En fait, on a tous eu la berlue : François Fillon n’a pas été éliminé au premier tour de l’élection présidentielle, et il a même remporté le second. Il a pu ainsi mettre en œuvre ses principales mesures : par exemple, une attaque contre les protection dont jouissaient les travailleurs par le biais de la « réforme » du Code du travail, le gel du point d’indice des fonctionnaires en attendant, en bonne logique, celui de leurs carrières, la suppression du jour de carence pour ces mêmes fonctionnaires en jouant sur les mots : désormais « absence » est devenu « absentéisme » ; la suppression du tiers payant généralisé suite à la pression des médecins libéraux ; la diminution de l’aide au logement pour les pauvres et le miséreux ; la fin programmée des juridictions prudhommales ; des avantages fiscaux pour les très riches (payés par les classes moyennes). La liste s’allonge quotidiennement.
L’histoire dira peut-être un jour à des observateurs stupéfaits que l’élection d’Emmanuel Macron fut le résultat d’un véritable complot. Certes, quand on parle de complot, on passe pour quelqu’un de droite. Mais enfin, tout de même, cette élection à la magistrature suprême d’un jeunot inconnu trois ans auparavant, même s’il prenait le thé chez Hollande, Minc et Attali (qui servait d’intercesseur avec le milliardaire Soros) ; une élection dans un fauteuil après la campagne la plus vide de politique de l’histoire de la République, en dépit ou grâce à l’abstention massive ; une élection qui vit le candidat de droite « qui ne pouvait pas perdre » balayé (à juste titre) par un scandale médiocre ; puis le Premier ministre socialiste écrabouillé dans une primaire dont les chercheurs en sciences politiques les plus subtils comprendront peut-être dans deux siècles les tenants et les aboutissants ; une élection où les médias dominants construisirent tous, au cordeau, la même image des candidats en présence. Tout cela était trop beau pour être honnête.
Une constellation ahurissante
Le nouvel enfant gâté de la République a bénéficié d’une constellation ahurissante. Les grands médias l’ont tous soutenu après la débandade de Fillon. Les hauts fonctionnaires ont reconnu l’un des leurs. Tout comme l’oligarchie financière. Macron a jailli au moment pile où les deux grands partis politiques de la gauche gestionnaire, le parti socialiste, et celui de la droite dure, Les Républicains, s’effondraient, décrédibilisés. Reprenant une image stéréotypée du discours publicitaire et commercial, les médias (qui avaient soutenu Juppé pendant deux ans avant d’avoir pour Fillon les yeux de Chimène) constatèrent que leur offre politique (plus de programme : une « offre ») ne répondait plus aux attentes d’une partie importante de l’électorat qui, à la vraie plate-forme politique progressiste de Jean-Luc Mélenchon, préféra le creux et la tautologie (« Notre projet va l’emporter parce que c’est notre projeeeet ») d’une substance sans fond (dans les deux acceptions du terme). Accessoirement, Macron eut la chance d’affronter au deuxième tour une Marine Le Pen dont la faiblesse et l’incohérence idéologiques éclatèrent, tout comme – ce que l’on pouvait subodorer – sa volonté de n’être en aucun cas présidente de la République. Ayant recruté un premier ministre de droite, des ministres de droite et s’étant bien gardé d’engager un seul ministre authentiquement de gauche, Macron sema la confusion et s’octroya une chambre des députés invraisemblable car peuplée d’amateurs n’ayant qu’une relation assez lointaine avec le terrain.
Vite, des erreurs !
