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Histoire de l’université Paris VIII : entre enseignement et engagement.

¨Vincennes, c’est pour les emmerdeurs¨. De Gaulle

Mai 68 représente l’un des mouvements qui ont grandement bouleversé l’ordre social en France. Le secteur éducatif, notamment l’enseignement supérieur, épouse les déplacements idéologiques et politiques opérés par ce mouvement de contestation. L’université Paris VIII, initialement dénommée Centre universitaire expérimental de Vincennes, est ¨l’enfant terrible de Mai 68¨ dont la revendication principale était la critique des pédagogies traditionnelles. On peut dire que l’université Paris VIII dans sa dimension essentiellement critique exprime parfaitement la volonté de créer, sous les feux de ce mouvement estudiantin, d’autres pratiques d’enseignement qui non seulement accordent beaucoup d’importance aux étudiants dans la gestion de l’enseignement mais aussi donnent une place à l’activité politique dans l’université. Ainsi, l’histoire de l’université Paris VIII encrée dans un contexte de crise et de mouvements de contestation reflète la vieille opposition enseignement/engagement ou savant/politique.

Un mythe à détruire ?, le volumineux texte dirigé par Charles Soulié, enseignant en sociologie à Paris VIII, réalise l’exploit de saisir l’histoire du Centre universitaire expérimental de Vincennes. Publié en 2012, trois ans après la célébration du quarantième anniversaire de cette entité universitaire, ce livre tente, avec Paris VIII comme catalyseur, de ¨réinventer l’histoire des Universités¨. Riche en tableaux statistiques et en témoignages oraux, ce travail se veut scientifique en écartant paradoxalement toute dimension politique de la question. ¨C’est la première histoire sociale scientifique d’une institution hors-norme qu’est Paris VIII¨, souligne Christophe Charles dans l’introduction de ce long travail méthodique. Dans la conclusion, Charles Soulié déclare qu’en rompant avec la vision politique initiale de cette université, ce texte a donc voulu remettre au premier plan les logiques pédagogiques, disciplinaires et sociales. Ainsi, l’originalité de cet ouvrage collectif est à retrouver dans les ¨analyses fines de certains espaces disciplinaires ou de certaines populations étudiantes mal connues, comme les étudiants d’origines étrangères¨.

Pour saisir la mouvance contestataire de Mai 68 qui a donné naissance à l’université Paris VIII, l’ouvrage fait toute une description de la situation qui a précédé cet événement. Cette partie “ Les prodromes de Vincennes ” met à nu la crise de l’université française qui progressivement va atteindre son paroxysme. Les différentes pensées et réformes vont montrer toute la nécessité de repenser la question de l’université parisienne, vu son état combien critique.

Les années 1960 furent marquées par une augmentation massive des effectifs universitaires. Cette vaste demande universitaire était liée au phénomène du baby-boom qui a exponentiellement augmenté la population mondiale. Le système éducatif français, subissant une croissance rapide de la population scolaire, est confronté à de vifs problèmes. L’enseignement supérieur fut l’expression parfaite de cette situation. Des recompositions facultaire et disciplinaire dans les facultés vont accompagner cette évolution du recrutement sociale de l’université française. Cette crise pédagogique sera rapidement politisée par la réforme Fourchet.

Cette dernière va aggraver la crise en renfonçant considérablement l’autonomie de chaque discipline. Une telle réforme va développer une ¨logique de spécialisation accrue des cursus¨. Fourchet va calquer le modèle secondaire pour attaquer les problèmes liés au système universitaire. D’où le reproche de ¨secondarisation¨ adressé à cette réforme qui considère l’université comme une école. La réforme Fourchet va activer le débat sur la réforme de l’enseignement en général, et notamment de l’université. Certains écrits de Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Robert Castel et Jacques Derrida vont aller dans ce même sens.

En mai 1968, la politisation du débat pédagogique va arriver à son niveau le plus ultime par un ensemble d’événement qui vont ¨populariser et radicaliser certaines critiques et revendications formulées à l’égard de l’Université¨. Certaines méthodes et contenus pédagogiques seront jugés archaïques. Des étudiants vont contester le cloisonnement disciplinaire et facultaire inauguré par la réforme Fourchet. On va en même temps remettre en question l’autorité de l’enseignant dans la construction du savoir, les cours magistraux créant de la passivité estudiantine, la ¨fonction de classe¨ du savoir et le phénomène de la sélection. On va plutôt prôner l’ouverture de l’université aux ¨travailleurs¨, la diversification des enseignements, la libre information au sein des facultés, la démocratisation de l’enseignement.

Dans les mois qui suivent les événements de Mai 68, qui ont donc contesté les rapports pédagogiques au sein de l’éducation, le gouvernement va prendre des décisions très radicales. Au niveau de l’enseignement supérieur, on va retravailler le cursus des cours et créer de nouveaux postes. Le plus important, d’autres universités seront construites pour répondre à la montée spectaculaire de la demande universitaire.

