L’élection de "François Premier" l’Argentin, n’est donc ni "un tournant", ni une révolution", ni "un aggiornamiento", ni "un virage vers la modernité"... comme s’esbaudissent et ânonnent la quasi totalité des commentateurs, des politiques, et des médias.
Cette élection me rappelle la terrible humiliation dont fut victime en 1983 le père Ernesto Cardenal, prêtre et ministre de la culture du gouvernement sandiniste. Jean Paul II avait exigé que les quatre prêtres qui participaient au gouvernement de libération, après le renversement de la dictature de Somoza, démissionnent. De passage à Managua, il avait refusé de serrer la main d’Ernesto et l’avait menacé du doigt sur le tarmac, l’obligeant à s’agenouiller. Le père Cardenal fut suspendu, et interdit de ministère, coupable d’engagement aux côtés des humbles et de leur lutte.
Dans ces années 1980, au même moment où au Salvador, au Guatemala ..., des prêtres et des religieuses inspirés par la théologie de la libération étaient assassinés (dont 7 Jésuites de l’université centraméricaine de San Salvador), de même que l’archevêque Monseigneur Romero, le Vatican mena une offensive impitoyable contre les tenants de la "théologie de la libération", n’hésitant pas à utiliser y compris la répression contre les partisans de cette "Eglise du peuple". On connaît le résultat.
L’Eglise officielle s’éloigna des pauvres, perdit du terrain en Amérique latine (le continent le plus catholique), ouvrant la porte à toute sorte de sectes aliénant les individus, et servant les intérêts des classes dominantes et des partis les plus conservateurs.
Aujourd’hui, l’Amérique latine vit une véritable émancipation, des mouvements de souveraineté et d’indépendance sans précédents, des "révolutions" qui engagent la construction de sociétés nouvelles. Voilà ce qui préoccupe réellement le Vatican. L’élection du jésuite argentin, Jorge Mario Bergoglio, s’inscrit dans la continuité des options conservatrices du Vatican, même si l’homme est présenté comme "Monsieur Toutlemonde".
Plus grave encore, le nouveau pape, censeur implacable de l’avortement et du mariage homosexuel, a collaboré avec la dictature militaire argentine (1976-1983). Il était alors "Supérieur provincial de l’ordre des Jésuites". On lui reproche d’avoir "lâché" deux prêtres jésuites qui furent par la suite séquestrés et torturés. Ses relations avec le pouvoir étaient si étroites qu’en 2010, on l’obligea à témoigner dans les procès pour crimes contre l’humanité commis à l’Ecole Mécanique de la Marine (ESMA), centre de l’horreur. Pendant cinq heures, il fut interrogé sur l’affaire de ces deux prêtres jésuites qui travaillaient dans un bidonville ("villa miseria") malgré son opposition. Selon l’accusation, le nouveau pape "mentit". Monseigneur Bergoglio fut également appelé comme témoin dans une affaire d’enfant volé (Ana de la Cuadra) par les militaires et accusé de complicité par les "Grands-mères de la Place de Mai".
Pas un mot non plus de celui qui depuis 1998 était archevêque de Buenos Aires sur les 30 000 disparus, pas une autocritique sur le silence de l’Eglise durant toutes ces années noires. Le nouveau pape, était, et demeure, un adversaire résolu des époux Kirchner, ceux-là mêmes qui ont annulé les lois d’impunité ("loi de point final"...), transformé l’ESMA en musée de la mémoire, et traduit devant les tribunaux nombre de tortionnaires, de chefs militaires, aujourd’hui emprisonnés.
L’élection de ce pape, François Ier, me paraît un mauvais signe. Elle s’inscrit à contre-courant des nouvelles réalités latino-américaines et est destinée à les contrecarrer, sous couvert de proximité avec les pauvres, de simplicité. La tâche lui sera plus difficile qu’à Jean Paul II.
Jean Ortiz, universitaire (PAU)