Des amis lecteurs m’ont interrogé sur "l’affaire des missiles antiaériens russes" , les fameux S-300, par rapport aux déclarations contradictoires depuis des mois sur ce sujet, la récente décision du président russe sous forme d’un décret interdisant leur livraison à l’Iran, et mon texte évoquant ce point dans Iran : War Games et Sinuosités Stratégiques.
Ce présent billet n’est donc qu’un additif au précédent abordant ce contexte.
Il y a, effectivement, de quoi y perdre le nord, si on se laisse balloter entre propos, applaudissements ou récriminations, des uns et des autres. Réels ou simulés. Comme autant de lapins sortant du chapeau des illusionnistes.
Une clé de compréhension à ne jamais perdre : lorsque "diplomatie" et "vente d’armes" sont imbriquées, tout particulièrement dans un environnement hautement conflictuel, nous sommes dans le "poker menteur" .
Raison de plus de maintenir le cap, dans ce tourbillon de vents contraires, en s’alignant sur quelques "balises" bien ancrées. En l’état actuel de mes « certitudes télépathiques », j’en recense quatre…
1. Le président russe vient de signer un décret interdisant, notamment, la vente d’armes à l’Iran, suivant la liste établie dans la résolution 1929 de l’ONU. (1) Rien de plus normal. Tous les membres de l’ONU sont tenus d’effectuer, du moins au niveau de leurs textes officiels, une reprise de cette forme de résolution. Même Turquie et Brésil, qui ont voté contre cette résolution, ont publié leur propre décret.
Car, les résolutions de l’ONU doivent être instantanément et obligatoirement exécutées par tous ses membres.
Quoique, notons-le au passage : exceptées celles s’appliquant à la Palestine. Certaines n’ont pas reçu un commencement de mise en oeuvre depuis plus de 60 ans. Mais, c’est un autre sujet…
Seule innovation, dans ce décret d’application de la résolution 1929 de l’ONU : la Russie a spécifié, dans l’embargo, la livraison des missiles de défense antiaérienne S-300. Lesquels, à priori, ne relèvent pas de la résolution de l’ONU puisqu’il s’agit d’un armement « défensif ».
C’est, donc, le seul point de ce décret qui soulève question : qu’en est-il de la livraison des S-300 ?... Nous sommes dans le « To be or not to be » shakespearien…
Rappelons que les S-300 sont actuellement les meilleurs missiles antiaériens de longue portée opérationnels dans le monde (2). Ils peuvent, en effet, atteindre un objectif volant à 150 km de distance, aussi bien à quelques mètres du sol qu’à près de 30.000 mètres d’altitude. Super efficaces, les missiles de croisière n’ont aucune chance. Surtout : à l’épreuve des brouillages ou contre-mesures électroniques.
Ce qui chagrine fort, on les comprend, les traîneurs de sabre occidentaux habitués à massacrer des peuples sans défense.
2. Pour que l’annulation par la Russie de la commande des 5 batteries de S-300 commandées et payées par l’Iran, dans un contrat liant les deux parties, ait un "commencement" de crédibilité, il est impératif que cette affirmation soit immédiatement complétée d’un deuxième terme, dans le genre :
« En conséquence, la Banque Centrale Russe a crédité la Banque Centrale Iranienne du montant de la commande de 1 milliard de dollars US versé, par l’Iran, en 2007. Augmenté des intérêts sur les sommes conservées depuis, auxquels s’ajoutent les 400 millions de dollars US de dédommagement pour rupture unilatérale de contrat d’une des parties, conformément aux clauses de celui-ci. »
Virements de fonds et indemnités étant en retour, évidemment, confirmés par le gouvernement Iranien.
Et, encore… Ce ne serait qu’une amorce de crédibilité…
3. En l’absence de pareilles décisions et actions, preuves à l’appui, ces déclarations ne sont, on le perçoit aisément, que du "courant d’air" . N’en déplaise aux jubilations de la propagande iranophobe…
Et, pour cause :
i) Au-delà de toute considération humanitaire, Russie et Chine, ainsi que beaucoup d’autres pays, ne tiennent, pour des raisons autant géopolitiques qu’économiques, ni à une destruction de l’Iran, ni à son appropriation par les occidentaux. C’est clair, incontournable, non négociable.
ii) Les livraisons, et la formation des techniciens Iraniens, ont commencé dès 2008, d’après les propres déclarations officielles des autorités et des fabricants russes de l’époque.
