La tentative de coup de force du président du parlement vénézuélien et de ses alliés continentaux a ravivé les tensions dans le pays latino-américain. Pour nombre d’observateurs, la non-reconnaissance du président, Nicolas Maduro, tant par l’opposition que par la plupart des Etats de la région ferme de facto la porte à un dialogue national de sortie de crise. Une polarisation sans fin qui pourrait entraîner le pays vers la guerre civile, craint le juriste étasunien Alfred de Zayas, dernier expert des Nations Unies à avoir visité le Venezuela, en 2017.
Si le professeur de droit à la longue carrière onusienne n’est pas tendre avec la manœuvre de l’autoproclamé président Juan Guaido, il est encore plus sévère avec son propre pays. Interview.
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Comment avez-vous réagi à l’autoproclamation de Juan Guaido et à sa reconnaissance par de nombreux pays, dont les Etats-Unis ?
Alfred de Zayas : Nous assistons à une rébellion contre le droit international et contre le principe démocratique. Il est incroyable que les Etats-Unis s’arrogent le droit de dire aux Vénézuéliens qui doit être leur président ! Il n’y a rien de moins démocratique qu’un coup d’Etat [en français] ! Ou de boycotter des élections. Pourquoi l’opposition l’a-t-elle fait ? Parce qu’elle se savait trop divisée pour les gagner.
L’opposition avait pourtant remporté les législatives en 2015 mais le parlement a été suspendu. N’y a-t-il pas un vrai conflit de légitimité entre le parlement, dont Juan Guaido est le président, et le chef de l’Etat, Nicolas Maduro ?
Dans tous les Etats de droit, il y a une séparation des pouvoirs. Le parlement est « suspendu » car il a outrepassé ses compétences et désobéi au Tribunal suprême. Le législatif avait accepté que prêtent serment trois députés [sur 167] dont l’élection avait été invalidée par la justice pour fraude. Si la majorité qui tient le parlement avait voulu – ou voulait enfin – revenir sur ces assermentations, la suspension n’aurait pas lieu d’être. Mais dès le départ, l’objectif avoué était de faire tomber le président. Les parlementaires s’étaient explicitement donnés six mois pour y parvenir. Et comme, selon la Constitution, cette prérogative ne leur appartient pas, ils ont misé sur l’agitation de rue et la dénonciation de la prétendue « dictature ».
La stratégie était concertée avec les Etats-Unis. Cela a été patent lorsque – après deux ans de pourparlers avec le gouvernement – le leader de l’opposition, Julio Borges à l’époque, a soudainement refusé de signer l’accord de conciliation obtenu sous l’égide de l’ex-premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero. Les sanctions étasuniennes – interdites par le droit international – vont dans le même sens : susciter la confrontation.
L’ingérence des Etats-Unis dans les affaires du Venezuela me fait penser à la campagne de 2002-2003 contre l’Irak. Pendant des mois des fake news sur des armes de destruction massive avaient préparé l’opinion à un changement de régime en Irak. Ce fut une « révolution » contre le droit international, avec l’appui des quarante-trois Etats de la coalition ! Les Américains se voient comme des missionnaires de la démocratie. Chaque fois, ils sont très étonnés de ne pas être reçus comme des héros…
Le Venezuela est-il une démocratie ?
Depuis qu’Hugo Chávez a été élu, il y a eu 25 scrutins nationaux démocratiques, ouverts et fiables. Le système électoral vénézuélien est bien supérieur à celui de la plupart des pays ! Jimmy Carter, dont la fondation a observé plusieurs scrutins, l’a reconnu, estimant infime le risque de fraude.
La réélection de Maduro est pourtant très contestée.
A tort ! Le système est demeuré celui que M. Carter qualifiait de « meilleur du monde ». Mais l’opposition l’a boycotté.
L’opposition pointe l’absence d’observateurs internationaux.
C’est un mensonge. Il y a eu des observateurs, j’ai moi-même été invité mais j’ai décliné, je ne travaille pas pour le compte de gouvernements, uniquement sur mandat de l’ONU. D’autres, comme les observateurs du CEELA [Consejo de Expertos Electorales de América Latina, composé d’ex-magistrats de tribunaux électoraux], y sont allés. Par ailleurs, il faut rappeler que ce sont les Européens qui ont décliné l’invitation à venir observer. Il faut une sacrée dose de mauvaise fois pour ensuite regretter cette absence d’observation étrangère ! Même chose avec l’argument de l’abstention. Malgré l’appel au boycott d’une partie de l’opposition, avec près de 67,84% des voix et 46,1% de participation, Maduro a obtenu davantage que le président français (1) qui aujourd’hui parle d’une « élection illégitime ».
