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Interview de Gerardo Hernández, leader des Cinq Cubains prisonniers aux Etats-Unis, infiltré dans Alpha 66. (2ème partie)

Landau : Avez-vous connu certains d’entre eux personnellement, que vous considérez comme des terroristes ?

Hernández : Non, j’en ai vu certains, mais je n’ai eu aucun contact avec eux. Certains parmi nous [des Cinq] ont été accusés d’être des agents illégaux. Moi, j’avais une fausse identité. Je m’appelais Manuel Viramonte. Je rassemblais les renseignements que les autres agents, qui avaient conservé leur propre identité, me fournissaient, comme c’était le cas de René González. Lui, il avait volé un avion de Cuba. De cette manière, quiconque peut être assuré de gagner la confiance de l’organisation et s’en rapprocher. Ce qui n’était pas mon cas, car je n’avais aucun antécédent. Ma mission consistait à recueillir les renseignements que les autres me fournissaient et les envoyer à Cuba.

Landau : Vous avez travaillé officiellement comme dessinateur graphique, n’est-ce-pas ?

Hernández : J’étais ce qu’on appelle un travailleur indépendant. Du moins, c’est ce qui me servait de couverture. J’ai fait quelques illustrations pour un journal mais seulement pour sauver les apparences.

Landau : Donc, tu contrôlais ceux qui avaient infiltré les groupes terroristes ? Expliquez-nous comment cela se passait ?

Hernández : Cela ne paraît pas très judicieux de donner trop de détails, vous ne croyez pas ? Dans les minutes du procès, apparaissent les preuves que nous avions des agents infiltrés dans ces organisations. Leur mission était de protéger Cuba en obtenant, à l’avance, de nombreuses informations concernant les plans [terroristes] de ces organisations, puis de prévenir Cuba.

Par exemple, René était dans Hermanos al Rescate et il cherchait des renseignements. Il a entendu Basulto faire un commentaire sur le fait qu’ils possédaient une arme prête à être essayée sur des cibles dans les Everglades. Ils les ont essayées et elles fonctionnaient bien. Leur plan était de trouver un endroit à Cuba pour s’en servir. René m’informait par un système de communication établi préalablement, disons un beeper. J’écoutais son message, nous convenions d’un rendez-vous, également en message codé. Nous nous rencontrions après avoir pris des précautions et il me disait : « Voilà ce qui se passe : ils essaient une arme qu’ils veulent introduire à Cuba ». Ou bien : « Alfa 66 prépare une expédition ; ils veulent s’approcher pour mitrailler la côte cubaine » . Ou : « ils prévoient de placer une bombe dans un avion qui voyage de l’Amérique centrale à Cuba pour nuire au tourisme ». Je n’invente rien. Je leur donnais ensuite des instructions pour trouver plus de renseignements sans prendre de risques superflus. Puis, j’envoyais les informations à Cuba et Cuba me répondait : il faut faire ceci, ou cela chercher des informations par telle ou telle voie. C’était globalement mon travail.

Landau : Expliquez-nous ce que s’est passé le jour où le FBI vous a arrêté ?

Hernández : C’était un samedi [ le 12 septembre 1998]. Je dormais ; il était aux alentours de 6h du matin. Je vivais dans un petit appartement, d’une pièce, dans un immeuble. Mon lit était près de la porte et je me souviens d’avoir entendu, dans mon sommeil, que quelqu’un essayait de forcer la serrure. J’ai eu à peine le temps de réagir car j’ai entendu le bruit énorme de la porte qu’ils avaient défoncée. C’était un groupe d’assaut. Je n’ai pas eu le temps de m’asseoir sur le lit ; j’étais entouré par des hommes casqués, armés de mitraillettes, comme dans un film. Ils m’ont arrêté, ils m’ont soulevé du lit, ils m’ont mis les menottes puis ils ont inspecté ma bouche. Je suppose qu’ils avaient vu beaucoup de films de James Bond et qu’ils pensaient que je pouvais y cacher du cyanure. C’est pourquoi ils ont vérifié pour s’assurer que je n’allais pas m’empoisonner. Je leur ai demandé pourquoi ils m’arrêtaient et ils m’ont répondu : « Tu sais pourquoi ». Ils m’ont fait monter dans une voiture et m’ont emmené au bureau du FBI du sud de la Floride, situé dans l’avenue 163, à Miami. Là , ils ont commencé les interrogatoires. Mais l’arrestation s’est passée comme je vous le raconte.

Landau : Et ils t’ont mis dans la « cage » ?

