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Jade Goody, celle qui a vaincu la mort

Au fil d’une agonie surmédiatisée, une majorité de Britanniques, Gordon Brown en tête, se sont pris de compassion pour le calvaire de cette fille d’un délinquant mort d’une surdose et d’une femme elle même droguée. Élevée dans un quartier déshérité du sud-est de Londres, Jade Goody a forcé les chaînes de sa condition en se jetant en 2002, la tête la première, dans la version britannique de Loft Story. Cinq ans plus tard, elle avait défrayé la chronique jusqu’en Inde en participant à un nouveau "Big Brother" réservé aux célébrités. La jeune femme, fière de son inculture et de sa vulgarité, avait tenu des propos racistes envers l’actrice indienne Shilpa Shetty provoquant un tollé en Inde comme au Royaume-Uni. Sa vie bascule à l’été 2008, lorsque la même Shilpa Shetty, après des réconciliations, l’invite à participer à "Big Boss", version indienne du Big Brother britannique. Jade Goody apprend en pleine émission qu’elle souffre d’un cancer de l’utérus. Sachant sa mort proche, elle a décidé de mettre en scène sa propre agonie contre un million de livres... pour ses enfants. Toutes les réactions et les émotions qu’a suscité ce drame ne peuvent voiler un fait tragiquement objectif, celui de la disparition, à la fleur de l’age, d’une personne, une de plus, emportée par le cancer.

Toutefois, la mort spectacle remet encore une fois sur le tapis le débat autour de la télé-réalité. La posttélévision semble atteindre un degré d’exhibitionnisme jamais atteint auparavant. Pour mieux cerner ce phénomène, des intellectuels ont depuis plusieurs années avancé différentes thèses expliquant son apparition et ses implications.

Pour Umberto Eco, la télévision est passée par trois étapes. La première est l’archéo-télévision ou télévision podium d’avant les années 1980. A cette époque, seuls les champions, les stars, les intellectuels de renom, les grands hommes politiques avaient droit au petit écran. Il fallait avoir d’importants mérites pour y accéder. Après 1980, avec la multiplication des jeux et des émissions de plateau, un public ordinaire allait progressivement envahir l’écran et devenir le héros éphémère d’une émission comme « Qui veut gagner des millions ? » ou « Ca se discute ». C’était la télévision miroir, reflet du réel. Le monde va ensuite assister à la naissance de la posttélévision avec l’apparition de « Big Brother » et la prolifération de tous ses clones tel que « Loft Story ». Dans ce type d’émission, l’homme ordinaire devient acteur d’une série télévisée, d’une "réalité-fiction" filmée.

Lorsqu’on regarde de près cette évolution, on constate qu’à l’époque de l’archéo-télévision l’écran fonctionnait comme un mur épais transparent séparant le spectateur du spectacle, tranchant entre l’ordinaire et l’extraordinaire car, à l’instar d’un conte, c’est derrière l’écran que se situe l’espace héroïque, domaine réservé des demi-dieux. De l’autre coté de l’écran, l’être ordinaire prisonnier de la médiocrité de son espace social, se projette, plus ou moins désabusé, dans cet univers onirique fait de stars en paillettes et de champions de toutes sortes, philosophes, politiques, sportifs etc...

Mais comme une illusion en vaut bien une autre, l’homme ordinaire, désillusionné, crachant à la figure de ces marchands de rêves, de ces anti-héros, finit par fracasser le mur de verre pour mettre à la place un beau miroir que rien n’entache...

Ce qui fascine le spectateur dans des émissions comme « Loft Story » c’est le fait de retrouver dans les personnages le reflets de son propre être. Pour la première fois, il se sent libéré du joug des êtres exceptionnels, de la domination de l’élite.

L’identification des spectateurs aux personnages est totale puisque ces derniers forment leurs doubles parfaits, leurs clones. D’un autre coté, l’interactivité dote en quelque sorte le spectateur d’un pouvoir démiurgique puisque c’est grâce à son vote que le héros de la série est élu. Le téléspectateur a le sentiment de participer, d’accompagner l’ascension fulgurante de son héros. Toute distance est abolie, imaginaire et réel, personnage et téléspectateur semblent se confondre pour ne plus former qu’un seul et même être grisé par sa course folle vers la réussite,..

