Ecuador,te quiero !
2 novembre 2007.
Toussaint à Puerto-Lopez.
Depuis 15 jours il pleut sec, ce n’est plus la garua, mais bien
les inondations du Niño qui sont en avance sur le calendrier, c’est
pour cela que les climatologues l’appellent « La niña ».
La pluie n’a rebuté personne. Devant l’entrée du cimetière quelques
tibias et autres fémurs ont déserté leurs sépultures, chassés par la
pluie hors des caveaux brisés. Une âme pieuse les a recouverts d’un
plastique qui s’agite au vent .Qui viendra les récupérer ?
Tous les habitants sont là entourant leurs chers défunts. Assis sur
des minis bancs, abrités sous les parapluies multicolores devant les
caveaux tout chaulés de neuf et posés symétriquement sur 4
ou et 5 niveaux, les inscriptions soigneusement repassées en noir
comme autant de devoirs scolaires sur pages non lignées, et tous
surabondamment fleuris. L’ambiance est chaleureuse.
On pique-nique en famille. Les plus beaux morceaux de poulets, les
crevettes les plus belles resteront sur place pour que cette nuit
défunts et malheureux du village puissent gueuletonner l’âme en paix.
Les mariachis, guitares en bandoulières proposent leurs
« de Profondis por madres y padres ». Les petits vendeurs
de bougies ne font pas fortune, la pluie et le vent éteignant trop
vite les petites flammes. Les petites filles proposent leurs
dizaines d’ « Ave Maria. ». En vil mercanti je leur demande si
le commerce marche. Non, pas bien, le territoire qu’on leur a
assigné est trop petit et en plus c’est le carré des pauvres.
Et puis le curé a ratissé large toute la semaine avec sa grande barbe
noire et ses grands habits qui le font paraître à Jésus-Christ. Elles me
montrent leurs gains. Trois dollars et demi ; « por ayudar a mi mama
cuidar los hermanitos ».=Pour aider maman à élever les petits frères
me dit la plus grande, 10 ans tout au plus. L’autre a trois dollars en
piécettes de un et de 5 centavos : c’est pour acheter une paire de chaussures.
Effectivement, ça urge, il y a encore beaucoup à prier pour en avoir
une paire à la prochaine fiesta de la Merced. Je leur achète tout un
chapelet pour améliorer la recette,- mais je précise en plaisantant- : « pas
des dizaines de neuf". Elles me regardent interdites sans trop
comprendre. J’explique, honteux de moi. « Por cierto, no vamos
engañar a la Virgen ! » répondent-elles les yeux pleins de reproches.
Il faut vraiment être vicieux comme un gringo pour avoir de tels soupçons.
Face aux tombes les Ave sont murmurés allégro pronto sur un ton de rap.
. Pour sûr que là -haut on va abréger le purgatoire d’un paquet
d’ancêtres, pécheurs repentis. En quittant le cimetière, je les vois en train de
sucer tour à tour le même frisko. Elles ont écorné légèrement le capital.
Pas rancunières pour un sou elles m’offrent leurs plus beaux sourires.
Y a pas à dire, les morts à Puerto- Lopez ont encore de beaux jours à vivre.
Alléluia !