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Éduquer à la sexualité, c’est aussi agir contre les abus sexuels sur mineurs

L’Organisation Mondiale de la Santé, à travers le Centre fédéral allemand pour l’éducation à la Santé (Bundeszentrale für Gesundheitliche Aufklärung) a « récemment » publié un livret intitulé « Les standards pour l’éducation sexuelle en Europe ». Il s’agit dans le texte, d’un « cadre de référence pour les décideurs politiques, les autorités compétentes en matière d’éducation et de santé et les spécialistes ». Il y en a beaucoup dans cette phrase, mais si j’ai mis « récemment » entre guillemets, c’est parce qu’en réalité ce livret date de 2010, une époque où les notions de wokisme ou de progressisme faisaient couler très peu d’encre. Plus d’une décennie plus tard, ce document soulève l’indignation des milieux néo-conservateurs, de droite comme de gauche (eh oui, il y a des conservateurs de gauche maintenant). Nous allons voir les raisons de cette indignation, nous allons voir ce qu’elle cache et pourquoi elle nuit à la jeunesse.

Le premier argument-clé des détracteurs de ces standards est réminiscent de l’ère COVID qui a vu l’OMS être l’objet de théories du complot trouvant leur source, comme c’est souvent le cas, autant dans la réalité que dans le fantasme. Dans le lobbying intense de l’industrie pharmaceutique et les financements de milliardaires. Et jusqu’à ce que des preuves concrètes ne soient apportées, dans une conspiration machiavélique qui, par l’instauration de mesures sanitaires, viserait d’un côté à réduire ou soumettre la population mondiale et de l’autre à détruire la famille traditionnelle en promouvant des comportements considérés par quelques-uns comme « déviants ».

Cette vision d’une OMS tentaculaire contrôlant les politiques sanitaires de chaque pays et la vie de chacun de leurs habitants est mise en avant à la moindre mention qui en est faite, au point de brouiller toute pensée rationnelle. Et le texte ici présent ne manquera d’ailleurs pas de provoquer des accusations de complicité ou de connivence, comme d’habitude.

Pourtant, dans la préface du livret dont nous parlons, il est clairement exprimé le caractère prescriptif de ces standards qui sont avant tout des recommandations.

Donner une éducation sexuelle, notamment dans les écoles, n’est pas toujours chose aisée. La démarche rencontre souvent des résistances, motivées le plus souvent par des peurs et des préjugés. Nous espérons que les Standards encourageront les pays à introduire des programmes d’éducation sexuelle ou à élargir les programmes existants dans l’optique d’une éducation globale à la sexualité.

L’aspect de ces standards qui provoque le plus l’ire des milieux conservateurs et les inquiétudes somme toute légitimes de certains parents, c’est l’abaissement de l’âge auquel ils recommandent de dispenser une éducation sexuelle à celui de la petite enfance. En effet, il peut paraître à première vue inapproprié de parler de sexe à des moutards. Il conviendrait alors de définir les contours de ce qu’on entend par éducation sexuelle.

Une des craintes, fruit d’une imagination débordante et pour le moins malsaine, c’est de croire que des pédagogues, des professeurs des écoles, des spécialistes de la sexualité formeraient de jeunes enfants à des pratiques sexuelles qu’ont exclusivement les adultes et les adolescents. Cette croyance pousse les opposants à accuser de dépravation les concepteurs de ces standards ou ceux (comme moi) qui en approuvent le principe. Qu’on puisse se figurer de telles choses me pousse, pour ma part, à me demander qui sont les plus dépravés. Non, éduquer à la sexualité ne signifie pas enseigner le sexe et ses « techniques ». Éduquer à la sexualité, c’est en premier lieu sensibiliser à ses risques et aux moyens de s’en protéger, aux frontières entre son corps et celui des autres, entre son désir et celui des autres, entre sa liberté et celle des autres, à ses droits et à ses devoirs. Il n’y a aucun sujet, pas même la sexualité, qu’on ne puisse aborder avec de jeunes enfants si c’est à travers une pédagogie adaptée.