L’ensemble des matériels et véhicules mobiles au sol (radars, postes d’acquisition de cibles, postes de conduites et coordinations des tirs, alimentation électrique, maintenance, etc.) avait été intégralement livré bien avant les sanctions. Restait l’achèvement de la livraison des missiles eux-mêmes (48 par batteries) qui, progressivement, a été effectué.
iii) La Russie a pris du retard dans l’application du décret, par rapport aux pays membres de l’ONU, même par rapport à ceux qui avaient voté contre. A malin, malin et demi : le temps de terminer la livraison, dont le maximum de pièces détachées et autres composants, avant de fermer "officiellement" (car "officieusement" …) le robinet.
iv) Il est certain que la Russie ne vendra pas de batteries supplémentaires comme le souhaitait l’Iran. Les Iraniens avaient anticipé un triplement de ce parc de missiles à longue portée, du fait que les premières salves, massives, en cas d’attaque, seront essentiellement des missiles de croisière.
Bien qu’ils soient largement pourvus de missiles antiaériens de moyenne portée, les redoutables Tor-M1 (29 batteries livrées par les Russes). Auxquels l’Iran a rajouté ses propres fabrications équivalentes, tels les "Mersad" et "Mesbah" .
Ni vendre la nouvelle génération, les S-400, deux fois plus performants en vitesse, en distance et en nombre de cibles traitées. Matériel dont les forces russes commencent, à peine, à être équipées.
Mais, l’Iran est parfaitement en mesure de produire des S-300, ou leur équivalent, en les clonant et, même, en les améliorant. Comme il l’a déjà réalisé pour d’autres types de missiles. Sous une appellation "iranisée" . Ce qui convient parfaitement aux Russes, ne pouvant ainsi pas être accusés, en cas de conflit, d’avoir équipé "directement" des adversaires de l’Occident, avec un équipement surclassant les siens.
4. Pourquoi cette déclaration bidon ?... Pour complaire aux occidentaux ?... Même pas. Les Russes n’en sont pas réduits à cette extrémité. D’autant plus qu’ils sont très intéressés par les perspectives de contrats avec l’Iran, en priorité par son programme à long terme de construction de 18 centrales nucléaires pour assurer sa production électrique. Ce jeu de dupes, sur la scène internationale, présente un double avantage, autant pour les Russes que pour les Iraniens.
i) Dans un premier temps, il constitue un "capital de négociation" de valeur pour les Russes face aux occidentaux. D’échange. Par exemple : freiner le surarmement de la Géorgie, pays ultracorrompu et agent déstabilisateur de l’Occident dans le Caucase. Donnant-donnant…
ii) A présent, cet écran de fumée en coopération avec le gouvernement Iranien, sert à couper l’herbe sous les pieds des « ziocons » et de leurs satellites occidentaux, qui font un tir de barrage contre la livraison, par la Russie, à la Syrie, des missiles de croisière antinavires : les foudroyants et imparables Iakhont d’une porté de 300 kilomètres. (3)
Les occidentaux après avoir refusé que la Russie équipe l’Iran en matériel défensif, ne peuvent encore maintenir une interdiction identique à l’égard de la Syrie. On ne peut refuser à tous les pays du Moyen-Orient de s’équiper pour se défendre ! Et, interdire à la Russie de vendre son matériel, alors que les USA, ou autres "auxiliaires", sont en train de signer des milliards de dollars de contrats d’armement avec les pays voisins…
iii) Cerise sur le gâteau : L’Iran de son côté, vis-à -vis de ses agresseurs, se ménage un puissant effet de surprise ou d’incertitude, suivant l’angle de perception. Facteur essentiel, tant sur le plan tactique que psychologique.
Comme au Liban, en juillet 2006, quand les soi-disant chars invincibles Merkava (à plus de US $ 5 millions / pièce) se sont trouvés face aux missiles antichars russes Kornet. Les tankistes israéliens se prenant une raclée mémorable. Il est vrai qu’ils s’attendaient, à leur habitude, à confronter des combattants réduits à utiliser des bouteilles incendiaires.
Mais, ne suis-je pas en train de sortir des lapins de mon chapeau ?...…
Georges Stanechy
http://stanechy.over-blog.com/