Paris VIII fait partie de trois centres expérimentaux qui ont été créés par le ministre de l’éducation Edgar Faure à la suite de la ¨révolte¨ Mai 68. Les universités Dauphine et Marseille Luminy s’inscrivent dans ce processus politique post 68 qui exprime une certaine bonne volonté du gouvernement de répondre à l’inflation universitaire, l’une des revendications du mouvement. D’autres gens voient aussi la création de ces ¨centres expérimentaux¨ par le gouvernement comme une façon de combattre les contestations estudiantines. Le transfert géographique de Paris VIII à Saint-Denis (auparavant, elle était à Vincennes) va encore confirmer la volonté politique inavouée du ministre Edgar Faure lors cette création. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre cette déclaration de De Gaulle :¨Vincennes, c’est pour les emmerdeurs¨. A noter que Paris VIII sera à plusieurs reprises menacée de fermeture par ce même ministère quelques années plus tard.

L’ouvrage évoque avec précision les personnalités associées au projet de Paris VIII. On peut citer Hélène Cixous, Jean-Baptiste Duroselle et Michel Foucault. Ce dernier a proposé une Commission d’orientation ayant pour tâche principale d’¨examiner la liste du noyau cooptant¨. Le recrutement des premiers enseignants à Paris VIII était assuré par cette commission composé de vingt cinq membres et présidée par Raymond Las Vergnas. Une telle commission, constituée le 25 octobre 1968, va structurer ce centre expérimental aussi récent que critique.

L’idée même de centre expérimental présume une rupture avec les pratiques d’autres universités. On voulait enseigner pour transformer. L’objectif était d’armer les étudiants de théories et de concepts pour se confronter avec la réalité. Cette démarche est tournée contre les pratiques pédagogiques traditionnelles de certaines universités dominantes à l’époque, telles que la Sorbonne. C’est pourquoi Paris VIII a été souvent considérée dans sa naissance comme une ¨anti-Sorbonne¨. Néanmoins, la Sorbonne reste l’institution-mère de ce centre universitaire dans la mesure où une bonne partie des enseignants en est issue.

Cet esprit expérimental de Vincennes rejette les cloisonnements disciplinaires et facultaires qui ont traversé le système supérieur avant 1968. Vincennes va plutôt prôner l’interdisciplinarité. Pour ce faire, on va assister à la création de beaucoup de disciplines nouvelles. Ce qui va donner une diversité disciplinaire dans une époque dominée par une crise disciplinaire dans les universités françaises.

Le livre de Charles Soulié insiste en outre sur le fait que Paris VIII a été largement dominée par la position du département de philosophie. Des philosophes comme Alain Badiou, Jacques Derrida, Michel Foucault et Georges Canguillem ont participé à l’orientation idéologique de ce centre expérimental. Lors de l’assemblée générale constitutive du 11 décembre 1968, les directives ont été données par ce le département de philosophie : ¨Sa vocation n’est pas ¨fabriquer des chiens de garde¨ mais de poursuivre la lutte politique et idéologique¨.

En réservant tout un chapitre à cette question, l’ouvrage souligne l’un des points qui caractérisent l’université Paris VIII : son ouverture aux ¨étrangers¨. Réputée l’université ¨la plus étrangère¨ de France, elle accueille des enseignants étrangers souvent en difficulté politique avec leur pays d’origine ainsi que des étudiants venus de par le monde, notamment du tiers-monde. Charles Soulié souligne dans son article avec Brice Le Gall que les étudiants étrangers, bénéficiant des services d’un département de Français langue étrangère, vont rapidement occuper une place importante dans cette université : ¨Vers le milieu des années 1970, les étudiants étrangers représentent la moitié du public¨. Paris VIII a tout fait pour diversifier son public, toujours dans l’esprit de nourrir son projet d’université populaire. Les non-bacheliers, les travailleurs et les étrangers étaient les bienvenus dans ce ¨chantier universitaire¨. Ce qui était précisément une façon de rompre avec l’idée traditionnelle selon laquelle l’université doit être réservée à un public restreint.

Ce texte évoque l’un des plus grands héritages de mai 68 qui est l’université paris VIII. Cette dernière reste l’une des rares institutions soixante-huitardes à avoir survécu. Elle reste, selon les auteurs de ce livre, un symbole de ce mouvement d’envergure mondiale. On peut même parler de mythe à son propos, vu son histoire singulière. Considérant toutes les mutations internes de cette université et les divers risques de ¨normalisations¨ qu’elle encourt, que reste-t-il de ce mythe ?

Un Mythe à détruire ?, sous la direction de Charles Soulié, 2012, PUV, France.

Jean-Jacques Cadet,
étudiant en Philosophie.

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