RÉCAPITULATIF
Dans le premier article de cette série de quatre, nous avons constaté que la crise de l’économie capitaliste ne frappe pas tous les pays sur Terre, au contraire, ni de la même manière selon les hémisphères. Pendant que la Chine impérialiste « triomphante » développe son industrie envahissante, accroit sa production de plus-value, engrange les profits mirobolants, hausse le niveau de vie de sa population, prête aux pauvres (Afrique) comme aux riches (États-Unis et Europe), les vieux pays impérialistes en déclin, d’Europe et d’Amérique du Nord, croulent sous leurs dettes souveraines, accumulent les déficits extravagants, réduisent les services publics, abandonnent les chômeurs à leur sort, se désindustrialisent et ne parviennent plus à attirer les investissements productifs (1).
Dans le deuxième article nous avons observé que le « décollage » de l’économie chinoise avait coïncidé avec la délocalisation des industries européennes et américaines vers l’Asie en général et vers la Chine en particulier. Les capitalistes des pays en déclin toujours avides de profits - c’est une loi imprescriptible du système - ont trouvé dans les pays émergents et en Chine particulièrement les meilleures conditions de reproduction de la plus-value élargie. Les effets de ces investissements et de ces transferts d’usines ne sont cependant pas les mêmes dans les pays néo coloniaux compradores - Afrique - et en Chine souveraine (2).
Dans ce troisième article nous allons examiner de quelle façon les pays de la vieille Europe déclinante et de l’Amérique en faillite pourraient inverser ce mouvement de désindustrialisation - paupérisation et ramener chez eux la croissance économique et la prospérité.
A PROPOS DE LA PLUS-VALUE
Le système financier capitaliste est composé notamment de la Banque centrale européenne, de la Banque de France, de la Banque du Canada, de la FED américaine, ainsi que de multiples banques à charte privée, de consortiums financiers, de holdings de placement, de groupes d’assurance et de garantie de prêts, ainsi que des bourses nationales, Toutes ces institutions sont des instruments de gestion et de régulation des capitaux produits dans le secteur de la production-transformation industrielle (secondaire) et dans le secteur de la production-transformation minière, forestière, agraire, pêcherie et énergie (primaire) (3).
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme dit l’adage. Les capitaux, cette plus-value ouvrière spoliée et cristallisée ainsi que les salaires - la valeur de la force de travail nécessaire à la reproduction des travailleurs - ne sont nullement produits par les industriels, ni par les travailleurs du tertiaire « post-industriel », ni par les banquiers, ni par les investisseurs. Ceci bien compris, tout le reste coule de source. Si l’ensemble du capital de tous les capitalistes et si l’ensemble des salaires de tous les travailleurs, quel que soit leur secteur d’activité, sont le fruit du travail des prolétaires, alors trouvez les prolétaires au travail quelque part sur Terre et vous trouverez les zones géographiques en développement et en cours d’enrichissement et vice versa.
Vous aurez noté que nous n’avons pas écrit : les zones de « prospérité accélérée » car si l’on examine le Bengladesh par exemple, il y a bien de nombreux prolétaires peinant dans des fournaises de misère, entassés à Dacca dans des quartiers de douleur où chaque semaine des incendies mutilent et tuent des ouvrières emprisonnées dans ces « sweat shops » cadenassées ; il se produit beaucoup de plus-value dans ces bagnes de malheur mais pour les ouvriers pas beaucoup de « prospérité » dans cet enfer oublié.
LA DETTE SOUVERAINE
Sacrifions à la tradition à laquelle sont maintenant astreints tous les écrits « économiques » et consacrons quelques lignes à la crise de la dette souveraine - qui, nous le répétons, n’est qu’une des manifestations de la baisse tendancielle des taux de profits (donc des taux de plus-value) dans les vieux pays impérialistes en déclin. Pourquoi les États-Unis et l’Europe sont-ils confrontés à la crise de la dette souveraine ?
