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Indépendance énergétique des Etats-Unis, disparition de l’OPEP : la nouvelle donne

« Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe. » - Albert Einstein

Les matières premières ont toujours déterminé le développement des sociétés développées. Qu’elles soient alimentaires ou énergétiques, elles sont l’objet de... convoitises de la part des États pour leur exploitation. Si les conflits pour le contrôle des gisements et des ressources prennent rarement la forme d’affrontements armés, on parle toutefois aujourd’hui de « guerres commerciales ». Un combat inégal a lieu, d’un côté les importateurs obnubilés par la sécurisation de leur approvisionnement pris dans l’ébriété énergétique, de l’autre, les exportateurs généralement des pays rentiers qui s’attachent à protéger leurs gisements pour en limiter le pillage sans pour autant mettre en place des stratégies de conservation pour les générations futures. C’est le drame des pays rentiers arabes de l’Opep installés dans les temps morts. Cette compétition pour les matières premières a lieu aussi, entre les pays développés. « C’est une guerre sans mort » comme l’écrit François Mitterrand l’ancien président français.

Depuis le début des années 2000, une révolution énergétique silencieuse a lieu,et donne lieu à un bouleversement total de la scène énergétique mondiale. Cette révolution a été menée par les Etats-Unis à la fois sous l’Administration Bush et Obama. C’est avant tout une révolution scientifique avec les nouvelles techniques de prospection et de forage boostées par des prix élevés du baril, qui au lieu de rendre exploitables les énergies renouvelables, a profité aux énergies fossiles. Dans le futur, la consommation connaîtra par contre un boom de plus en plus important pour les pays émergents qui consommaient moins de 10 millions de barils /jour en 1985 et qui ont consommé en 2011 près de 28 millions de barils /jour. Les Etats-Unis sont passés pendant la même période, de 16 à 19 millions de barils avec une pointe vers l’an 2005 à 21 millions de barils (dépendance 60%). En 2011, la production était de 10 millions de barils pour des importations de 9 millions de barils (45%). On prévoit qu’en 2022, la production grimperait à 12 millions de barils pour une consommation constante de 19 millions de barils (dépendance de 38%). L’Europe est passée de 14,5 à 15 pendant la même période avec une pointe à 16,5 millions de barils vers 2005. L’Europe suit le mouvement dans une cacophonie et il n’y a pas de signe d’une transition énergétique. (1)

La dépendance énergétique des Etats-Unis appartient au passé

C’est donc un bouleversement majeur, presque passé inaperçu, qui pourrait pourtant changer considérablement la politique internationale de la première puissance économique et militaire de la planète. Les Etats-Unis sont de moins en moins dépendants de l’énergie, et surtout du pétrole, importé de l’étranger. Comme le décrit le New York Times dans une longue enquête : « Dans tout le pays, l’industrie pétrolière et gazière augmente fortement sa production après deux décennies de déclin. Utilisant de nouvelles technologies et encouragée par l’envolée des prix du pétrole depuis le milieu des années 2000, l’industrie extrait des millions de barils de plus par semaine depuis les eaux les plus profondes du golfe du Mexique aux prairies du Dakota du Nord. » Et dans le même temps, les Américains consomment de moins en moins de pétrole (9% de moins qu’en 2007), ce qui est lié à la fois à la crise économique des dernières années, à la forte hausse des prix des carburants et au fait que les Américains commencent à échanger leurs 4X4 contre des voitures plus petites et beaucoup plus économes. » (2)