Mais cette révolution médiatique qui a permis à la "plèbe" d’investir l’espace réservé télévisuel va s’avérer une pure supercherie. Dans cet univers néo libéral où tous les projets de société sont morts de leur belle mort, où l’homme est réduit à son individualité la plus restreinte, la plus instinctive, les médias s’offrent à lui comme une métaphore de l’idéologie dominante. Enivré par son identification au héros, le téléspectateur ne s’aperçoit pas que l’espace carcéral du loft est le reflet de son espace social asphyxiant et qu’il n y a d’autres horizons pour les protagonistes que la luttes fratricide où tous les coups bas sont permis pourvu qu’on réussisse. Dans un monde dénué de toute valeur authentique, le seul moteur de l’action reste l’incontournable valeur marchande. Face à une existence terne et sans perspectives, l’individu est ébloui par l’illusion de la réussite facile, démocratique, offerte à tout un chacun sans discrimination aucune. Il faut dire que la mutation des médias y est pour quelque chose. Ces médias qui à un certain moment ont formé un contre-pouvoir constituent aujourd’hui pour la plupart le quatrième pilier de la gangrène ploutocratique. En parallèle à la désinformation, ces empires médiatique s’ingénient à susurrer des rêves mensongers dans le but de voiler les injustices sociales.

Dans ces émissions du type "loft story", l’homme de la rue, ayant chassé l’intellectuel à la langue de bois, se trouve lui-même piégé, devenant un instrument encore plus efficace servant à l’entretien du masque idéologique. Dans le "loft", tous les ingrédient de la démocratie libérale s’y retrouvent : égalité des chances pour les candidats, transparence, vote démocratique, tout ceci au service de la sacro-sainte concurrence ! Sauf qu’on oublie qu’on est dans un univers fictionnel dont la fonction première consiste à déguiser une réalité socio-économique abjecte où la seule règle qui prévaut est la loi de la jungle.

Un jour, le loft, cette boite à illusions, s’est trouvé brutalement investi par un intrus, ô combien inattendu : le cancer. L’ombre hideuse de la mort vient taquiner cette belle mécanique de la réussite au risque de la gripper. La mort si occultée s’installe avec fracas sous les projecteurs comme pour nous rappeler notre dimension tragique, une dimension à laquelle l’homme moderne n’a plus de réponse. Mais c’est compter sans les capacités adaptatives du système qui en un tour de main a su transformer le tragique en dramatique. La mort est récupérée à son tour, tout comme l’ont été l’intellectuel et l’homme ordinaire. Comme par magie, elle s’est métamorphosée en vulgaire candidate et se retrouve face à Jade Goody finaliste d’un super « Big Brother » jamais réalisé ! La mécanique s’est remise en marche ! Qui diable l’emportera parmi ces deux super-finalistes ?!

Une fois encore, Jade usera de tout son "charme" pour influencer les téléspectateurs. Elle baptise ses deux enfants et fête son mariage en grande pompe : robe blanche de mariée, visage rayonnant... mais s’interdit de mettre une perruque... façon de narguer sa rivale. Tout ce cérémonial n’est en fait qu’un rituel funéraire. Ses funérailles, planifiées par la jeune femme elle-même, devraient donner la mesure du « phénomène Goody ». Parlant de ses obsèques, elle dit : « Je veux que ce soit une grande occasion parce que ce sera mon dernier adieu à tout le monde ». Jade Goody refuse de succomber à la fatalité, elle impose son point de vue à cet ennemi invisible, va vers lui les yeux dans les yeux et franchit le rubicon presque en liesse.

Jade Goody a vaincu la mort !.

Une illusion de plus...

La mort a été récupérée pour jouer le rôle d’ un acteur inéluctablement perdant dans cette mythologie de la réussite. Ce jeu n’est en réalité qu’une métaphore soulignant une fois de plus le déni de la mort caractérisant la modernité.

Cependant, si on sort Jade Goody du contexte de « Big Brother » et qu’on analyse son rapport intime à la mort on retrouve dans son attitude ce que beaucoup de chercheurs appellent « le retour du tragique dans la société postmoderne ». La sagesse tragique considère la contradiction entre le désir (la vie) et le manque (la mort) comme marque d’un destin inaltérable auquel on ne peut que se soumettre. Le mythe vient combler ce manque que nous impose la mort. Ce qui caractérise le tragique postmoderne c’est son éloignement des mythes religieux traditionnels, comme les trois religions monothéistes et sa tendance à s’inventer des mythes personnels. Tout ce cérémonial, toutes ces fêtes à la veille de la mort de Jade Goody ne sont qu’un rituel, son rituel, marquant son passage de la vie vers l’au-delà .

Fethi GHARBI

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