Pour notre édification nous avons consulté des analystes financiers réputés. Ils nous ont indiqué ceci : « Avant 2008, La FED américaine est devenue la première banque centrale du monde à racheter des millions d’hypothèques douteuses. Elle a acheté aussi des MBS, des GSE émis dont elle est devenue l’acheteur quasiment exclusif. Ce faisant, les banques ont abandonné à la FED le risque immobilier dans une période marquée par la montée des défaillances sur les crédits immobiliers hypothécaires anciens et nouveaux. Avec 1250 Milliards de $ de produits de titrisation immobilière pouvant être investis en produits des agences et GSE, la FED devrait se retrouver face à un risque considérable. (…) Or il s’agit d’une dépression indiquant une cassure du modèle de croissance (souligné par nous NDLR). Il est donc normal que les solutions soient inadaptées et qu’elles annoncent un rebond de la crise sous forme de Krash lent. Une reprise durable paraît donc improbable (souligné par nous NDLR). Une partie des obligations achetées aux GSE sont pourries, la Réserve fédérale les a acquises pour éviter l’effondrement du marché de la titrisation parapublique, les investisseurs étrangers et américains se sont débarrassés des obligations des GSE en 2009. Le FED joue pour les GSE le rôle d’un fonds de cantonnement qui n’est pas près de disparaître. » (4).
Interprétation de ce charabia d’économiste. La Réserve fédérale américaine (la banque des États-Unis) a émis des dollars de pacotille, de quasi « faux dollars » puisque ne reposant sur aucune valeur réelle, sur aucune marchandise, et cela afin de racheter les mauvaises créances des banques à charte privée américaines et leur éviter la faillite, créances qui étaient elles-mêmes de la "fausse monnaie’ puisque ne correspondant à aucune capacité de rembourser - à aucun pouvoir d’achat - de la part des emprunteurs surendettés. Et comme ceci n’a pas suffi, l’État fédéral américain - de Bush à Obama - a donné en cadeau aux banques en faillite des milliards du budget gouvernemental qui a atteint des abimes de déficits. L’ensemble de cette opération est tout à fait légale en vertu du droit bourgeois. Conséquemment, les États ne peuvent rembourser ces immenses dettes souveraines, ni en Amérique, ni en Europe (où les banques ont acheté de ces packages financiers plombés). C’est impossible, le gouffre financier est trop profond.
Ni les banques européennes ni les banques américaines n’espèrent, dans l’opération « sauvetage » en cours, récupérer la totalité de cette fausse monnaie qu’elles ont émise sous forme de billets au porteur, d’hypothèques, de cartes de crédit et autres papiers sans valeur. Elles espèrent plus sobrement rafler toute la plus-value produite dans les usines encore en fonction en Europe et en Amérique du Nord ainsi que dans celles qu’elles ont délocalisées vers l’Asie et l’Afrique ; sachant pertinemment que les banques chinoises font de même de leur côté, mais qu’elles bénéficient de circonstances plus favorables car leurs taux de plus-value absolu et relatif sont supérieurs comme nous l’avons démontré dans notre premier article.
Pire, l’industrie - seule productrice de plus-value - se concentre en Chine alors que le tertiaire - bouffeur de plus-value - et le quaternaire parasitaire se concentrent en Occident. La conjoncture ne peut être plus mauvaise pour Obama, Sarkozy, Cameron, Merkel, Harper et tous les autres thuriféraires politiques à la solde des milliardaires.
SORTIR DU MARASME ÉCONOMIQUE EST-CE POSSIBLE ?
Les pays en déclin peuvent-ils sortir du marasme économique dans lequel ils s’enfoncent toujours davantage ? Oui c’est possible. Il leur suffit de recommencer à produire beaucoup de plus-value ouvrière (secondaire et primaire). Il leur suffit de remettre au travail les 250 millions de chômeurs dans le monde. Difficile ? Très difficile, car si tous ces travailleurs sont au chômage, ce n’est pas qu’ils soient paresseux, ou que les riches ne souhaitent pas les voir peiner et s’esquinter à produire de la plus-value pour eux. Ce n’est pas que les gouvernements ne veulent pas les enchainer à leurs métiers à tisser, ces forçats du labeur. Le mieux que la gauche vénale puisse espérer c’est qu’un certain nombre d’ouvriers soient remis au travail et que les capitalistes qui empochent la plus-value relancent l’économie de leur pays respectif.
Analysons l’exemple de la Grèce. Un déficit budgétaire colossal, une dette abyssale, des dépenses militaires incontournables (il faut bien armer les colonels grecs pour qu’ils répriment ceux qui ne veulent pas rembourser), des armateurs qui n’ont plus de contrats de construction pour deux raisons : la première, l’économie international va mal si bien que le commerce mondial est en panne, on ne transporte pas de marchandises par bateau quand il y a de moins en moins de marchés à exploiter ; la seconde, la production manufacturière et le commerce qui subsistent et qui exigent des navires de transport se font en grande partie en Orient où la Chine et la Corée monopolisent la production de cargos comme nous l’avons démontré précédemment. Pourquoi ces deux pays monopolisent-ils la fabrication des cargos ? Parce que les prolétaires chinois travaillent pour des salaires de galère et abandonnent une large part de la plus-value absolue produite aux capitalistes chinois, et parce que les prolétaires coréens sont très productifs et abandonnent une grande partie de la plus-value relative produite via la mécanisation aux capitalistes coréens.