N’ayant jamais connu de mandat électif, Emanuel Macron a vite commencé à pâtir de son immaturité en politique et de son manque d’enracinement dans la res publica. On l’a vu commettre des erreurs très grossières que ses qualités de fort en thème n’ont pu éviter. Il croit en une forme de pensée magique selon laquelle le dit est programmatique, performatif, et efface toutes les contradictions. Dire qu’on est « le chef des armées » en licenciant comme un malpropre un chef d’état-major qui n’a commis aucune faute, qui n’a pas manqué à son devoir de réserve, ne fait pas de vous le chef naturel des armées. Au contraire. En République, on n’impose pas son pouvoir par l’humiliation et par des coups de menton. On note par ailleurs que Macron le « jupitérien » a suscité, outre celle d’un général cinq étoiles, un nombre record de démissions au sommet de l’Etat : quatre ministres ont disparu sur simple suspicion mais ont tout de même retrouvé leurs fonctions de député, de député européen ou de maire. Ce qui posait un problème de logique. S’ils étaient coupables, pourquoi leur permettre de continuer à gérer la France, même à un moindre niveau ? Mais un François Bayrou étant moins dangereux à Pau qu’à Paris, Macron tira d’excellents marrons du feu sans y brûler sa morale personnelle. Pour vivre heureux, cachons les entraves à la marche en avant.
Sarkozy pensait que l’Afrique Noire n’avait commencé à exister qu’après avoir été colonisée par les Européens. Il avait l’excuse d’être un inculte profond qui ne savait pas que l’homme le plus riche de tous les temps fut Kanga Moussa, un empereur du Mali du XIVe siècle dont la fortune équivalait à trois fois celle de Bill Gates et qui ne se déplaçait jamais sans une suite de 70 000 personnes. Une telle richesse au sommet impliquait forcément une organisation, une civilisation, une culture phénoménales. Macron ne s’embarrasse pas de tout cela : il se contente d’insulter en évoquant le kwassa-kassa de Mayotte, d’affirmer, faussement, que les femmes africaines font sept à neuf enfants, après avoir décrété que la Guyane française est une île. Ah, le vernis des grandes écoles !
Les fers au feu de l’hyper bourgeoisie
Le patronat et la médiacratie ont prévu et ont contribué à l’écroulement du parti socialiste et de François Hollande (un président de la République empêché de se représenter, personne, à commencer par lui, n’y aurait pensé deux ans auparavant), ainsi que la glissade de François Fillon – en théorie gaulliste « social » – vers la droite le plus dure. On aura vu cet homme fade, produit de la bourgeoisie rurale, catholique et balzacienne, sans aucun charisme, écraser dans une primaire surprenante des personnalités aussi fortes et aguerries que celles d’Alain Juppé et de Nicolas Sarkozy en s’alliant avec Sens commun, le parti d’extrême droite issu de la Manif pour tous.
Mais l’hyper bourgeoisie a toujours au moins deux fers au feu. Bien avant qu’éclate le « Penelope Gate », elle avait propulsé un autre de ses jockeys, le jeune banquier d’affaires et haut fonctionnaire issu de la bourgeoisie bien pensante amiénoise. Sans jouer les Cassandre, il faut espérer que l’oligarchie ne sera pas amenée, Macron ayant sombré dans l’impopularité la plus noire, à propulser une extrême droite modernisée, relookée comme on dit aujourd’hui.
Deux mots sur le couple Macron, un couple imposé par lui-même et par les grands médias (des centaines de couverture de magazine, des dizaines d’heures de chaînes d’info en continu). Emmanuel est le fils de deux médecins picards. Son père était un grand patron au CHU d’Amiens, sa mère généraliste. On sait désormais que sa grand-mère maternelle, Germaine Noguès, fille d’un berger illettré des Pyrénées, pur produit de l’Ecole de la République, elle-même enseignante aux idées progressistes, compta énormément dans l’éducation du jeune homme. Brigitte Trogneux descend d’une lignée d’excellents pâtissiers amiénois, de droite et catholiques. Ils se sont connus au collège jésuite La Providence, celui de Des Grieux dans Manon Lescaut, où Brigitte était le professeur de théâtre d’Emmanuel. A 20 mètres de “ La Pro ”, on trouve la Cité Scolaire plébeienne et républicaine, le secondaire laïc amiénois qui verra s’épanouir, outre l’auteur de ces lignes, le président du Sénat Gérard Larcher, l’écrivain René de Obaldia, la ministre Geneviève Fioraso, le compositeur Sylvain Cambreling et, ne l’oublions pas, le pilier de TF1 Jean-Pierre Pernaud.