Hernández : Au bureau du FBI, chacun de nous a été placé dans des bureaux différents. Moi, il m’ont assis menotté au mur. Là , ils m’ont interrogé. J’ai eu l’« honneur » d’avoir la visite d’Hector Pesquera. C’était le directeur de la section du FBI dans le sud de la Floride. C’est un portoricain. Moi aussi, j’étais portoricain, d’après ma fausse identité : Manuel Viramonte. Je lui ai dit que j’étais de Porto Rico ; alors commencé à me poser des questions sur Porto Rico. Toutes sortes de questions. Qui était le gouverneur cette année ? Où tu vivais ? Quel autobus tu prenais pour aller à l’école ? par quelle route tu passais ? Et quand il a vu que je pouvais répondre à ses questions, il s’est vraiment mis en colère. Il a donné un coup de poing sur la table et il a dit : « Je sais que tu es cubain et tu vas pourrir en prison parce que Cuba ne va rien faire pour toi ». Si bien que, non seulement lui en particulier, mais les autres qui faisaient partie du groupe, ont commencé à me faire toutes sortes de propositions. Ils me disaient : « Tu sais comment ça marche. Tu sais que tu es un agent illégal et tu sais ce que dit le livre : que Cuba ne reconnaîtra jamais qu’elle t’a envoyé ici avec un faux passeport. Cuba ne pourra pas faire cela, et donc tu vas pourrir en prison. Ce que tu as de mieux à faire, c’est de coopérer avec nous et nous te donnerons tout ce que tu veux. Nous changerons ton identité, nous te donnerons un compte bancaire… ». N’importe quoi pourvu qu’on trahisse ! Ils me disaient : Voilà le téléphone. Appelle ton Consul ». Toutes sortes de stratégies pour me faire céder. Ils ont fait la même chose, séparément, avec les Cinq. Ensuite, ils nous ont emmenés à la prison, au Centre fédéral de détention à Miami, et ils nous ont mis dans « le trou ».

Landau : Pendant combien de temps ?

Hernández : 17 mois. Les cinq premiers ont été très durs pour les Cinq, évidemment. Ceux qui avaient une fausse identité n’avaient personne à qui écrire, ni personne qui leur écrivait ; personne à qui téléphoner. Parfois, nous avions droit à un appel téléphonique ; le gardien ouvrait le guichet de la porte et y posait le téléphone. « Tu ne vas pas appeler ? Pas même ta famille à Porto Rico ? »

Je répondais : « Non, je ne vais pas appeler ».« Mais, pourquoi tu n’appelles pas ? , il insistait pour me mortifier, car il savait que je n’étais pas portoricain et que je n’allais pas utiliser le téléphone. Ces mois ont été difficiles.

Landau : Décris le « trou ».

Hernández : Il s’agit d’une zone qui existe dans toutes les prisons, où on place les prisonniers pour des raisons disciplinaires ou de sécurité, s’ils ne peuvent pas être avec les autres prisonniers. A Miami, c’était un étage. Le douzième. Ce sont des cellules pour deux personnes, mais nous étions seul dans la nôtre, pendant les six premiers mois - sans aucun contact -. Ensuite, nos avocats ont fait appliquer des mesures légales pour que nous puissions être par deux. Pendant ces six premiers mois nous sommes restés « en isolement » ; nous avions une petite douche dans la cellule pour faire notre toilette quand on voulait. Mais la cellule est toute mouillée quand tu prends une douche. Là , tu restais 23 heures par jour, et pendant l’heure restante « de promenade », ils nous emmenaient ailleurs. A Miami, c’était seulement une cellule différente, un peu plus grande, avec une grille qui laissait voir un petit bout de ciel. Tu pouvais savoir s’il faisait jour ou nuit, et il arrivait un peu d’air frais. C’est ce qu’ils appelaient « promenade ». Mais, nous n’y allions pas souvent parce que cela leur prenait beaucoup de temps de passer les menottes, nous fouiller à corps, fouiller la cellule, nous emmener et nous ramener. Parfois, ils nous laissaient tous ensemble dans la cellule si bien que pendant cette heure nous pouvions parler. Le régime était très strict. Il l’utilise pour discipliner les prisonniers qui commettent de graves indisciplines. Là , nous restions 23 heures, et parfois 24 heures, entre ces quatre petits murs, sans n’avoir rien à faire. Humainement, c’est très dur. Beaucoup ne pouvaient pas le supporter. Tu pouvais voir comment ils commençaient à devenir fou, à pousser des hurlements.

Lando : Tu as fais quelque chose de mal ?

Hernández : Nous y sommes allés dès le début. Ils nous ont dit que c’était pour nous protéger de la population pénitentiaire. Mais selon moi, c’était une tentative de nous faire changer « de bord », de nous faire trahir. Quand ni la peur, ni l’intimidation n’ont fonctionné, ils ont pensé : « Bon, on va les mettre quelques mois au « trou » en solitaire et on verra bien s’ils changent d’avis. »

Nous n’avions que la Bible à lire, et même pour cela, tu devais présenter une demande écrite au chapelain. Je l’ai fait, pour avoir quelque chose lire, et j’ai demandé une Bible. Quand ils me l’ont apportée - je ne sais pas s’il s’est agi d’un hasard ou non - il y avait quelques cartes à l’intérieur ; parmi elles, une avec les numéros de téléphone du FBI. Au cas où je les aurais oubliés, non ? Comme pour dire : « Bien, si ce gars communiste demande une Bible… c’est qu’il doit être sur le point de changer de bord ». J’imagine que c’était leur façon de penser, enfermés dans leur idées préconçues, dans leurs préjugés.

( à suivre)

lire la 1ère partie
lire la 2ème partie
lire la 3ème & 4ème partie
lire la 5ème & dernière partie

Saul Landau réalise actuellement (avec Jack Willis) un film sur les Cinq de Cuba. Ses autres films sont disponibles en DVD à roundworldproductions@gmail.com. Landau est membre de l’Instituto para Estudios de Polà­tica. (Institut des hautes études politiques)

Traduction Gloria Gonzalez Justo

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