Ils avaient pourtant tout préparé jusque dans les moindres détails.
Pour cette huitième audience du 27 octobre, les avocats marocains et belges d’Ali Aarrass avaient prévu de plaider pour la dernière fois. Pour cette audience importante, un avocat belge allait renforcer l’équipe de défense marocaine : Maitre Nicolas Cohen du bureau d’avocats Juscogens de Bruxelles, qui par son appartenance au barreau de Paris, a obtenu la permission de plaider dans le procès d’Ali. Avec Maitre Dadsi, il avait déjà rendu visite à Ali Aarrass à la prison de Salé II, le jour avant l’audience. Pour Ali, c’était un signe fort que la campagne de solidarité ne s’affaiblit pas mais au contraire se renforce.
Mais, manque de planning, trop d’affaires à juger, une justice d’épuisement ou preuve d’une justice qui veut prendre les choses au sérieux..., qui le dira, l’affaire Ali Aarrass risquait de passer de manière presque inaperçue et à la va-vite entre différentes audiences d’autres procès. L’affaire Ali Aarrass était en effet coincée entre le procès du champion du monde boxe thaï Zakaria Moumni, l’affaire d’un assassinat par un groupe de jeunes inculpés et le procès très médiatisé de l’attentat de Marrakech du 28 avril dernier. Sur ce, les juges, le procureur et la défense dans le procès d’Ali Aarrass se sont mis d’accord pour reporter l’audience au 24 novembre. Ce jour là , la journée sera réservée uniquement au cas d’Ali. Le jour précédant les élections au Maroc, le procureur pour l’accusation et Maitres Dadsi, Louski, Jallal et Cohen pour la défense, plaideront une dernière fois.
Torture, torture et encore torture...
Le 5 octobre dernier, lors de l’entretien avec la délégation du CLEA, qui sollicitait une intervention humanitaire de la part de la Belgique pour son citoyen Ali Aarrass, les représentants de notre Ministère des Affaires étrangères ont déclaré de « n’avoir jamais reçu une seule plainte sur l’utilisation de la torture au Maroc ». Ils n’étaient donc pas au courant non plus de l’existence de détenus politiques au Maroc ou d’inculpés pour terrorisme, les catégories auxquelles on applique justement ce genre de supplices.
Au moment où les autorités belges prononçaient ces mots, la plainte d’Ali Aarrass contre sa torture datait déjà de six mois. La déposition et le contenu de cette plainte avaient rendus publics par des articles d’une page dans les journaux Le Soir et De Morgen et par l’émission « Indices » de RTL- Tvi. L’entièreté de la plainte a été publiée sur le site www.freeali.eu (1 )
Vu que ces messieurs ne lisent pas les rapports des organisations de droits de l’homme, ne lisent pas les journaux, ne regardent pas la télévision et ne lisent même pas les rapports des services amis américains sur le Maroc (2), je voudrais les inviter à passer un seul jour devant le tribunal antiterroriste de Rabat/Salé. Le 27 octobre par exemple aurait pu s’avérer très instructif pour la formation de notre personnel, qui gagne sa vie en s’occupant de la politique étrangère belge.
Ce jour là , j’ai entendu la voix du champion de boxe marocain Zakaria Moumni (31) se casser, lorsqu’il décrivait devant les juges son traitement par la police sécrète marocaine à Temara. J’ai vu ses larmes. Je l’ai vu sortir de son banc d’accusé, voulant montrer aux juges les traces des tortures - datant d’il y a un an -, sur ses jambes. Les juges n’ont pas voulu qu’il aille plus loin et ont fait signe qu’il devait se calmer. « J’ai été kidnappé par la DST (Direction de la surveillance du territoire) à l’aéroport de Casablanca. Ils m’ont emmené à Temara où ils m’ont torturé pendant quatre jours, jusqu’à ce que je signe des aveux. Ils m’ont dit : ici c’est l’abattoir des hommes, on peut te sortir d’ici dans une boite de conserves ». Zakaria Moumni se retrouve en prison depuis un an. Selon l’acte d’accusation du 30 septembre 2010, qu’il dit avoir signé sous la torture, il a avoué avoir soutiré 1.200 euros à deux Marocains, en échange de la promesse de leur trouver du travail en Europe (3).
