La crise égyptienne aura eu le mérite de mettre en évidence, de manière éclatante, l’alliance stratégique entre les Etats-Unis, en particulier, et les puissances occidentales, en général, et les Frères musulmans. Du point de vue de ces derniers, cela devrait relever du parjure, pour ne pas invoquer le blasphème. Voici un mouvement religieux qui a construit toute sa rhétorique sur la haine de l’Occident, allié détesté de l’ennemi sioniste, qui se découvre, contre toute attente, représenter quasiment ses intérêts dans la région.
Il y a eu des précédents. Le Turc, qui pouvait s’expliquer par le passé atlantiste du pays. Il y a eu l’alignement du Hamas sur la politique des monarchies du Golfe, donc sur celle de l’Otan, à l’égard de la Syrie, qui peut beaucoup moins se justifier, sauf peut-être par le souci de rompre tactiquement l’isolement qui l’affecte. Mais quand le bastion de la Confrérie confirme, il n’y a plus aucun doute sur la véritable nature des Frères. Après avoir vu s’écrouler ou reculer leurs ennemis mortels, le communisme et le nationalisme, en participant activement au processus, ils sont appelés à garantir, par l’exercice du pouvoir, la destruction de toutes les résistances qui pourraient se dresser contre l’hégémonie étatsunienne.
En Egypte, aujourd’hui, se joue donc une partie décisive. Au cœur des événements, le maintien et le renforcement de la mainmise impériale ou son affaiblissement. A cet égard, les protagonistes sont principalement la population déterminée à faire recouvrer au pays son pouvoir de décision, les Frères déchus qui ne démordent pas de revenir aux affaires, pour implémenter les accords léonins avec les Occidentaux et l’armée, qui se trouve dans la posture du funambule, qui tente de contrer l’offensive populaire ou limiter ses ambitions, tout en préservant ses relations toujours stratégiques avec Washington. Mais l’armée reste la seule force significative, en termes d’organisation, face aux Frères qui sont en voie de basculer dans la guérilla, s’ils n’ont pas déjà opté pour la violence, et face à la demande populaire, qui ne se limite plus aux questions économiques et sociales, mais pose des exigences politiques. Une donnée qui complique sérieusement la tâche du nouveau pouvoir.
Jusqu’à quel point les parties en présence peuvent aller ? Difficile de conjecturer devant une situation qui évolue d’heure en heure. Une seule certitude, le gouvernement étatsunien n’a pas beaucoup de prise, ce que révèle sa prudence, quoiqu’il se range ouvertement du côté de ses alliés Frères musulmans.
Alors que se décide l’avenir de toute sa géostratégie, au risque de subir un recul historique et une remise en cause de l’ensemble de l’équilibre régional. Sans compter la reconfiguration du rapport de force qui en découlera, dans le traitement de la stabilité des pétromonarchies et de la " sécurité " de l’entité sioniste. Jamais dans l’histoire récente ne s’est posé un tel cas de figure, en tant que possible facteur de bouleversement de l’échiquier mondial et point de départ possible d’un " printemps " en retour aux couleurs qui seront loin de susciter les applaudissements des capitales occidentales.
Ahmed Halfaoui