RELANCER LA CONSOMMATION POUR RELANCER LA PRODUCTION ?
Peut-on relancer la consommation mondiale de façon à impulser le commerce et les commandes de navires (vrac, container et passagers) pour le bénéfice des armateurs grecs ? Non, car ces 250 millions de chômeurs consomment peu, leurs camarades au travail pas davantage, grevés qu’ils sont de taxes et d’impôts visant à rembourser les dettes des financiers aux financiers (!) que les banques centrales et les gouvernements ont été contraints d’assumer. Qui plus est, tous ces ouvriers-clients sont personnellement surendettés. Il ne faut pas oublier qu’au cours des années passées les banquiers prêtaient aux ouvriers et aux pauvres pour maintenir la consommation des ménages à flot et pour encaisser leur part de plus-value, alors qu’aujourd’hui c’est trop risqué et les banques d’État hésitent à émettre de la monnaie de singe (inflationniste) qui demain vaudra moins que la valeur du papier pour l’imprimer.
Les prolétaires grecs pourraient-ils produire plus de plus-value, suffisamment du moins pour que les acheteurs de cargos passent commande aux armateurs grecs plutôt qu’aux armateurs chinois ; les ouvriers chinois tomberaient au chômage et les ouvriers grecs récupéreraient leurs emplois ? Il y a deux façons d’augmenter la production de plus-value ouvrière et donc le taux de profit pour les investisseurs.
Par le rehaussement de la plus-value absolue, ceci signifie une réduction draconienne du salaire horaire pour les ouvriers grecs, en plus du rallongement de la journée de travail (on passe de 8 à 10 ou 11 heures) et l’extension de la semaine de travail de cinq à six ou sept jours semaine de façon que le temps de travail que l’ouvrier consacre à produire son propre salaire soit réduit au minimum et laisse le maximum de temps de travail que l’armateur empoche sous forme de plus-value absolue, la source des profits.
Les ouvriers grecs peuvent-ils travailler pour des salaires de misère, pendant davantage d’heures chaque jour, au cours d’une semaine de 6 ou 7 jours comme le font les ouvriers chinois ? Les capitalistes grecs le pensent et ils ont dernièrement réduit le salaire minimum de moitié, coupé de 50 % les salaires des fonctionnaires et augmenté les taux d’imposition, ce qui est une autre façon de retirer du salaire à l’ouvrier et d’accaparer de la plus-value pour les riches. Toutes ces mesures ont des répercussions sur les salaires dans les chantiers navals grecs.
Mais est-ce suffisant de faire travailler l’ouvrier grec en deçà du salaire nécessaire à sa survie - en deçà des besoins de reproduction de sa force de travail - ? Si l’ouvrier grec travaille avec acharnement jusqu’à la mort prématurée, pourra-t-il conserver son emploi d’esclave salarié ? Ce n’est pas assuré puisque son concurrent, le travailleur chinois, le fait déjà . Le travailleur grec doit produire davantage de plus-value que l’ouvrier chinois pour que le capitaliste grec se résigne à investir en Grèce et que l’ouvrier grec obtienne la chance de mourir au travail.
Il reste une dernière possibilité, ce serait d’augmenter la productivité de l’ouvrier grec en mécanisant son travail au maximum et si possible en imaginant de nouveaux procédés de fabrication qui augmentent la production dans un laps de temps plus court haussant ainsi le taux de plus-value relative, ce qui satisfera le diable capitaliste avide du profit maximum, lequel consentira peut-être à fermer ses cales sèches en Corée pour les ramener au Pirée. Malheureusement, peu d’espoir de ce côté. Les coréens et les chinois y ont pensé et la Chine emploie 1,4 millions de chercheurs qui ont déposé des centaines de milliers de brevets l’an dernier ; et la Chine dépensera bientôt 2,2 % de son immense PIB en recherche et développement justement pour trouver de nouveaux procédés de fabrication et de nouveaux appareils de production. L’État grec n’a aucun budget consacré à la R&D.