Condamné en octobre 2010 à trois ans de prison ferme, Zakaria, qui résidait en France avant son arrestation et qui est marié à une Française, a vu sa peine en janvier 2011 réduite à deux ans et demi en appel. Son avocat, Maitre Jamaï, a demandé la mise en libération conditionnelle de son client en attendant une confrontation, qu’il demande depuis le début de cette affaire, à ses deux accusateurs, qu’il ne connaît pas. La demande de libération conditionnelle a été rejetée par le tribunal à la demande du procureur et la confrontation avec les deux accusateurs aura lieu le 15 décembre.
L’après-midi, c’était au tour des neuf accusés dans le procès de l’attentat de Marrakech.
Disons d’abord deux choses sur ce procès.
Le jour après cet attentat meurtrier, qui a coûté la vie à 17 personnes, Mohamed Fadil Redouane, spécialiste de l’islamisme au Maroc, doctorant à l’École Pratique des Hautes Études (Paris-Sorbonne) a accordé une interview au Monde des religions. (4) Il y formulait son opinion sur cet attentat, opinion largement partagée au Maroc : « De nombreuses questions restent pour l’instant sans réponse.., mais des centres de pouvoir internes sont, selon moi, un commanditaire tout aussi crédible que la piste islamiste. Il faut replacer ces événements dans le contexte actuel marocain.. Des centres de pouvoir internes ont clairement été accusés d’être derrière ces attentats de Marrakech. Cette hypothèse, si elle est pour l’instant invérifiable, est plausible, parce qu’elle permettrait à une partie du pouvoir de reprendre la main, de décrédibiliser les islamistes et de maintenir une certaine pression sécuritaire sur le peuple marocain tout en le détournant de ses velléités démocratiques auxquels il semblait jusqu’à présent farouchement accroché ».
Or, à ce jour, cette piste « crédible » n’a jamais été suivie et les « centres de pouvoir internes » n’ont jamais été inquiétés.
Deuxièmement, en ce qui concerne les neuf accusés, une question s’impose.
Si les accusés sont vraiment capables, par conviction religieuse extrémiste, de commettre une telle atrocité, pourquoi ils ne revendiquent pas leur acte ? Comme par exemple Breivik en Norvège, qui en toute logique, est fier de ses actes Pourquoi Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui ne se gêne pas pour revendiquer n’importe quel attentat, a nié toute implication ? Pourquoi les neuf sans exception nient-ils toute implication en bloc ?
Comme beaucoup d’attentats terroristes, celui de Marrakech aussi, restera un énigme.
Ce qui est sûr c’est que dans le procès lui-même, là aussi, une même accusation revient : la torture.
Le 27 octobre, les familles de 6 des 9 inculpés qui se sont associées dans un comité de défense se rassemblaient sur les marches du tribunal (voir photos). Ils dénonçaient tous la torture dont leurs proches ont été victimes. Le 28 octobre, le tribunal rend son verdict : l’inculpé principal est condamné à la peine capitale, le deuxième accusé à la perpétuité. Quatre accusés ont été condamnés à quatre ans de prison ferme et les trois restants à deux ans.
Le procureur est allé en appel contre les peines légères. Par contre, sur la torture, tant le procureur que les juges restent muets et imperturbables. Or, la loi pénale marocaine les oblige à examiner les plaintes. Mais pour le tribunal antiterroriste de Salé, les plaintes des torturés, qu’elles viennent d’Ali, de Zakaria ou des neuf de Marrakech sont simplement des tactiques de la défense pour échapper à la justice. La vérité est que les tribunaux n’osent pas toucher aux tortionnaires. Et que la torture est devenue l’arme facile pour remplacer l’enquête et les preuves par des aveux extraits sous la torture. Le jour viendra où, comme en Argentine, les responsables de ces pratiques, leurs complices et tous ceux qui ne sont pas intervenus contre la torture, se retrouveront sur le banc des accusés. Tant au Maroc qu’en Espagne et en Belgique.