Un banquier
Alors qu’il est nommé à l’Inspection des Finances, Macron choisit la banque. Il en parle comme d’« une école de rigueur et d’humilité » qui lui paraît « plus libre et entrepreneuriale ». Peut-être, mais comme la plupart des brillants enfants de la bourgeoisie française, Macron n’aura jamais fondé ni géré, une entreprise. A part l’entreprise France, évidemment.
Chez Rothschild, il pilote le rachat de Cofidis par le Crédit Mutuel puis l’acquisition, pour neuf milliards d’euros, de la branche lait maternel du groupe Pfizer par Nestlé, ce conglomérat qui a rendu dépendantes au lait en poudre des générations de mères africaines. Sa maestria lui rapporte des millions d’euros dont on ne sait toujours pas avec précision combien ont été dépensés et à quel taux ils ont été taxés par l’administration des Finances. En dix-huit mois, de 2011 à 2012, avant sa nomination comme secrétaire-général-adjoint de l’Elysée, il a gagné 2,4 millions d’euros chez Rothschild. Il a suivi à la lettre le conseil d’Alain Minc : « Pour faire de la politique aujourd’hui, il faut être riche ou ascète. Donc, commence par fabriquer de l’épargne, deviens banquier d’affaires. D’abord, tu seras libre (...) de conseiller des hommes politiques pendant cette période. Mais, surtout, tu gagneras bien ta vie pendant plusieurs années, et tu y gagneras ta liberté (François-Xavier Bourmaud Macron, l’Invité surprise, L’Archipel).
Macron a donc rapidement choisi le camp de la grande bourgeoisie, beaucoup plus haute que la sienne propre ou celle de sa belle famille. Son mépris pour la classe ouvrière date de loin. Il traite des travailleuses bretonnes d’« illettrées », il conseille à un ouvrier de « bosser » pour pouvoir se payer un costume comme le sien. Et puis il y a ce bref mais désormais célèbre épisode où on le voit deviser en marche (sic) avec le ministre Le Drian qui lui demande si les « concertations » (en fait des discussions informelles) avec les syndicats se sont bien passées. « Oui, ben c’est bien normal, parce que je ne leur ai rien dit. » Causez toujours, les syndicats, ça rentre par une oreille, ça sort par l’autre et ça ne m’empêchera pas d’anéantir cent ans de conquêtes sociales.
Une chose est sûre, complot ou pas complot : nous eûmes droit à l’élection la plus mise en scène de notre histoire contemporaine. A la grande joie, semble-t-il de nombreux électeurs, comme le releva Olivier Tonneau dans son blog Mediapart. Selon un sondage, analysait Tonneau, « 62% des Français pensent que le président de la République a raison de se mettre en scène, car c’est en le faisant qu’il pourra faire avancer les projets auxquels il tient. Le peuple Français est abîmé dans la contemplation d’un peuple imaginaire censé contempler Macron auquel en réalité personne ne prête attention. Ce ne sont pas les mises en scène de Macron qui l’ont porté au pouvoir mais la mise en scène du peuple aimant Macron, c’est-à-dire d’un peuple aimant les mises en scène. » C’est le peuple « sot, remuant, aimant les nouveautés » de Furetière dont chacun pense qu’il a besoin d’un roi. »
Pas de programme : un projeeet !
Macron aura gagné grâce à un « projet » (« C’est notre projeeet », hurlait-il lors des envois tautologiques de ses discours complètement messianiques) que pas un Français ne serait capable de décrire en dix lignes, ce au prix d’une abstention massive, à la présidentielle puis aux législatives, dont la signification fut violemment politique au point que la pratique du vote en France tend désormais à ressembler à celle des Etats-Unis. Pour le renouvellement de l’Assemblée nationale, seuls 43% des électeurs se déplacèrent, moins de 40% dans les quartiers populaires, à peine 30% chez les moins de 35 ans. Non seulement le Parlement n’a plus grand-chose à voir avec le pays réel mais le lien est désormais rompu entre la représentation nationale et la classe ouvrière et les employés (55% de la population globale), la paysannerie, les personnes âgées.
