrance qui a suivi, entremêlée avec les cris injurieux des Allemands restera dans l’Histoire de l’Europe aussi forte que celle de juifs en 1938. On s’en souvient de PIGS, et autres qualificatifs, de la mythologie « grecs menteurs » ou « tricheurs, fainéants », etc.
Dans la politologie cela s’appelle hubris, un mot grec qui désigne l’injure, l’arrogance, la suffisance, le mépris, comme un bras d’honneur fait par un joueur de football suite à un but. Par ailleurs ceux qui étaient accusés de hubris étaient sévèrement punis à l’époque de la Grèce antique, alors qu’aujourd’hui le populisme régnant s’en sert pour marquer et détourner les esprits.
Tant que les Allemands avaient à faire à un gouvernement à leur botte cela marchait. Maintenant il faut composer avec Syriza, dont la victoire ne signifie rien d’autre qu’un rejet pur et simple du modèle économique et social proposé par l’Europe et des greffons de pouvoirs qu’elle a essayé d’implanter en envoyant ses technocrates à droite et à gauche, L’Europe qui, in fine, lorsqu’elle n’a rien d’autre à proposer se cache derrière le bouclier « crise ».
La « crise grecque » peut durer, en tout cas c’est parti pour. Tout dépend aussi des politiques de ceux qui ont été à l’origine de l’euro, c’est-à-dire laisser ou non cette monnaie détruire l’Europe, car en vérité c’est de cela qu’il s’agit et non de l’inverse. Les délais qu’ils se sont accordés mutuellement, Eurogroupe et Syriza, n’est qu’un arrêt provisoire des hostilités, pour éviter qu’à la pression subie par la monnaie unique au niveau international soit ajouté le conflit greco-allemand, c’est-à-dire qu’à la pression subie par l’Allemagne pour rester dans l’euro, mais dans des conditions différentes, ne s’ajoute pas le poids de sa relation avec la Grèce. Mauvais moment pour la Grèce de demander ses droits de redistribution et de compensations ? Peut-être, mais dans toute autre configuration elle aurait moins de chance de voir ses requêtes aboutir, d’où les délais que l’Eurogroupe a obtenu, non pour la Grèce mais pour lui-même, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire.
Mais c’est à double tranchant pour Syriza, qui permet aux machines de guerre de communication pro-allemande de continuer entre-temps leur travail d’érosion de son image, comme aussi donner le temps aux divisions s’installent en son sein. C’est ici que le soutien populaire a tout son importance, puisque cette « mauvaise graine grecque » non seulement favorise une révolte européenne par la gauche, ce qui s’oppose à la morale économique propagée depuis 2009, mais favorise les divisions au sein de l’Europe. Au centre de l’enjeu c’est la croissance, une couverture que chacun tire de son côté pas forcément à juste titre. C’est ici que le discours de Syriza est légitimé. On subit, mais il faut compenser. La compensation n’est pas celle de l’aide en forme de prêt remboursable mais des ajustements européens pour booster l’investissement et la croissance comme les traités le dictent bien. Ce n’est pas non plus le chantage de fermeture pour le gouvernement grec de l’accès aux liquidités. D’où les craintes et les scénarios développés qui misent sur une fin de la monnaie unique à la fin de l’été et aussi à la fin de l’Europe telle qu’on la connaît aujourd’hui.
Car, lorsque quelqu’un crie au scandale parce que les Grecs ont élu un gouvernement d’extrême gauche, ou parce qu’on trouve absurdes les requêtes de Syriza, c’est qu’il a été victime de cette propagande, de fondement fasciste, qui a permis à des technocrates de l’économie fictive de faire de la politique à la place des politologues.
Le temps est un enjeu, mais Syriza a le temps car le peuple grec a montré en le soutenant massivement qu’il ferait les sacrifices par pour le compte du système financier européen, mais pour son propre compte, et ceux qui ont des doutes là-dessus devraient se méfier des canaux à travers lesquels ils reçoivent leurs informations. In fine l’Allemagne devrait s’asseoir sur le banc des négociations pour ne pas voir les ¾ de l’Europe se tourner contre elle, lorsqu’ils voient qu’à la place des paiements ils ont droit à des déchéances et des humiliations. L’enjeu pour l’Europe est immense car elle se verra réduire au statut de centre de gestion lorsque chaque pays membre cherchera de nouveau ses politiques souveraines. Pis pour l’intégration……
Le temps est aussi au cœur de l’union monétaire, qui se voit concéder un sursis, mais pour combien de temps sans satisfaction de tous ceux qui souffrent en silence ? C’est sous cet angle qu’il faudrait voir aussi l’intérêt de travailler avec la Russie, d’arrêter de prôner avec dévotion la politique du « containment ». Même les Américains ont changé de politique à l’égard de la Russie…..
Comment laisser les politiques se développer ou y croire quand l’espace public est déjà pourri par une propagande anti-russe ? En tous cas les Grecs sont prêts à tenter l’expérience et travailler plus étroitement avec la Russie (par ailleurs des affinités culturelles existent) ce qui compromettrait l’OTAN, et les stratégies européenne et américaine en Méditerranée.
Enfin, on parle de « labo grec », en tout cas les Grecs se sentent des cobayes, mais quand on y réfléchit, c’est l’Europe entière qui mène des politiques expérimentales et creuse de façon si acharné eau risque de détruire, comme la Grèce, d’autres pays en Europe, et tout ceci pour céder à l’Allemagne le droit à des nouvelles politiques financières et industrielles. C’est pour cette raison qu’Obama a mis en garde l’Allemagne contre une telle éventualité. L’antipathie que les Américains ont mérité en Grèce serait d’autant un levier encore puissant en politique intérieure hellénique. Lorsque la Grèce s’est tourné vers l’Europe, en 1978, ceci fut une voie très mal exploitée par les pays gourmands européens qui ont préféré s’inviter à la fête grecque, par Troïka interposée, plutôt que peser sur les réalités géopolitiques d’un monde qui s’est rétréci sans perdre ses dimensions.
Et nous voilà aujourd’hui dans une éventualité de saisie des biens allemands en Grèce, l’urgence économique le justifie et donne pleine légitimité de s’occuper du peuple lorsque « l’occupant européen » ne respecte même pas les conventions internationales de guerre et d’occupation. Cette similitude je l’ai entendu crier haut et fort, elle s’adressait à l’Allemagne, à la BCE et aux autres sourds qui prétendent nous gouverner. Cela est-il un manque de réalisme ? Beaucoup parmi les « analystes les plus fins » le pensent déjà. N’est-ce pas réaliste de penser que lorsque la BCE, à force de racheter les dettes à coups de 60 Mrds par mois, relancera la croissance ? Certes ! Mais alors, est-ce irréaliste de penser que les pays comme l’Allemagne ou la France auront la part de lion, et que les pays comme la Grèce n’auront qu’une dette croissante juste pour être punis, alors qu’il faut plus de 7 points de croissance pour que la dette grecque soit viable ?
C’est certain que Syriza sait où il va car il est soutenu par des citoyens qui ne sont pas endormis devant leur poste de télévision. A méditer.
Anastase Adonis