« Entre une augmentation de la production et une baisse de la consommation, les Etats-Unis se retrouvent aujourd’hui sur la voie d’un rêve évoqué par Richard Nixon lors des chocs pétroliers des années 1970, redevenir indépendant sur le plan énergétique. En 2011, les Etats-Unis n’ont plus importé que 45% des carburants liquides qu’ils ont utilisés contre 60% en 2005 et ce recul des importations s’accélère. Le pays est devenu un exportateur net de produits raffinés et notamment d’essence pour la première fois depuis les années 1940 ! L’industrie américaine du gaz, qui il y a dix ans craignait de ne plus être capable de satisfaire la demande intérieure, produit aujourd’hui en telle quantité, notamment des gaz de schiste, qu’elle transforme à toute vitesse ses infrastructures pour pouvoir exporter vers l’Europe et l’Asie et non plus importer du gaz. « Comment cela est-il possible ? Parce que sous l’impulsion de George Bush et aussi sous l’administration Obama, le gouvernement américain a décidé de soutenir par tous les moyens l’industrie pétrolière et gazière en permettant l’exploitation et la recherche de façon intensive.(...) Ces bouleversements, s’ils se prolongent, auront des conséquences considérables sur l’économie et la politique internationale des Etats-Unis. Washington, conscient de sa dépendance à l’égard du pétrole importé, notamment du Moyen-Orient, n’a eu de cesse au cours des dernières décennies de protéger avant tout diplomatiquement et militairement ses approvisionnements. (2).

L’apport décisif des nouvelles technologies

C’est un fait que la technologie a permis de reculer les limites des réserves. « Grâce, écrit Jim Wilson, aux technologies nouvelles et stimulées par la hausse des prix du pétrole depuis le milieu des années 2000, l’industrie pétrolière extrait des millions de barils de plus par semaine, à partir des eaux les plus profondes du golfe du Mexique vers les prairies du Dakota du Nord. Dans le même temps, les Américains consomment de moins en moins d’essence, en partie à cause de la récession et des prix élevés de l’essence Mais les tendances nationales sont indéniables. Non seulement les États-Unis ont réduit les importations de pétrole provenant des membres de l’Opep de 20 pour cent ces trois dernières années, de plus ils sont devenus un exportateur net de produits pétroliers raffinés comme l’essence pour la première fois depuis la présidence Truman. Tout comme l’augmentation de la production a été largement tirée par les prix du pétrole, la tendance pourrait s’inverser si l’économie mondiale devait ralentir. Même si, une grande partie de l’industrie est ravie par les perspectives. » (3)

« La fracturation est devenue poursuit l’auteur, le moyen privilégié d’extraction. Connue dans les années 1980 et 1990, les foreurs de gaz naturel ont commencé à combiner la haute pression avec la fracturation des puits de forage à l’horizontale, et pas seulement à la verticale. Ils ont pu extraire le gaz à partir des couches de schiste. De plus, les progrès technologiques ont permis les forages en eau profonde comme dans le golfe du Mexique. Les techniques nouvelles en imageries et la technologie sismique ont permis de prévoir l’emplacement et la taille des réservoirs une fois obscurcis par d’épaisses couches de sel. De plus, de nouveaux alliages « superstrong » ont été développés pour résister aux températures chaudes et hautes pressions profondes sous les fonds marins. « Notre dépendance au pétrole étranger est en baisse en raison des politiques mises en place par notre administration, mais aussi l’administration de notre prédécesseur, » a déclaré M.Obama lors d’une apparition de campagne en mars, « nous allons avoir une révolution », a déclaré Steven G. Farris, directeur général d’Apache Corporation, l’un des producteurs les plus actifs du bassin. « Et nous ne faisons que gratter la surface. » Les programmes informatiques de simulation ont permis de minimiser les essais et les erreurs. Fibres optiques avancées permettent aux ingénieurs et aux géologues installés au siège à plus de 300 miles, de suivre les progrès et à distance de diriger le forage. Des microphones sous-marins aident à identifier les fissures dans la roche afin de planifier les forages subséquents. » (3)

Que reste-t-il de l’Opep ?