Avant même la campagne pour l’élection présidentielle, Macron a mis au point une méthode radicale pour appliquer ses contre-réformes, identique à celle qu’avait imaginée François Fillon. D’abord travailler dans l’urgence, y compris en pleines vacances estivales, même au prix de quelques couacs de Gribouille, pour sidérer la population et neutraliser les résistances syndicales. Un zèle, une célérité permettant de répondre aux desiderata de l’Union européenne concernant la prévarication du travail, la fin du statut de la Fonction Macron a démissionné de celle-ci et en est fier), la privatisation de la Sécurité sociale, la réduction des retraites, la baisse sans fin du pouvoir d’achat par la modération des salaires. Sans oublier le transfert sur les salariés des « charges » payées par les employeurs. Avec l’excuse, qui prend de moins en moins, de la modération des déficits publics voulue par l’Union européenne.
C’est une tradition bien française : les attaques des pouvoirs publics contre les conquis sociaux se sont toujours manigancées en dehors du champ démocratique. Souvenons-nous comment De Gaulle, qui n’avait accepté que du bout des doigts les progrès sociaux de l’immédiat après-guerre largement impulsés par les communistes, voulut être le fossoyeur de la Sécurité Sociale en 1967. En 1964, 1966 et 1967, trois rapports officiels proposèrent de séparer les risques encourus par les salariés de sorte que chaque branche de la Sécu fût financièrement autonome, le gouvernement pouvant ainsi agir directement dans leur gestion, jusqu’alors l’apanage des représentants syndicaux et patronaux. Le 22 juin 1967, le Parlement accordait au gouvernement le droit de légiférer par ordonnance. Il faudrait attendre les « événements » de Mai 68, puis le référendum perdu par De Gaulle en 1969 pour que soit préservée la Sécurité Sociale de 1945. Plus récemment, en 1991 et 1992, le gouvernement de Michel Rocard fit passer par ordonnances l’institution d’une Contribution sociale généralisée (CSG) visant à fiscaliser des cotisations sociales. En 25 ans, le taux de la CSG est passé de 1 à 7%. Pour, prétendument, augmenter le pouvoir d’achat, Macron a prévu de supprimer les cotisations maladie (0,75% du salaire brut) et chômage (2,4%) acquittées par les salariés, en échange d’une hausse de 1,7 point de contribution sociale généralisée (CSG) pour tous, actifs et retraités dont la pension est supérieure à 1 198 euros par mois (des personnes qui ne croulent pas sous l’argent).
Sus aux salariés et aux retraités !
L’offensive de Macron contre les salariés et les retraités est une hydre à quatre têtes qu’il espère immortelle, comme le polype d’eau douce. Outre la contre-réforme du Code du travail dont l’objectif final est d’affaiblir les salariés en les précarisant et en les mettant en concurrence, il y a la guerre contre les fonctionnaires, leur rémunération, leur avancement et leur statut. Les salariés du privé seront également affaiblis par la suppression des cotisations salariales chômage et maladie dès le 1er janvier 2018. Des pans entiers de l’Assurance publique seront livrés à la finance internationale. Sarkozy l’avait rêvé mais n’avait pas osé le mettre totalement en œuvre. Par la fiscalité, Macron continuera son travail de sape contre les Français. Outre la hausse de la CSG, la suppression, pour 80% des ménages, de la taxe d’habitation affaiblira les services publics communaux, donc le bien-être des usagers. Moins de crèches, des repas plus coûteux dans les écoles, des bâtiments publics laissés à l’abandon, des transports communs ruraux moins nombreux, c’est ce qui attend le quotidien des Français. Dans le même temps, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ne s’appliquera plus au patrimoine financier, au portefeuille d’actions des ménages les plus riches, mais seulement à leur patrimoine immobilier. Mais pour les Français « moyens », l’augmentation du coût de la vie sera drastique : renchérissement des produits de base, essence et tabac plus lourdement taxés. Décidément, avec Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité parlementaire, le rapport de forces qui penche depuis le début des années soixante-dix en faveur de la bourgeoisie risque de produire des effets de plus en plus insoutenables pour le peuple, ceux « qui ne sont rien » comme l’a lâché le jeune président dans ce qui n’était peut-être pas un lapsus.