L’éducation sexuelle signifie l’apprentissage des aspects cognitifs, émotionnels, sociaux, interactifs et physiques de la sexualité. L’éducation sexuelle commence dès la petite enfance, et se poursuit à l’adolescence et à l’âge adulte. Pour les enfants et les jeunes, son objectif premier est d’accompagner et de protéger le développement sexuel.

Par éducation sexuelle, on entend une manière d’aborder l’enseignement de la sexualité et des relations interpersonnelles qui soit adaptée à l’âge, culturellement pertinente et fondée sur une information scientifiquement précise, réaliste et s’abstenant de jugements de valeur. L’éducation sexuelle offre la possibilité d’explorer ses propres valeurs et attitudes, et de développer des compétences en matière de prise de décisions, de communication et de réduction des risques, concernant de nombreux aspects de la sexualité.

D’ailleurs, le syllabus contenu dans ces standards fait l’objet d’un examen sélectif qui nourrit l’imagination en roue libre des néo-puritains. Je ne vais pas m’éterniser dessus, ne maîtrisant pas toute la complexité de l’éducation sexuelle ou de la manière dont les prémices d’une sexualité se manifestent chez les très jeunes enfants, prémices bien réelles et assez reconnaissables quand on est ou a été parent d’un jeune enfant. En tout cas, la mention du mot « masturbation » suffit à soulever de dégoût lorsqu’elle est associée à l’idée un peu idéaliste de l’innocence enfantine. Pourtant, bien des pédiatres attestent qu’elle existe sous une forme embryonnaire. Hélas, il existe aussi certaines personnes qu’une imagination débridée portera à associer des conduites sans tenir compte des nombreuses étapes qui mènent de l’enfance à l’âge adulte. En résultent des images pour le moins tordues que je vous laisse le soin de visualiser.

L’autre détail qui outre les critiques de ce document, c’est la mention dans ledit syllabus de la fourchette d’âge « 0-4 ans ». Surtout ce « 0 ». Ah qu’il indigne ce « 0 » ! Qu’il écoeure ! Mon dieu, comment est-ce possible ? Bon, j’admets que sur ce coup-là, les concepteurs de ce livret, pourtant conscients des interrogations qu’il allait provoquer (si, si, ils le disent même en préface), ont un peu merdé. Ils ont oublié que dans le monde, il y a des esprits simplistes qui prennent tout au pied de la lettre, que la mention « de 7 à 77 ans » est à comprendre telle quelle et qui ne manqueront pas d’être vraiment convaincus qu’à peine sortis de la matrice, les nouveaux-nés seront soumis illico à des séances d’éducation sexuelle. Entre un dodo et un popo sans doute.

Bon, puisque c’est nécessaire, citons le document à ce propos :

Les bébés vivent entièrement par leurs sens : ils touchent, entendent, voient, goûtent et sentent. Par leurs sens, les bébés font l’expérience de sentiments comme la sécurité et la chaleur. Cajoler son bébé, l’embrasser et le caresser est très important – ces signes tangibles d’affection sont le fondement d’un développement social et émotionnel sain.

On voit donc bien ici que ces standards ne conseillent rien d’autre que d’agir avec les enfants en bas-âge comme le font tous les parents aimants. Que c’est une prérogative de ces derniers uniquement.

Jetons maintenant un oeil sur les objectifs déclarés de ces recommandations de l’OMS. Ils sont clairement exprimés dans l’introduction du document :

Un « nouveau besoin » d’éducation sexuelle

Différents développements se sont produits dans le courant des dernières décennies, qui ont généré un « nouveau besoin » en matière d’éducation sexuelle. Mentionnons la mondialisation et la migration de groupes de population venant de différents horizons culturels et religieux, l’essor fulgurant des nouveaux médias (à commencer par l’Internet et la téléphonie mobile), l’apparition et la propagation du VIH/SIDA, les préoccupations croissantes concernant les abus sexuels perpétrés contre des enfants et des adolescents, ainsi que le changement d’attitude envers la sexualité et l’évolution des comportements sexuels des jeunes. Tous ces développements exigent des stratégies pour permettre aux jeunes de vivre leur sexualité de manière sûre et satisfaisante. Une éducation sexuelle formalisée sous forme de standards augmente les chances d’atteindre une majorité du groupe cible.