Les convulsions énergétiques du marché énergétique international ont traversé plusieurs époques. Il est incontestable que l’âge d’or de l’Opep a correspondu avec la première remise en cause de l’ordre des sept soeurs qui fixaient les prix du pétrole, répartissaient les marchés, évitaient d’être en compétition les unes avec les autres depuis l’accord d’Achnacchary et de la Red Line dans les années trente. Le baril, à la veille de la réunion des pays de l’Opep en novembre 1973, coûtait moins de 2 dollars. Le réajustement du prix - considéré dans la doxa occidentale comme un choc - permettant de rattraper l’inflation généré par le flottement du dollar depuis le 15 aout 1971, le prix bondit jusqu’à 11$. L’Algérien Belaïd Abdesselam et le Saoudien Zaki Yamani, les deux ministres les plus influents de l’Opep, furent reçus dans les capitales occidentales pour rassurer.

En novembre 1974, Kissinger, en créant l’AIE (l’Agence Internationale de l’énergie), comme un outil visant à détruire l’influence de l’Opep, a répondu aux voeux de son concepteur qui avait prédit ou plutôt décidé : « Dans dix ans, il n’y aura plus d’Opep. » C’est un fait que depuis le début des années 1980, juste après que les pays occidentaux soient « choqués » pour la deuxième fois par un réajustement du prix du pétrole dans le sillage de la révolution iranienne, l’Opep n’a plus rien repris de la main. Deux événements majeurs l’expliquent : l’émergence du hors Opep, notamment avec les gisements de la mer du Nord, boosté par un prix du pétrole qui a rendu compétitifs ces gisements. La compétition pour des parts de marché lancée par l’Arabie Saoudite contre le Royaume-Uni de Margaret Thatcher. Résultat des courses : les prix baissent jusqu’à moins de 10 dollars ruinant des petits pays comme l’Algérie et annonçant l’endettement, prélude des événements de 1988. L’Opep perdit son marker crude  : « L’Arabian Light » au profit d’un pétrole, le Brent qui sert actuellement de référence pour la zone Europe.

Depuis, l’Opep qui ne décide plus de rien, suit les instructions prévisionnelles de l’AIE et répartit la demande en jouant au cartel avec toujours les pays du Golfe chargés d’appliquer la politique américaine. Avec les nouvelles technologies d’extraction, le Moyen-Orient est en train de perdre la main dans le secteur de la production de pétrole et de gaz. Une contribution entousiaste décrit un destin de rêve à l’Amérique. Nous lisons : «  L’Amérique du Nord va redevenir le centre du monde pour les hydrocarbures. Depuis un demi-siècle, le Moyen-Orient est le centre de gravité mondial de la fourniture d’énergie. D’ici les années 2020, la capitale de l’énergie sera sans doute revenue dans l’hémisphère Ouest, Les raisons de ce déplacement sont en partie technologiques et en partie politiques. Les géologues savent depuis longtemps que les États-Unis regorgent d’hydrocarbures prisonniers de gisements offshores difficiles d’accès, de schiste, de sable bitumineux et de formations de brut lourd. Les États-Unis comptent plus de 2000 milliards de barils de pétrole non conventionnel, le Canada 2 400 milliards et l’Amérique du Sud plus de 2 000 milliards, à comparer avec les ressources de pétrole conventionnel du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord qui se montent à 1 200 milliards de barils ». (5)

«  La production du gaz de schiste aux États-Unis est passée de quasiment rien à 15-20% de la production de gaz naturel américain en moins de dix ans. D’ici 2040, elle pourrait en représenter plus de la moitié. On est bien loin du pic de production pétrolier ! Le fameux peak oil. Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, balayés par de récentes révolutions, seront bientôt confrontés à une vérité dérangeante sur leur propre héritage en énergies fossiles (...) Le Printemps arabe tend à compliquer davantage la situation : le boom des Amériques devrait faire réfléchir les autocrates qui restent au Moyen-Orient : il signifie qu’ils ne pourront pas toujours compter sur une perpétuelle augmentation des cours du pétrole pour calmer les populations. Ce nouvel ordre géopolitique dicté par les hydrocarbures est déjà en train de se mettre en place. » (4) On connaissait déjà les risques environnementaux de l’exploitation du gaz de schiste, il y aurait désormais le risque d’une nouvelle bulle spéculative, rapporte le New York Times (...) Les sociétés d’exploitation du gaz naturel ont beaucoup investi dans les puits actuellement creusés aux Etats-Unis, persuadées qu’ils généreraient de gros profits et qu’il s’agissait là d’une nouvelle ressource énergétique pour le pays. Mais après lecture des documents internes, il apparaît que le gaz de schiste n’est pas aussi facile et peu coûteux à exploiter que prévu. (...) A tel point que ces révélations rappellent« la façon dont les doutes ont été exprimés lors de précédentes bulles financières ». « Chez les indépendants, il se dit que le gaz du schiste est une escroquerie », déclare pour sa part un analyste d’ IHS Drilling Data, un groupe de recherche dans l’énergie . » (5)