Pour se gagner les faveurs de l’opinion publique, pour aller au-delà de la faveur de 43% des inscrits, Macron et son gouvernement annoncent des concertations qui ne seront jamais ni statutaires ni véritables et il entend isoler la CGT (Confédération générale du travail) par rapport aux autres syndicats, partant du fait avéré que la CFDT (Confédération française démocratique du travail) lui est globalement acquise et que plusieurs dirigeants de FO (Force ouvrière) prônent la conciliation (Macron a eu l’habileté de nommer un cadre de FO au cabinet de la ministre du Travail). La tactique est cousue de fil blanc mais elle peut réussir : faire semblant d’accepter certaines revendications mineures de la CFDT, laissant ainsi ce syndicat de collaboration de classe libre de se réjouir d’« avancées » débouchant sur la signature d’accords finaux. Il faudra donc que les syndicats progressistes ne s’en laissent pas compter, comme on a pu le voir en Belgique avec les lois Peeters ou en Italie avec le Jobs Act.
La contre-réforme du Code du travail représente, malheureusement, un moment historique de l’histoire sociale française. Prenant le contre-pied des avancées que le pays a connues depuis 70 ans, elle donne le primat aux accords d’entreprise sur les accords de branche et la primauté du contrat sur la loi. Pour prendre un exemple simple, la caissière de l’hyper marché Leclerc d’Hénin-Beaumont aura un contrat de travail différent de celle de l’hyper marché Carrefour situé à deux kilomètres. Le temps de travail sera différent, mais aussi les grilles salariales, les conditions d’hygiène, les modalités de licenciement et de recrutement (plafonnement autoritaire des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif). Tout cela, naturellement, au nom de la création d’emplois et de la compétitivité des entreprises. Cela ne détournera pas ces deux caissières de voter pour Steve Briois, le bras droit de Marine Le Pen dans la ville.
Au diable la flexi-sécurité à la sauce danoise ! Le peuple français va plonger vers une véritable flexi-pauvreté, un peu comme celle qu’avait connue l’Allemagne après les « réformes » du marché du travail de 2003 à 2005 qui avaient, certes, fait reculer le taux de chômage, mais qui avaient également créé treize millions de nouveaux pauvres avant de produire des millions de retraités à 1 200 euros par mois. Les lobbies financiers vont donc prendre directement le pouvoir économique, avec l’aide des grands médias, propriétés de ce que le communiste Georges Marchais appelait en son temps « le grand capital ». Economique, le projet de Macron est également civilisationnel. La République française doit devenir une start-up nation, sa vie politique étant complètement managérialisée, à l’image du développement de son parti En Marche, la formation la moins démocratique depuis l’après Deuxième Guerre mondiale. Il faudra faire vite car l’adhésion des Français au macronisme ne concerne guère plus de 10% de l’électorat. Selon un sondage Opinionway, Macron (dont la cote de popularité personnelle ne cesse de chuter depuis trois mois) n’a recueilli que 55% d’adhésion directe parmi ses électeurs, 45% l’ayant choisi comme « vote utile » pour éviter un second tour Le Pen-Fillon.
Pour Macron et ses ministres, il s’agit d’accélérer la guerre de classes menée par la classe dirigeante contre les conquêtes sociales, culturelles et politiques résultant de la mise en œuvre du programme du Conseil national de la Résistance en 1944. Macron va satisfaire à l’injonction de l’ancien vice-président du Medef – ancien membre de l’Union des étudiants communistes – formulés en 2007 : « C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » Le Graal de Kessler, et désormais de Macron, est de « penser le risque non plus comme une prérogative de l’entrepreneur justifiant le profit, mais en l’étendant à la société tout entière ». « En Marche ! », donc, vers l’ubérisation de tous les rapports sociaux par une guerre d’attrition contre les statuts et les conventions collectives, contre les retraites par répartition, contre l’Ecole de la République, ses diplômes et ses concours de recrutement nationaux. Adieu la France républicaine et jacobine. Bonjour les Etats-Unis d’Europe, l’Union européenne des régions, l’alliance transatlantique. Adieu la langue française (« le français n’a pas besoin d’être défendu, selon le petit-fils de Germaine Noguès), bonjour le tout-anglais que le syndicat patronal Business Europe veut imposer comme la langue de l’entreprise (les cadres français de Renault pourront continuer à s’envoyer des courriels en anglais). Une des premières ralliées à En Marche !, l’ancienne présidente du Medef Laurence Parisot – pour qui, puisque l’amour est précaire, l’emploi peut l’être également – avait fait figurer tout cela dans son programme de 2011 Besoin d’Aire. Bref, il s’agit de faire oublier le « désastreux » Non du peuple français au référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005.