RÉINDUSTRIALISATION PAR L’INTENSIFICATION DE L’ESCLAVAGE
Bien qu’improbable la ré-industrialisation est parfois possible. Un exemple parmi d’autres. L’an dernier une entreprise suédoise propriétaire d’un immense atelier de fabrication d’appareils électroménagers annonçait la fermeture de son usine de l’Assomption au Québec. Délocalisation, avoua candidement la direction. Chacun songea à la Chine ou au Viet Nam. Erreur, l’usine a été déménagée à Memphis, Tennessee aux États-Unis (5). Les États-Unis se réindustrialisent, s’exclamèrent les éditorialistes. Le phénomène peut donc être inversé ! Oui, mais à quel prix ? Aux États-Unis à peine 10 % des ouvriers sont syndiqués. Le salaire minimum est fixé au niveau fédéral et dans chacun des États et, règle générale, il est ridiculement bas (7,25 US$/h.) si bien que l’entreprise suédoise embauche les ouvriers de Memphis à 9 US$ l’heure (taux horaire de 6.4 Euros), un salaire de misère compte tenu du coût de la vie aux États-Unis ; les ouvriers de Memphis seront ainsi amenés à travailler en temps supplémentaires chaque jour de la semaine et à travailler 6 jours semaine - la mécanisation la plus moderne étant par ailleurs assurée - les impérialistes suédois recevront ainsi leur précieux kilogramme de chair ouvrière chaque semaine. Les prolétaires canadiens informés de ces conditions d’exploitation inhumaines ont décliné l’offre de mortalité prématurée.
Nous pourrions refaire cette démonstration pour les ouvriers de l’acier en France, pour les mineurs britanniques, pour les maçons italiens et pour les fondeurs canadiens. Dans le cas spécifique des alumineries canadiennes, cependant l’immense avantage dont bénéficient les ouvriers de ces alumineries c’est que les prolétaires qui construisent les barrages hydro-électriques canadiens ont tellement injecté de plus-value dans le produit "électricité’ - et le prix de l’énergie est si bas au Québec (0,07 $ KWh) - que les capitalistes de Rio-Tinto-Alcan trouvent avantageux de payer des salaires élevés aux quelques ouvriers fondeurs (usines entièrement mécanisées et robotisées - fournissant une productivité élevée), ce qui explique qu’ ils ne délocalisent pas leurs installations pour le moment. Par contre, le ralentissement économique général entraine des surplus de production mondiale d’aluminium si bien que Rio-Tinto-Alcan en profite pour déclencher un lock-out à ses usines afin de gruger les salaires des travailleurs.
CONCLUSION
Que faut-il conclure de tout ceci ? Tous ces faux prophètes qui laissent entendre qu’il n’y a qu’à nationaliser les banques, qu’il suffit de refuser de payer la dette souveraine, qu’il n’y a qu’à nationaliser les usines et à lancer l’État bourgeois dans le domaine de la production industrielle, ou encore qu’il suffit de taxer les riches, et mille et une autre solutions-bidon trompent leurs auditoires. Aucune solution n’existe aux maux du capitalisme « à l’intérieur du capitalisme ». Ce n’est pas pour cause de disfonctionnement que le capitalisme périclite. Le capitalisme fonctionne normalement en ce moment ; passer d’une phase de surproduction à une phase de pénurie de produits, c’est le fonctionnement normal de ce régime. Transiter d’une période de sous-emploi à une période de pénurie de main d’oeuvre, c’est aussi le fonctionnement normal de ce système. Les guerres économiques et financières et les guerres militaires localisées inter impérialistes États-Unis - Chine - Russie - Union Européenne pour le repartage des marchés et des sources de plus-value, c’est aussi le fonctionnement usuel dans ce mode de production. Le capitalisme c’est la succession des crises, des guerres et la misère en partage de Dacca jusqu’au Finistère.
Semaine prochaine : LA FIN DE LA CRISE ÉCONOMIQUE !
(1) La Chine puissance impérialiste triomphante. 16.02.2012. http://www.legrandsoir.info/la-chine-puissance-imperialiste-triomphante.html
(2) La crise économique, la Chine - l’Afrique et L’Europe. 22.02.2012. http://www.centpapiers.com/la-crise-economique-%e2%80%93-la-chine-%e2%80%93-l%e2%80%99afrique-et-l%e2%80%99europe/95434
(3) La crise économique, la Chine - l’Afrique et L’Europe. 22.02.2012. http://www.centpapiers.com/la-crise-economique-%e2%80%93-la-chine-%e2%80%93-l%e2%80%99afrique-et-l%e2%80%99europe/95434
(4) http://criseusa.blog.lemonde.fr/2010/02/08/reflexions-sur-leconomie-us-en-2010-sortie-de-crise-improbable-krash-lent-previsible/
(5) http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2010/12/14/014-electrolux-fermeture-usine.shtml