Le grand perdant : l’environnement

Si il y a un perdant dans cette expansion sans fin, c’est l’environnement. A l’échelle nationale, des écologistes ont remis en cause le forage avec des résultats mitigés. Les efforts visant à arrêter ou à ralentir la fracturation ont réussi seulement dans l’ État de New York. Cependant, comme l’explique l’auteur : « A plus long terme, des facteurs sociaux et économiques peuvent réduire les miles parcourus - par exemple la hausse des achats sur Internet et le télétravail et la tendance des baby-boomers à conduire moins à mesure qu’ils vieillissent. La récession a également contribué à entraîner moins de déplacements quotidiens et les prix des maisons en chute ont permis à certaines personnes de se permettre de se rapprocher pour travailler. « (...) Voulons-nous continuer, écrit l’auteur, à payer 500 milliards de dollars par an aux pays arabes musulmans qui nous haïssent ou voulons-nous augmenter notre propre production pour devenir véritablement indépendants de pétrole du Moyen-Orient le plus rapidement possible ? Ce sont les deux seules alternatives, l’environnementalisme radical ne sert à rien et continue à mettre 500 milliards de dollars par année dans les poches des pays arabes. Nous avons besoin d’investir et de dépenser cet argent aux États-Unis en développant des sources d’énergie alternatives pour les automobiles, camions, machines et équipements. Nous pouvons changer radicalement notre politique étrangère au Moyen-Orient, cela seul permettrait d’économiser 100 milliards de dollars par année en frais militaires. » (3)

On le voit, l’essentiel est de diminuer la dépendance américaine. La nécessité est avant tout de ne pas dépendre des musulmans pour le pétrole même si l’environnement est saccagé, qu’il y ait des tremblements de terre récurrents comme dans l’Arkansas, que les produits chimiques détruisent les écosystèmes, c’est pas grave... même si les changements climatiques, l’environnement seront les grands perdants ce qui explique l’extinction du Giec.

Chems Eddine Chitour

1. http://www.nytimes.com/interactive/2012/03/22/business/energy-environment/while-the-us-moves-toward-energy-independence.html?ref=energy-environment

2. http://www.slate.fr/lien/52147/petrole-etats-unis-independance-gaz-schiste24.03.2012

3. Jim Wilson http://www.nytimes.com/2012/03/23/business/energy-environment/inching-toward-energy-independence-in-america.html?_r=1&pagewanted=all

4. http://www.slate.fr/story/42597/petrole-opep-fini-amerique

5. http://www.slate.fr/lien/40253/etats-unis-gaz-de-schiste-bulle-speculation

URL de cet article 17289
   
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Stephen Bouquin (coordination) Louis-Marie Barnier, José Calderón, Pascal Depoorter, Isabelle Farcy, Djordje Kuzmanovic, Emmanuelle Lada, Thomas Rothé, Mélanie Roussel, Bruno Scacciatelli, Paul Stewart Rares sont les romans, même de science-fiction, fondés sur l’invraisemblance. Il en est de même avec les enquêtes en sciences sociales. Il existe néanmoins des vraisemblances négligées. Les résistances au travail en font partie. Le management contemporain a beau exalter l’individualisme, (…)
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