Faire pire que Sarkozy et Hollande
L’un des tics de langage les mieux repérés de Macron est « en même temps ». Avec des phrases du style « Je suis pour la défense des travailleurs et, en même temps, pour la liberté des entrepreneurs ». Allant plus loin encore que le « gagnant-gagnant » de Ségolène Royal, cette expression nie la lutte des classes. Faisant croire que, par cette maîtrise du consensuel, il se situait au dessus des parties (et des partis puisqu’En Marche ! n’est un parti politique que latto sensu), il pouvait s’autoriser une posture qu’il qualifie de « jupitérienne », sans qu’on ait précisément compris ce qu’il signifiait par là. Pas grave puisque, chez les messies, le médium est le message. Mais il est apparu après quelques semaines de mandat, que « Jupiter » était une divinité aux pieds d’argile. Être plus antisocial que Sarkozy et Hollande réunis, imposer au Parlement et aux corps constitués des pratiques peu démocratiques ne suffisent pas à masquer que « Zeus » n’a strictement rien imposé à Bruxelles, qu’il est à la remorque d’Angela Merkel comme son prédécesseur et que sa soumission à l’oligarchie financière est totale. Il a déjà face à lui, vent debout, des étudiants qui n’ont pas accepté la diminution de l’Aide personnalisée au logement, sa remise en cause d’un baccalauréat national comme premier grade universitaire, des inscriptions à l’université aussi autoritaires qu’aléatoires. Pour leur part, les lycéens ne pourront accepter longtemps que leur examen final soit accordé au sein d’établissements secondaires concurrents et devienne un paquet de formations diplômantes départementales accordées sous l’œil des patronats locaux après un contrôle continu qui ne rimera plus à grand-chose, les compétences étant « rechargeables ».
Macron est en faveur d’un « pacte girondin » : continuer le travail de Sarkozy et de Hollande pour pulvériser la République une et indivisible (faites lire l’article 1er de la Constitution à dix personnes, cinq vous prendront pour un fou : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. ») au profit des grandes villes et de régions toujours plus étendues à l’allemande, faire disparaître les communes et les départements en tant qu’entités administratives et politiques. D’où la réduction récente de 13 milliards d’euros (à peine le tiers des avoirs de feue Liliane Bettencourt, mais tout de même) sur les subventions d’Etat aux communes. Par ailleurs, Macron souscrit, comme ses deux prédécesseurs, à la mise en place d’un gouvernement et d’un budget de la zone euro, d’une défense européenne intégrée à l’OTAN. Bref, il considère que la nation appartient au passé. En marche (sic) vers la sanctuarisation du noyau dur des traités actuels qui installent une austérité sans fin grâce à une gestion de l’euro par une Banque centrale européenne qui contrôle et décide des budgets nationaux et impose le concept giscardien mensonger de « concurrence libre et non faussée ».