On retiendra d’abord les deux objectifs principaux : la lutte toujours d’actualité contre la pandémie du VIH, en progression constante et dont les perspectives sont inquiétantes au regard des phénomènes migratoires récents et à venir, et la lutte contre la pédocriminalité.

C’est sur ce dernier point que je voudrais m’arrêter car il constitue selon moi à la fois une raison essentielle pour plaider en faveur d’une éducation sexuelle à destination des jeunes enfants et un paradoxe monumental chez ses opposants qui sont souvent les premiers à accuser une quelconque entité imaginaire, outre l’OMS, de promouvoir la pédophilie, d’en rendre complice les progressistes, de vouer aux gémonies des oeuvres d’art qui la condamnent en prétendant qu’elles l’encouragent, de vouloir jusqu’à en faire disparaître la moindre mention croyant naïvement que n’en point parler suffira à l’éradiquer.

Chaque année, rien qu’en France, ce sont près de 40 000 agressions sur mineurs qui sont enregistrées.

Plus de 20% de ces agressions concernent des enfants de moins de 6 ans.

Les adversaires d’une éducation sexuelle pour les jeunes enfants arguent que la sexualité ne les concerne pas à un âge précoce : c’est doublement faux. Les questionnements sur la sexualité commencent très tôt chez les enfants. Combien de parents, par exemple, doivent répondre aux questions qu’ils posent naturellement sur leur conception ou sur ce qui les différencie de l’autre sexe ? Mais surtout, un enfant agressé sexuellement, c’est un enfant qui est confronté contre son gré à la sexualité des adultes.

Les auteurs d’actes pédocriminels, presque toujours des hommes, sont dans la grande majorité des cas des proches ou des personnes connues de l’enfant et de la famille. L’abus sexuel sur mineur commence par une manipulation de l’enfant et de son entourage. Perdu, sans recours, l’enfant ne perçoit plus la frontière entre bien et mal. Ce sont souvent des figures d’autorité, respectées ou admirées, instaurant de fait une ascendance qui désarme d’autant plus la petite victime. Un père, un oncle, un grand-père, un ami, un voisin, un médecin, un coach sportif, un enseignant, un prêtre...

En parlant de ça, voilà bien une contradiction sans égal chez les conservateurs indignés et puritains : ils sont plus prompts à faire des musées des lieux infréquentables pour les marmots, prêts à condamner toute indécence picturale, résolus jusqu’à l’autodafé, qu’à les tenir à l’écart des lieux du culte catholique qui sont sans conteste le siège du plus grand nombre d’abus sexuels sur mineurs commis depuis la deuxième moitié du vingtième siècle. Le rapport Sauvé estime entre 215 000 et 330 000 le nombre d’enfants agressés sexuellement par des religieux au sein de l’église catholique française depuis les années 1950, parlant de phénomène systémique impliquant tous les échelons de la hiérarchie catholique. Pourtant, la maison de Dieu demeure, pour les défenseurs de la morale, un endroit plus sûr pour les enfants qu’une galerie d’art.

Un exemple emblématique de ces dernières années : celui de Joël Le Scouarnec. Ce chirurgien septuagénaire a été condamné en 2020 pour des viols sur mineures. Il fait l’objet de 184 plaintes. On évalue le nombre de ses victimes potentielles entre 250 et 300. Ses premiers abus remonteraient aux années 80. Ce n’est qu’en 2017 qu’il a été dénoncé. Par une fillette de six ans.

Combien d’enfants avant elle auraient pu parler, mettre des mots sur ces actes au lieu de croire que l’adulte a tous les droits par son autorité ou son travail ? Combien avant d’arriver à cette fillette de 6 ans ? Combien ont enterré leur honte ? Combien en souffriront à vie ?

