"Je suis un passant parmi d’autres.
En sortant du métro, les allées Jean-Jaurès semblaient divisées.
A ma droite, l’éclaircie ensoleillait le boulevard, illuminant l’animation des passants des derniers rayons d’une journée de Mai.
Je m’engageais de l’autre côté, plongé dans l’ombre, à gauche, devinant au loin un rassemblement autour de banderoles colorées...
Comme à mon habitude, je hâtais le pas en déplorant silencieusement la lenteur des piétons, tandis que je me rapprochai rapidement de la petite manifestation.
Je remarquais parmi la vingtaine de personnes mobilisées, un groupe de femmes, m’évoquant un bouquet de fleurs printanier, tandis que d’autres portaient un tee-shirt noir avec des étoiles rouges, ou une casquette verte ornée d’un drapeau cubain. Ils discutaient tranquillement.
Je comptais passer mon chemin. J’avais déjà assez perdu de temps à faire un détour pour acheter la baguette de pain, et j’étais pressé de retrouver mon domicile, son calme, et Élodie mon amie... et nos 3 bouts de chou... lorsqu’un homme me tendit poliment un tract, m’expliquant la raison de leur revendication.
Une dame se joignit à la discussion en précisant que l’un des 5 cubains innocents, incarcérés dans les pires conditions d’isolement depuis 1998, pour une action aux USA qui fut légitime, juste, et nécessaire (puisqu’il s’agissait de dénoncer le terrorisme effroyable dont une petite île, Cuba, déjà en survie à cause du blocus, était régulièrement la cible), venait d’être enfin autorisé à rejoindre son pays. Il fallait encore lutter pour que les 4 autres soient libérés.
C’est en tous les cas ce que j’ai cru comprendre... il n’est pas toujours facile de retenir plusieurs informations d’un coup, surtout après une rude journée de travail, surtout lorsque c’est la première fois que vous entendez parler de cela. La presse n’en parle pas.
J’essaie d’écouter chaque soir le journal télévisé et il y a tant de choses qui m’assomment que je m’écroule inévitablement sur le canapé...
Mais au sujet des 5 cubains, ou du blocus, rien.
Je ne savais pas non plus qu’un Consulat des USA se situait là, au n° 25 des Allées Jean-Jaurès de Toulouse. Je vis une autre personne déposer les tracts dans les boîtes aux lettres de l’immeuble.
Et j’appris aussi que dans plusieurs villes de France, plusieurs associations [1] manifestaient ainsi dans la rue durant une heure, une fois par mois, depuis 3 ans. Ici, c’était le troisième jeudi du mois.
Et puis, je repartis, le tract à la main [2], étrangement divisé comme ce boulevard, hésitant entre deux choix : continuer ma route comme si de rien n’était, me convainquant que si je devais m’arrêter pour chaque cause injuste, ce ne serait plus une vie, et puis, moi aussi j’ai mes problèmes.
Ou, au contraire, décider de me joindre à cette mobilisation, parce que quatre hommes courageux (*), depuis 15 ans, sont à l’ombre alors qu’ils devraient être libres, comme moi, de rentrer chez eux et retrouver leur famille. Ce serait plutôt ça, la vie, alors je choisis cette option là, et le troisième jeudi du mois prochain, je rejoindrai les militants.
Un passant parmi d’autres."
(*) NdR : des 5 cubains, 4 sont encore en prison. Le 5ème a purgé sa peine de 15 ans et se trouve actuellement à Cuba.