Lorsqu’il a pensé ses équipes de direction, son management de la France, Emmanuel Macron a joliment brouillé les cartes en s’adjoignant des personnalités du secteur public et surtout de l’entreprise privée, sans vraiment s’embarrasser de conflits d’intérêts. L’assureur et financier Gilles de Margerie a été nommé directeur de cabinet de la ministre de la Santé. Il saura « réformer » les retraites dans le bon sens et articuler le rôle de l’Assurance-maladie et des assureurs privés. Dans cette optique, le profil de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ne manque pas d’intérêt. Brillante professeur de médecine âgée de 55 ans, belle-fille de Simone Veil, elle est proche de grands laboratoires pharmaceutiques qui l’ont rémunérée. Comme par hasard, elle a décidé d’augmenter de trois à onze le nombre de vaccins obligatoires pour les enfants. Son mari dirige l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), dont la cotutelle politique est le ministère de la Santé. Le gouvernement du Premier ministre Edouard Philippe compte de nombreuses personnalités issues de ce qu’on appelle désormais la « société civile » (on disait autrefois « la population active »). Parmi elles, le très médiatisé militant écologiste et animateur de télévision Nicolas Hulot – qui avait flirté un temps avec les équipes de Jean-Luc Mélenchon avant de voter Hamon au premier tour de la Présidentielle – comme ministre de la Transition écologique et solidaire. Le ministre de l’Education nationale est Jean-Michel Blanquer, ancien directeur de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), première école de commerce française à s’associer aux grandes entreprises pour créer des chaires d’entreprise. Le jeune entrepreneur Mounir Mahjoubi (exemple remarquable de l’intégration réussie d’un immigré de deuxième génération) est nommé secrétaire d’Etat chargé du numérique. Il a rejoint le mouvement de Macron en janvier 2017 après avoir été proche de Ségolène Royal puis de François Hollande. Antoine Foucher symbolise, à lui seul, la pénétration du ministère du Travail par les patrons : il fut directeur général adjoint du Medef, avant de rejoindre Schneider Electric. Il est désormais directeur de cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud. Il lui reviendra la tâche de piloter les contre-réformes hostiles aux travailleurs. Muriel Pénicaud, fut elle-même directrice des ressources humaines de Danone puis de Dassault Systèmes. Chez Danone, elle organisa, malgré des bénéfices pour l’entreprise de près de deux milliards d’euros, un licenciement massif qui fit grimper le cours de ses propres stock-options. Dans les milieux patronaux et syndicaux, elle est connue comme une spécialiste du lean management, la gestion sans graisse, au plus juste, qui vise à accroître les marges au détriment de l’emploi et des conditions de travail.
Macron rime avec clarification
Quoi qu’il lui arrive, Macron aura été très utile à la France. En précipitant la fin d’un parti socialiste acquis depuis des décennies aux lois d’airain du capitalisme financiarisé, il aura opéré une vraie clarification du spectre politique français. Il aura ouvert, peut-être pas un boulevard, mais en tout cas une belle avenue à la gauche de gauche : la France insoumise, les communistes, et tous ceux pour qui le combat écologique est forcément articulé à une vraie transformation économique et sociale. Et il aura offert la preuve que les banques dirigent effectivement le pays, sans la caution, sans l’intermédiaire, des deux grandes formations politiques traditionnelles.
Macron dans le texte :
« Il y a la société Gad. Il y a dans cette société une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. »
« Vous n’allez pas me faire peur, avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler. »
« Le kwass-kwasa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent. »
« Une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien. »
« Quels sont les problèmes en Afrique ? Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. »
« Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires ».
« Bien souvent, la vie d’un entrepreneur est bien plus dure que celle d’un salarié. Il peut tout perdre, lui, et il a moins de garanties. »
« Le libéralisme est une valeur de gauche . »
« Les salariés doivent pouvoir travailler plus sans être payés plus, si les syndicats majoritaires sont d’accord. »
« Je n’aime pas ce terme de modèle social. »
« Etre élu est un cursus d’un ancien temps. »
« Les Britanniques ont la chance d’avoir eu Margaret Thatcher. »
« La France est en deuil d’un roi. »
« Je suis pour une société sans statuts. »
« Le chômage de masse en France, c’est parce que les travailleurs sont trop protégés. »
PS : le terme “ projet ” a infecté notre société de manière gravissime. Il y a quelques jours, je fais appel sur internet à un réparateur de machines à laver. Il me répond : “ Merci d’avoir fait appel à nous pour votre projet ”. Je réponds : “ Merci à vous de bien vouloir noter que ma machine est dotée de 12 programmes et non pas 12 projets ”.