Et la répression des opposants dénoncée par des ONG ?
Les leaders de l’opposition arrêtés sont surtout ceux qui ont appelé ou ont été mêlés à la violence. Je connais cette situation. J’ai moi-même intercédé auprès du gouvernement, afin qu’il libère certains prisonniers. Ce qui fut fait au-delà de mes espérances. Cela dit, mon mandat ne couvrait pas les détentions arbitraires, mais « l’ordre international démocratique et équitable ».
La liberté d’expression est largement respectée au Venezuela. Il suffit de lire les journaux ! El Nacional et El Universal sont très critiques envers le gouvernement. De plus, le pays compte 336 chaînes TV et radio, dont 198 privées et 44 communautaires. S’il est clair que le gouvernement, qui compte plus d’idéologues que de technocrates, a fait d’énormes erreurs, je peux vous assurer que les médias ont beaucoup de latitude pour exagérer quotidiennement son incompétence !
Comment sort-on de cette crise ?
Il faut dialoguer. Il n’y a pas d’autre issue. Il y a, au Venezuela, 6 à 7 millions de personnes fidèles au « chavisme ». Vous pouvez renverser le gouvernement mais pas les faire disparaître. Elles ne rentreront pas chez elles sans se battre. Un coup d’Etat c’est prendre le risque d’une guerre civile !
L’ONU peut-elle encore jouer un rôle de médiation ?
Le comportement de Zeid Ra’ad Al-Hussein [ex-haut-commissaire aux droits humains] a été problématique. Il a écrit des rapports sans aucun mandat. Des travaux réalisés avec un manque de professionnalisme. Il a ainsi « omis » de faire référence aux violences commises par des manifestants, qui avaient pourtant été documentées.
Désormais, Michelle Bachelet a reçu mission formelle du Conseil des droits humains de travailler sur le Venezuela. Et le secrétaire général, Antonio Guterres, a appelé au dialogue pour éviter la catastrophe. J’ai moi-même demandé à Mme Bachelet d’appuyer cet élan de médiation.
Benito PEREZ
(1) Au 1er tour, Emmanuel Macron avait obtenu 24% des suffrages avec une participation de 77%.
Entre les deux fronts, l’ONU appelle au dialogue
Vingt-quatre heures après l’autoproclamation de Juan Guaido « président par intérim » du Venezuela et sa reconnaissance par les Etats-Unis, le chef de l’Etat, Nicolas Maduro, a reçu jeudi un appui sans ambiguïté de ses alliés internationaux ainsi que de l’armée et de la Cour suprême. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guttieres, a de son côté défendu le dialogue pour sortir de la crise.
Le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino, a dénoncé lors d’une conférence de presse, où il est apparu entouré de tout le haut commandement militaire, un « coup d’Etat » de la part du jeune président du parlement. « Loyaux toujours, traîtres jamais », ont lancé certains généraux devant les caméras. Lundi, une brève tentative de soulèvement d’un groupe de militaires avait été rapidement réprimée.
Nicolas Maduro a également pu compter sur ses alliés russe et chinois, qui ont dénoncé les « ingérences extérieures » qui mènent le Venezuela « vers l’arbitraire et le bain de sang ». Vladimir Poutine a exprimé son « soutien » à M. Maduro dans un entretien téléphonique. Cuba, le Mexique, la Bolivie et l’Uruguay ont eux aussi réitéré leur appui au président élu en mai 2018.
Au sein de l’UE, Londres et Paris ont en revanche marqué leur soutien au coup de force tenté par Juan Guaido, tandis que Madrid demeurait plus vague, appelant seulement à des « élections libres ».
Selon un décompte de l’AFP, une cinquantaine de pays – principalement américains – considèrent comme « illégitime » le deuxième mandat de Nicolas Maduro, investi le 10 janvier, estimant que les élections de mai dernier, boycottées par une partie de l’opposition et à l’issue desquelles il a été réélu, n’ont pas été transparentes.
L’aggravation de la crise politique intervient alors que le pays traverse d’importantes difficultés économiques dues principalement à l’hyperinflation, à la chute des revenus pétroliers et aux sanctions économiques, notamment étasuniennes. Mardi et mercredi des émeutes ont fait entre 13 et 16 victimes, selon des organisations de défense des droits humains. BPZ/ATS
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