Toute éducation vaut mieux que pas d’éducation du tout. L’éducation sexuelle, suivant cette règle, a toujours été un outil performant dans la lutte contre les risques liés à la sexualité. Elle est aussi une cible permanente des conservateurs de tout poil qui ont toujours vu en elle le véhicule de la débauche. M’opposant radicalement à cette idée, j’affirme qu’il n’est jamais trop tôt pour apprendre aux enfants quelles sont les limites de leur corps, de leur intimité, les gestes impropres qu’un adulte peut leur imposer en franchissant ces limites et parce que leur jeune âge empêche qu’ils en comprennent la portée. Et oui, cela passe par une connaissance de son propre corps. Des sensations qu’on aime et de celles qu’on déteste.

Non, en éduquant les jeunes enfants à la sexualité, contrairement à ce que font croire des esprits décidément bien tortueux, il ne s’agit pas de transformer la jeunesse en une cohorte d’esclaves sexuels au service de je ne sais quelle organisation obscure mais de l’armer face aux prédateurs sexuels, de donner aux enfants la capacité de mettre des mots sur ce qui leur arrive afin d’éviter que leur silence laisse toute latitude aux auteurs de trouver d’autres victimes. S’opposer à cela par principe moral, et particulièrement sans proposer d’alternative, c’est contribuer à la perpétuation de la pédocriminalité. Et si en tant que parent, il est parfaitement légitime de se questionner sur les contenus et les méthodes pédagogiques employées dans l’éducation sexuelle des tout-petits, rien n’interdit de demander des réponses ou de s’impliquer directement dans un tel processus.

Mais il y a autre chose derrière ce déchaînement fétide. Quelque chose de plus honteux, de moins avouable, grimé en de fallacieuses préoccupations, fadaises imaginaires sur les dangers que constitueraient les distinctions entre identité sexuelle et identité de genre sur la société telle que les conservateurs se la représentent et qui est pour eux la seule version valable. En effet, l’un des objectifs de l’éducation sexuelle est d’aborder les concepts d’identité sexuelle, soit fille ou garçon, de les définir afin d’en percevoir en grandissant les déclinaisons. Il s’agit, on le devine, de former les futurs adolescents et adultes à la tolérance et à l’acceptation de l’autre mais aussi de soi-même en fonction de ses propres orientations à venir. À contre-courant des peurs irrationnelles sur la fin de la famille traditionnelle et la conversion furtive de la jeunesse à l’homosexualité — les thérapies forcées de réorientation sexuelle, par exemple, considérées comme des dérives sectaires, n’ont jamais montré la moindre efficacité autre qu’à plonger nombre de leurs victimes dans une détresse psychologique parfois jusqu’au suicide : on ne peut pas obliger un individu homosexuel à devenir hétérosexuel, pas plus qu’on ne peut forcer un individu hétérosexuel à devenir homosexuel — à rebours de ces fables réactionnaires qui confondent encore les causes et les conséquences, cette mise à jour des ambitions de l’éducation sexuelle est née du regain de l’homophobie dans le monde, et de l’émergence de la transphobie contaminant les milieux conservateurs qui répandent ensuite des idées fausses visant à provoquer l’angoisse et la panique morale à travers les médias et les réseaux sociaux. Mais ce sera peut-être le sujet d’un autre texte pour démêler là aussi les sacs de noeuds mensongers et ineptes, souvent surmédiatisés, qui éclipsent la réalité. Je planifiais de faire une série sur ces nouvelles « brigades des moeurs », mais les circonstances ont précipité la rédaction de celui-ci.

Enfin, les preuves sont nombreuses que le conservatisme moral consistant à s’immiscer dans la vie intime des gens a toujours tort. Une étude américaine démontre que les restrictions de l’accès à l’avortement, dont le cadre a été laissé au choix de chaque état via l’arrêt Roe V. Wade promulgué par la Cour Suprême des États-Unis majoritairement conservatrice, ont d’ores et déjà des conséquences délétères sur la vie des classes populaires américaines : le nombre d’avortements ne baisse pas alors que dans les états les plus conservateurs, les complications et la mortalité liée à la grossesse augmentent. Qui s’en étonne lorsqu’on fait un bond de cinquante ans en arrière ?

Xiao PIGNOUF

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